Free cookie consent management tool by TermsFeed

Fracture numérique : les prisons, une « zone blanche »

Alors que de nombreux pays ont déjà permis l’entrée d’Internet et du numérique en détention, la France est à la traîne. Internet reste en effet interdit dans les prisons françaises. Et si le numérique y fait une percée, ce n'est pas toujours pour le meilleur.

Alors que la dématérialisation totale des services publics est annoncée pour 2022, la lutte contre les « zones blanches », non couvertes par Internet, a été érigée en priorité du quinquennat Macron. Il en existe toutefois une que l’État, au contraire, organise à coups de notes, circulaires et brouilleurs d’ondes : les prisons. En l’absence de disposition légale, le principe d’interdiction d’accès à Internet a été posé par la voie administrative en 2004(1), et renouvelé en 2009(2). Plongeant près de 70 000 personnes dans une « fracture numérique » que les autorités combattent par ailleurs.

« Tout se fait par Internet aujourd’hui. Tu écris à tes banques, pas une ne te répond si tu ne passes pas par Internet », écrit une personne détenue à l’OIP. Programmer un virement, suspendre un abonnement, déclarer sa situation auprès de Pôle emploi ou de la Caf, renouveler sa pièce d’identité… Autant de démarches essentielles que ne peuvent réaliser elles-mêmes les personnes lorsqu’elles sont incarcérées – sauf à le faire clandestinement par le biais d’un téléphone portable en s’exposant à des sanctions disciplinaires et pénales. Au-delà de ces démarches, le simple fait d’envoyer ou recevoir des mails est impossible. Tout comme suivre une formation à distance, l’immense majorité étant désormais accessible uniquement en ligne – à moins, comme cette personne détenue l’expliquait à l’OIP, de « mandater d’autres personnes pour faire les démarches à notre place », télécharger, imprimer, transmettre les cours et renvoyer les copies. Un système D qui a toutefois ses limites : « Lorsque des facultés proposent des cours à distance, cela inclut souvent des vidéos à regarder. Impossible aussi de faire quelque recherche… » « L’absence d’Internet est forcément un frein pour l’apprentissage, peu importe ce qu’on mettra en place pour essayer de compenser », regrette Brieuc Le Bars, président de Code Phenix. Partant du constat que l’informatique était un secteur offrant de nombreux débouchés d’emploi, cette association propose des formations certifiantes dans ce domaine aux prisonniers, et leur offre du travail au sein de son agence web en détention. « On essaie de créer des outils adaptés hors ligne, mais l’absence d’Internet dégrade nécessairement la qualité de l’apprentissage. En outre, au sein de l’agence, il y a beaucoup de prestations que l’on ne peut pas faire, ça restreint notre offre de services à de potentiels clients à l’extérieur », déplore Brieuc Le Bars. L’interdiction d’Internet est donc aussi un frein au développement de l’emploi en détention – alors même que la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) entend faire du travail l’un des premiers leviers pour lutter contre la pauvreté qui gangrène les prisons. Quand arrive la fin de peine, les enjeux, en termes de réinsertion et de préparation à la sortie sont énormes : comment rouvrir ses droits, trouver un logement, un emploi sans accès à Internet ? Alors que l’institution attend d’elles qu’elles se responsabilisent, les personnes détenues sont rendues dépendantes de tiers, privées des moyens de leur autonomie.

Au fil des années, les appels et recommandations se sont succédés pour qu’un accès à Internet – le plus souvent limité et contrôlé – soit enfin autorisé. Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Défenseur des droits (DDD), associations intervenant en prison, mais aussi think tank d’orientation néolibérale… autant de voix auxquelles l’administration pénitentiaire paraît être restée sourde.

Un pas en avant, deux pas en arrière

Du côté de la Dap en effet, on ne peut pas dire que les actions engagées soient à la mesure des attentes. Pire, l’administration semble même avoir reculé ces dernières années. En 2009, le ministère de la Justice avait décidé d’expérimenter dans sept établissements(3) un projet baptisé « Cyber-bases » permettant un accès, sous supervision, à des ordinateurs connectés à Internet. Dans ces établissements, les détenus pouvaient, sur autorisation de la direction, consulter différents sites web présélectionnés – en général les sites de services publics (droits sociaux, recherche d’emploi, recherche de logement, etc.) ou certains sites d’information comme Wikipedia. Ils ne pouvaient toutefois pas communiquer avec l’extérieur ni utiliser de service de messagerie électronique sans surveillance. Un dispositif très limité donc, qui n’avait de réel intérêt que pour les personnes non familiarisées à l’informatique(4). Mais dix ans après, le CGLPL relevait que ces Cyber-bases, qui n’avaient par ailleurs « jamais été déployées dans d’autres établissements », avaient pour la plupart cessé de fonctionner, « notamment en raison d’une maintenance insuffisante ou inadaptée »(5). Ainsi le projet semble-t-il avoir finalement été abandonné au profit d’un autre : le Numérique en détention (Ned).

« Avant de vous expliquer ce qu’est le Ned, je vais vous expliquer ce qu’il n’est pas. Par “Ned”, il ne faut pas entendre “Net” ou “Web” : à aucun moment le détenu ne pourra s’évader en navigant sur Internet. Il reste dans un espace cloisonné, qui est sécurisé, interne au ministère de la Justice », pose d’emblée Philippe Courpron, chargé de mission transformation numérique à la Dap, en préambule de sa présentation lors du Vendôme Paris Tech 2, le 28 novembre 2018. Expérimenté depuis quelques semaines dans trois établissements, le Ned vise à « dématérialiser certains processus de gestion internes »(6) en poursuivant trois objectifs : « Le premier, c’est de décharger le personnel pénitentiaire de la réalisation d’un certain nombre d’actes administratifs. Le deuxième, c’est de déporter la responsabilité de ces actes sur les détenus et leurs proches pour leur donner un peu plus d’autonomie dans la gestion de la vie pénitentiaire. Le troisième objectif, c’est de proposer aux détenus des parcours de préparation à la sortie et de réinsertion plus dynamiques au sein du Ned en intégrant pleinement les partenaires de l’administration pénitentiaire », expliquait encore Philippe Courpron. Si le Ned signe de véritables progrès pour les personnes détenues en leur permettant, via des tablettes numériques, de consulter leur compte nominatif, de cantiner ou encore de saisir l’administration de requêtes, sa finalité première reste de rationaliser l’activité de l’administration pénitentiaire, les besoins des personnes détenues apparaissant comme secondaires.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’un accès à Internet – même limité – ne figure pas parmi les services qu’il propose. L’argument de la sécurité, brandi par la Dap pour justifier cette inertie, ne résiste pourtant pas à l’épreuve des faits : plusieurs dizaines de milliers de téléphones portables sont saisis chaque année par l’administration pénitentiaire – sur combien restés sous les radars ? Internet – tout réprimé soit-il – est, de fait, déjà en prison. Il suffit de flâner sur les réseaux sociaux où fleurissent les vidéos de prisonniers partageant des moments de leur quotidien pour s’en convaincre(7). Et tandis que d’un côté, les détenus sont privés d’une technologie qui leur permettrait d’être – en toute légalité – reliés au monde extérieur, de l’autre, on leur en impose d’autres qui, dans certains de leurs usages, les en coupent davantage encore.

Des ambivalences de l’entrée du numérique en détention

À condition qu’elle ne se substitue pas aux véritables rencontres, la visio présente des intérêts évidents pour le maintien des liens des personnes détenues avec l’extérieur, a fortiori lorsque de longues distances les séparent de leurs proches. Pour les personnes sourdes ou malentendantes, elle peut même être un outil précieux pour rompre l’isolement. Ainsi, l’introduction de la visiophonie en France à la faveur de la crise sanitaire, dont la Dap annonce la généralisation prochaine à l’ensemble des prisons, aurait pu constituer un formidable progrès si son coût – prohibitif – ne la rendait pas inaccessible à la plupart des personnes détenues.

En réalité, à l’heure actuelle, c’est surtout dans le domaine judiciaire qu’elles y sont le plus souvent confrontées. Utilisée pour compenser le manque de moyens de l’administration pénitentiaire pour réaliser les escortes judiciaires vers les tribunaux, la visio-audience gagne toujours plus de terrain et devrait concerner 30% des audiences en 2023, selon les prévisions de l’Administration pénitentiaire. Or, « l’audience est déjà un moment un peu compliqué en tant que tel, et le recours à ce procédé l’accentue. Au-delà des péripéties techniques – son haché, image pixellisée – souvent il ne permet pas un véritable échange. Le procédé éloigne la personne détenue, de façon importante, de ce qui est en train de se jouer », alerte Morgan Donaz-Pernier, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de Marseille. Et alors que cette forme de justice rendue par écrans interposés dégrade considérablement les droits de la défense, elle est dans bien des cas imposée aux détenus, leur consentement n’étant pas toujours requis.

Les nouvelles technologies tendent aussi à conquérir le champ médical, avec le développement de la télémédecine en détention. Lorsqu’il s’agit de solliciter l’avis d’un spécialiste, le recours à la téléexpertise se révèle souvent avantageux, tant il permet de réduire les délais. Quant aux téléconsultations, elles ont pour principal intérêt d’éviter aux personnes détenues des extractions souvent vécues comme une violence, tant les conditions dans lesquelles elles sont réalisées atteignent à leur dignité (fouilles à nu à l’aller et au retour, port de menottes et d’entraves à la vue des autres patients, présence imposée d’agents pénitentiaires dans le cabinet de consultation au mépris de la confidentialité des soins…). Mais, dans un contexte de raréfaction de l’offre de soins à l’intérieur des murs, le développement de la télémédecine en détention soulève aussi un certain nombre de questions éthiques non résolues. Si le consentement des personnes détenues est théoriquement requis, quelle valeur a-t-il lorsqu’un refus signifierait un report des soins à une date trop lointaine, voire indéterminée ? À partir de quand cesse-t-elle d’être un progrès et devient-elle un mode de soin dégradé ? « Une consultation en psy ou en médecine générale en prison, ce n’est pas seulement une consultation médicale, c’est surtout une présence ! On l’a vérifié pendant le confinement. Le soin, au sens large, c’est une présence à l’autre, une présence réelle, qui se touche », rappelle le Dr Lécu, médecin à l’unité sanitaire de Fleury-Mérogis. Avec elle, d’autres praticiens craignent que la télémédecine, en limitant encore un peu plus les contacts physiques, ne participe à « accentuer la déshumanisation » en prison.

Au-delà de la télémédecine, avec ces technologies, « on facilite les choses depuis la détention au détriment des permissions de sortir. Le risque, c’est que les personnes soient encore plus isolées et moins confrontées au monde extérieur », pointe Dorothée Dorléacq, représentante de la CGT-Insertion probation. À cet égard, nombreuses sont les voix à s’élever pour souligner les dangers liés à l’entrée de ces technologies en prison. Ainsi le CGLPL rappelle-t-il que « l’usage du numérique ne doit jamais se substituer totalement aux interactions humaines »(8).

Internet en prison, une boîte de pandore ?

Aussi souhaitable et indispensable soit-elle, l’introduction d’Internet en détention n’est pas non plus sans comporter des risques pour les droits des personnes détenues. Se pose d’abord la question de la protection de leurs données de navigation. Si cette problématique concerne tout un chacun à l’extérieur, les enjeux sont, pour les personnes privées de liberté, particulièrement lourds. Le risque est en effet grand que ces données soient exploitées « à des fins d’évaluation de leur capacité de réadaptation ou de leur potentielle dangerosité, dans le prolongement du déploiement en cours d’outils prédictifs évaluant notamment le comportement des intéressés en détention »(9), soulignaient les organisateurs d’un colloque en mai 2019. « Dès lors, comment garantir la protection du droit au respect de la vie privée et en particulier des données personnelles derrière les murs ? », peut-on s’interroger avec eux. Ailleurs, l’introduction d’Internet en prison conduit aussi « à ce que la logique économique traverse les murs ou s’en accommode, quand elle n’en tire pas carrément un profit spécifique »(10), observe la criminologue Marie-Sophie Devresse. La précarité économique dans laquelle sont maintenues les personnes détenues et l’impératif sécuritaire auquel elles sont soumises « ne les place cependant pas à armes égales avec le public extérieur face à ce nouveau marché dont [les détenus] sont devenus les acteurs malgré eux », alerte la chercheuse. Aux États-Unis, certaines prisons ont, sous la pression d’entreprises privées, décidé de « supprimer le droit de visite des détenus en présence réelle au profit de rencontres par visioconférences », dont le coût est par ailleurs entièrement supporté par les détenus, souligne Marie- Sophie Devresse. Si cette dystopie apparait encore fort éloignée de la France, il convient néanmoins dès à présent de poser les garde- fous. Pour que l’introduction tant espérée d’Internet dans les prisons françaises se fasse au service des détenus, pas à leurs dépens.

Par Laure Anelli


Tous pour un accès (encadré) à internet en prison

2011 : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ouvre le bal des recommandations au sujet d’Internet en prison, en écrivant que « des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis [les locaux partagés] le lien avec les services en ligne (“Internet”), l’administration pouvant se réserver de rendre impossible l’accès à certains d’entre eux […] de manière contrôlable et identifiée »(1). Dans son avis, l’autorité recommande aussi que « l’accès aux services de messagerie électronique » soit assuré, « dans les seules limites actuellement ouvertes par la loi pour les correspondances ».

2015 : la Farapej, fédération d’associations intervenant en détention, plaide pour « le développement d’Internet et des outils numériques en prison » afin, entre autres, de « permettre une meilleure information quant aux droits », « faciliter le maintien du lien familial », « limiter les phénomènes de dépendance et d’exclusion liés à l’illettrisme ou à la non-connaissance du français », « redonner de l’autonomie aux personnes en matière de démarches administratives », ou encore « se réhabituer aux modes de fonctionnement dans la société libre »(2).

2018 : l’Institut Montaigne, think tank « techno-libéral » proche d’Emmanuel Macron, soutient qu’« il est urgent de dépasser cet immobilisme afin de mettre le numérique au service de la réinsertion et de la montée en gamme du travail pénitentiaire »(3).

2019 : c’est au tour du Défenseur des droits (DDD), dans un rapport consacré à la dématérialisation et aux inégalités d’accès aux services publics, de recommander de « permettre à l’ensemble des personnes privées de leur liberté, en particulier dans les établissements pénitentiaires, de disposer d’un accès effectif aux sites internet des services publics, des organismes sociaux et aux sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale »(4).

En novembre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) préconise la « mise en œuvre de solutions techniques permettant [aux personnes détenues] de disposer d’une adresse internet et d’accéder aux sites internet nécessaires à leurs démarches d’insertion »(5).

En décembre, la même année, le CGLPL se fend d’un nouvel avis sur le sujet. Étoffant ses recommandations de 2011, l’autorité réclame que soit aménagé « un accès réel, direct, individualisé et contrôlé aux services en ligne en cellule », « que chaque personne détenue puisse disposer d’un accès à des sites d’information de toute nature », à « un système de messagerie », « ainsi qu’à un système de vidéocommunications » – prenant toutefois soin d’assortir chacune de ces demandes de nombreuses mesures de limitation et de contrôle à des fins sécuritaires(6).

2021 : à l’occasion d’un nouvel avis, publié en septembre, le DDD appelle à « ce qu’une partie des contenus existant sur Internet puisse être accessible librement au sein des établissements pénitentiaires : sites internet des services publics, des organismes sociaux et sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’Éducation nationale »(7). La DDD recommande par ailleurs que cette ouverture soit accompagnée de la création d’un coffre-fort numérique « afin de permettre aux personnes placées sous-main de justice de conserver l’ensemble des documents administratifs et partant, d’éviter une rupture des droits entre la période de détention et la période de liberté ».

En octobre, au tour d’Emmaüs-France et du Secours catholique de remettre le sujet sur la table, en faisant de la « garantie d’un accès au numérique encadré en détention » l’une de leurs vingt-cinq recommandations pour lutter contre le cercle vicieux prison-pauvreté( 8).

(1) Avis du 20 juin 2011 relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues.
(2) « Vers le développement des technologies numériques en prisons. Réflexions associatives », décembre 2015.
(3) « Travail en prison : préparer (vraiment) l’après », février 2018.
(4) « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », 2019.
(5) « La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous », novembre 2019.
(6) Avis du 12 décembre 2019 relatif à l’accès à Internet dans les lieux de privation de liberté.
(7) Avis 21-13 du 30 septembre 2021 relatif à l’identification des dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.
(8) « Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison », septembre 2021.


Pourquoi les téléphones portables sont indispensables aux personnes détenues

Les téléphones portables et autres accessoires (chargeurs, cartes sim, etc.) représentent près de la moitié de l’ensemble des objets illicites confisqués chaque année en prison. 40 000 ont été saisis en 2017 : un nombre en constante augmentation selon la Direction de l’administration pénitentiaire, qui n’a pas souhaité communiquer de chiffres plus récents.

« Quand on est en prison et qu’on est loin de sa famille, le téléphone, on ne peut pas s’en passer, s’exclame Romain. Je n’avais pas beaucoup de parloirs : je téléphonais à ma famille, j’allais sur Snapchat, je partageais des photos, des vidéos de ma cellule, j’utilisais la visio pour voir mes neveux grandir. » Autant d’usages avec lesquels ne peuvent concurrencer les cabines téléphoniques, disponibles en promenade, en coursive et – de plus en plus souvent – en cellule. Les tarifs des communications, fixés par l’administration pénitentiaire, sont en effet prohibitifs. Un forfait de 10€ permet par exemple d’appeler une heure vers des téléphones mobiles. Au-delà du forfait, il faut compter huit centimes la minute vers un fixe, et dix-huit vers un mobile. Depuis les prisons d’outre-mer, 20€ permettent 1h20 d’appels, que ce soit vers des téléphones fixes ou mobiles. Des tarifs unanimement dénoncés par les personnes détenues. « Je préfère prendre une carte SFR et avoir un forfait illimité pendant un mois plutôt que de mettre 500€ par mois dans un forfait », affirme Romain. Et ce ne sont pas les visio-parloirs, récemment installés, qui feront changer les pratiques : à 30 centimes la minute, peu nombreuses sont les personnes détenues qui les utilisent.

Au-delà du coût, les cabines présentent d’autres inconvénients. « Quand vous êtes obligé d’appeler dans la promenade, il y a cinquante personnes autour de vous. Vous n’allez pas parler avec votre mère, votre petit frère, etc. alors que tout le monde écoute, c’est bizarre », explique Karim. Outre les problèmes de confidentialité, se posent également des problèmes d’accès aux cabines situées en promenade ou en coursive : les personnes détenues ne peuvent les utiliser qu’en journée. « C’est bête, mais les gens travaillent en journée ! » soupire un autre détenu. « Et puis ils écoutent vos conversations, ça ne sert vraiment à rien » conclut Karim, soulignant le fait que les appels passés depuis les cabines sont susceptibles d’être écoutés par l’administration.

Si le maintien de liens familiaux mis à mal par l’incarcération est souvent le premier argument avancé par les personnes détenues pour expliquer le recours au téléphone portable, il n’est cependant pas le seul. « En prison, Internet m’a sauvé la vie ! J’ai pu faire des démarches comme me désinscrire de Pôle emploi, arrêter mes allocations de la Caf, me connecter à mon compte bancaire et me faire des virements », énumère Karim. Car là aussi, les moyens légaux disponibles montrent vite leurs limites. Les détenus n’ayant pas accès à Internet, seuls leurs conseillers d’insertion et de probation ou assistants sociaux sont à même de les effectuer… si tant est qu’ils en aient la possibilité matérielle et le temps nécessaire.

Enfin, pour les personnes qui purgent de longues peines, il s’agit aussi de ne pas perdre pied avec les évolutions technologiques : « Quand je suis rentré en prison, j’avais le Nokia 3310 ou le Samsung coulissant. Si je n’avais pas eu de téléphone en détention, je n’aurais pas su me servir du tactile. En sortant, j’aurais été foutu ! », s’exclame Romain. Un détail loin d’être anodin, à l’heure où le numérique s’impose dans chaque aspect de la vie quotidienne. – Charline Becker et Céline Mayoux


(1) Note du 21 mai 2004 intitulée « Interdiction faite aux détenus d’accéder à internet et à tout [système d’information (SI)] extérieur ».
(2) Circulaire du 13 octobre 2009 relative à l’accès à l’informatique pour les personnes placées sous main de justice.
(3) Le quartier femmes des Baumettes, le CP de Bordeaux- Gradignan, la MA d’Amiens, la MC de Saint-Martinde- Ré, le CP de Metz-Queuleu, l’EPM de Lavaur, le quartier CD du CP pour femmes de Rennes.
(4) « L’Accès à l’information par des services numériques : discours et pratiques des utilisateurs en milieu contraint », D. Paquelin, 2012.
(5) Avis du 12 décembre 2019 relatif à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté.
(6) Convention de délégation de gestion du 11 décembre 2018 entre les ministères de l’Action et des comptes publics et de la Justice.
(7) « “Ça permet de s’évader” : sur Tiktok, ces détenus racontent leur quotidien en prison », bfmtv. com, 08/12/2021.
(8) Voir notamment l’avis du 12 décembre 2019 du CGLPL,
(9) « Prison et nouvelles technologies : quelle protection des droits fondamentaux ? », colloque organisé par l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS- Univ. Paris 1) et European Prison Litigation Network dans le cadre des Rencontres européennes « Prison et numérique », 23 mai 2019.
(10) Devresse M.-S. (2021), « La pénalité de l’accès : Territoires digitaux intimes et extimes des sanctions », Archives de politique criminelle, n°43, pp. 165-181.