Rendant compte d’une enquête menée avant l’entrée en vigueur de la réforme pénale du 15 août 2014, la Cour des comptes a, le 22 mars 2016, transmis une note en référé au ministre de la Justice dans laquelle elle pointe « les nombreuses failles et faiblesses » de la prise en charge et du suivi des majeurs condamnés.
« Si le savoir-faire et l’engagement des acteurs sont souvent remarquables, la complexité des procédures, l’absence de référentiels, l’hétérogénéité des pratiques et l’inadaptation de certains outils sont porteurs tant d’interrogations que de risques sur l’effectivité de la prise en charge et le sens de la peine », alerte la Cour des comptes. Un constat sévère, dénoncé depuis de nombreuses années par les organisations professionnelles et que l’administration pénitentiaire (AP) a commencé, bien qu’insuffisamment, à prendre en compte.
Une prise en charge lacunaire
En écho au mouvement des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), la Cour des comptes s’inquiète d’un alourdissement de leur charge de travail depuis 2008, qui nuit à la qualité de la prise en charge des condamnés. En milieu fermé, la mise en œuvre de leur mission se heurte en outre aux contraintes de la détention et notamment à la faiblesse des offres existantes en matière d’activités, de formation ou de travail (1).
« La surpopulation des maisons d’arrêt, la diversité des durées de détention et les rigidités de l’organisation en détention sont des freins puissants au développement des activités », note-t-elle. D’autant que ces activités s’inscrivent en théorie dans un « parcours d’exécution des peines » qui n’est pas encore déployé dans l’ensemble des établissements et que « la surcharge des ordres du jour » des commissions au sein desquelles il est défi ni « peut rendre assez formel l’examen des situations individuelles ». Pour le milieu ouvert, la Cour des comptes relève surtout l’absence « d’évaluation initiale, complète et objective du condamné » qui devrait présider au contenu de l’accompagnement et, en l’« absence de références et de critères de suivi », des pratiques très hétérogènes.
Elle conclut à un besoin de clarification des méthodes d’intervention. Pour la Cour, le déficit d’objectifs et de doctrine entrave par ailleurs les possibilités d’une prise en charge pluridisciplinaire, pourtant « nécessaire pour faciliter la sortie d’un comportement délinquant de plus en plus complexe ».
Une organisation déficiente
La Cour des comptes pointe aussi les problèmes d’organisation et de pilotage des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Cela se traduit notamment par une méconnaissance de la charge de travail qui permettrait une bonne allocation des effectifs. « Aujourd’hui, on n’a pas d’organigramme, on ne connait pas les charges de travail effectives dans chaque service, on ne sait même pas combien on a d’équivalent temps plein : l’AP est incapable de donner des chiffres qui correspondent aux réalités de terrain », confirme Fabienne Titet, de la CGT insertion probation.
La Cour pointe aussi un problème de pilotage, en partie dû à une méconnaissance du travail des SPIP au sein même des directions interrégionales (DI) des services pénitentiaires qui les chapeautent. Seuls deux directeurs interrégionaux ont un adjoint issu des services de probation, relève-t-elle. « Une faiblesse structurelle » pour Olivier Caquineau, secrétaire général du SNEPAP-FSU, avec pour conséquence que « la plupart des DI sont à côté de la plaque sur les enjeux et missions des SPIP. Ça se retrouve dans la gestion quotidienne, la définition des priorités, l’établissement des ordres du jour des réunions de direction, etc. ».
La Cour déplore enfin le manque d’articulation avec les autres acteurs du suivi d’un condamné : les juges de l’application des peines en premier lieu, mais aussi les institutions relevant du droit commun (éducation, santé, emploi, etc.). Ce morcellement peut entraîner une « rupture dans le suivi d’un condamné lors de sa sortie de prison ou à l’occasion d’un déménagement », avec potentiellement « de graves conséquences » dans le cas d’un suivi socio-judiciaire, avertit la Cour des comptes.
Des efforts de rationalisation
A ces critiques, le ministère de la Justice répond qu’une direction de projet chargée des SPIP a été créée au sein de l’AP à l’automne 2014 avec pour mission de « consolider l’organisation des SPIP et d’améliorer les pratiques professionnelles des personnels ». Ainsi, des projets de référentiels des pratiques opérationnelles sont en cours d’élaboration, sur « la méthodologie de l’intervention des SPIP » ou encore sur « l’organisation et l’évaluation de l’activité des SPIP ».
L’évaluation des personnes, explique le ministère, s’inspirera d’une expérimentation menée par six services pendant dix-huit mois sur la base d’outils validés scientifiquement. « L’AP décidera dans les prochaines semaines du déploiement d’un ou de plusieurs d’entre eux, l’équipe de recherche ayant rendu un rapport intermédiaire en mars 2016. » Mais pour l’instant, tout est en stand-by : les organisations syndicales ont boycotté les discussions sur les référentiels tant que leurs revendications statutaires et indemnitaires n’auront pas été entendues.
Les aménagements de peine à la peine
Enfin, la Cour des comptes s’interroge sur « le caractère opérationnel ou la pertinence des aménagements de peine ». Ainsi, elle pointe que la surveillance électronique semble être utilisée davantage comme un outil de gestion de flux « pour réguler la surpopulation carcérale », que comme un outil de réinsertion. Tandis que, de leur côté, les autres aménagements de peine qui proposent un accompagnement poussé en matière de réinsertion se heurtent à des obstacles qui freinent leur développement. La Cour des comptes relève notamment « la rareté des places proposées par un secteur associatif fragile » pour le placement à l’extérieur et « l’inadéquation très forte entre les besoins et les ressources en unités dédiées au sein du parc pénitentiaire actuel » pour la semi-liberté.
Sans s’interroger sur la faiblesse du budget que son ministère consacre au développement de ces aménagements de peine, le garde des Sceaux indique qu’il a commandé un rapport chargé de « recenser les facteurs propices ou faisant obstacle aux aménagements de peine, à la contrainte pénale et à la libération sous contrainte ». Réponse attendue le 20 juillet 2016.
Par Cécile Marcel
(1) Voir à ce sujet : « Activités en prison : le désœuvrement », Dedans-Dehors n° 91, avril 2016.