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« Good Lives Model » : l’avant-garde du suivi des condamnés

Conçu en 2003 et développé à partir de 2007 par le chercheur australien Tony ward et ses collègues, le « Good Lives Model » est une nouvelle approche résolument humaniste du suivi des condamnés. Avec pour hypothèse de départ : la commission d’une infraction est une façon inadaptée de répondre à des besoins humains légitimes, le suivi ayant dès lors pour but d’aider la personne à mettre en place d’autres façons de répondre à ses besoins sans nuire à autrui.

Chercheur et professeur de psychologie à l’Université Victoria de Wellington (Australie), Tony Ward est le concepteur du « Good Lives Model ».

Alors que le modèle « risque-besoins-réceptivité » (risk-needs-receptivity, RNR) apporte de sérieuses garanties scientifiques, pourquoi de nouvelles méthodes sont-elles apparues ?

La principale critique formulée à l’encontre du modèle RNR porte sur son incapacité à motiver et impliquer les personnes condamnées dans la prise en charge. Les individus sont perçus et évalués essentiellement à travers les risques dont ils sont porteurs, ce qui ne leur donne pas envie de coopérer1. Or, pour qu’un traitement fonctionne, qu’un changement réel s’opère, il faut que la personne trouve ses propres « motivations internes » et pas seulement « externes » (comme le fait de se conformer aux attentes de la Justice ou du professionnel chargé de son suivi). Ce manque de motivation explique des taux d’abandon en cours de programme particulièrement élevés, qui peuvent atteindre 30 à 50 % pour les délinquants sexuels2. Or, les recherches parviennent toutes à la conclusion qu’une personne arrêtant un programme en cours de route a plus de probabilités de récidiver qu’une personne le menant à terme, mais aussi qu’une personne qui ne l’a jamais entamé3 ! C’est ainsi que les programmes RNR peuvent paradoxalement échouer à intégrer les délinquants sexuels les plus à risque et qui en auraient le plus besoin4. Le « principe du risque », selon lequel il faut réserver les programmes de suivi les plus intensifs aux personnes présentant le plus de risques de récidiver, est de fait le plus difficile à respecter.

Selon les théories du « Good Lives Model » et de la « désistance », il faut veiller, lorsque l’on tente de persuader une personne de quitter la délinquance, à construire des « points d’appui » plutôt qu’éradiquer, contrôler ou gérer le risque. La recherche sur la question de la motivation montre clairement que la meilleure façon d’engager quelqu’un à modifier ses comportements est de se concentrer sur des objectifs qui aient du sens pour lui5. Se contenter d’ordonner à des délinquants de participer à des suivis ou programmes exigeants, afin de les rendre moins « néfastes » ne constitue pas une option très attractive. Il faut qu’ils entrevoient la possibilité d’une vie plus satisfaisante, et perçoivent que les agents qui les suivent se préoccupent de leur sort, seront personnellement investis dans l’accompagnement tout au long de ce parcours6. © Bernard Le Bars

Quels sont les aspects négatifs de l’approche de « gestion des risques » que le « Good Lives Model » (GLM) tente de pallier ?

En premier lieu, les objectifs de la « gestion des risques » sont de réduire les facteurs de risque de récidive, principalement en encourageant une hyper-vigilance et un évitement des situations à risque. Or, il s’avère que tout être humain est plus motivé par une perspective positive de « buts à atteindre ». Les personnes sont alors focalisées sur des résultats positifs et donc persévèrent plus longtemps que des personnes conduites par des objectifs d’évitement, qui se concentrent sur les menaces. Le suivi permet, dès lors, de conseiller les individus sur la meilleure façon d’atteindre leurs propres objectifs plutôt que de leur rappeler la menace de conséquences négatives s’ils ne changent pas7. Recadré sur des buts à atteindre, l’objectif de prévention de la récidive pourrait être reformulé de la façon suivante : « Devenir quelqu’un qui vit une vie satisfaisante et respectueuse des autres. » Il peut être subdivisé en objectifs intermédiaires ayant un sens particulier pour l’individu concerné et qui lui apportent des orientations pour sa vie, comme par exemple, « accroître sa confiance en lui dans le cadre de ses relations avec des femmes adultes ». Cette approche peut aider les délinquants à vivre une « meilleure vie », et pas seulement une vie qui « cause moins de dégâts ».

En second lieu, les objectifs d’une prise en charge basée sur la gestion du risque sont imposés aux délinquants plus qu’ils ne sont mutuellement définis, ce qui compromet la relation entre le praticien et la personne suivie. Des chercheurs8 ont montré qu’une relation placée sur le registre de la confrontation avait un impact négatif sur les changements d’attitude et de comportement, alors que des manifestations d’empathie, d’encouragement, mais aussi un certain degré de « directivité » facilitaient les évolutions en cours de suivi. Le caractère didactique de l’approche par la gestion du risque laisse peu de marge à une relation de ce type, alors que l’attention mise sur la posture du professionnel et la qualité de la relation apparaît essentielle.

En troisième lieu, des chercheurs ont défendu l’idée selon laquelle le fait de ne se concentrer que sur les « besoins criminogènes » (ceux qui ont un lien direct avec la délinquance) freine l’implication dans le suivi, et que porter attention à des besoins « non criminogènes », tels que ceux qui améliorent le bien-être et la qualité de vie, peut l’améliorer. Par exemple, il sera probablement vain de travailler sur les besoins criminogènes dans un contexte de détresse personnelle ou de crise financière (qui sont deux besoins non criminogènes), la prise en compte de ces problématiques aiguës pouvant constituer un préalable nécessaire9. En ce sens, une autre limite de « la gestion du risque » est de n’accorder qu’une attention minimale au retour et à la réintégration dans l’environnement social (hormis l’identification et l’évitement des situations à haut risque). Or, les travaux sur la désistance soulignent le rôle prépondérant de l’environnement – relations qui apportent un soutien, accès à un emploi – dans l’arrêt durable de la délinquance. Par exemple, le fait de fréquenter des personnes qui entretiennent les convictions favorables à la commission d’infractions ne pourra guère favoriser la pérennité des changements de convictions acquis au cours du suivi. Par conséquent, la construction et le renforcement d’opportunités, de ressources et de soutien dans les relations sociales devraient être centraux dans les efforts visant à réhabiliter et réintégrer des délinquants10.

A mon sens, l’échec de l’approche de gestion du risque à impliquer les justiciables dans le processus de réhabilitation vient de ses présupposés théoriques, qui ont tendance à ignorer que les êtres humains sont porteurs de valeurs, chercheurs de sens et poursuivent des objectifs. Elle réduit implicitement la délinquance à un dysfonctionnement quasi-mécanique qu’il suffirait de réparer. Dans l’approche du « Good Lives Model », nous estimons que ces interventions alliant évaluation des risques et programmes cognitivo-comportementaux ne sont pas à bannir, il s’agit même d’une base nécessaire, mais elles ne sont pas suffisantes. Nous soutenons que la réhabilitation des délinquants nécessite une double focale : réduire les risques, mais aussi dé nir avec la personne des objectifs lui permettant de satisfaire ses besoins et valeurs autrement que par la délinquance11. Concrètement, le GLM est donc utilisé en complément du modèle RNR, et non en substitut.

Quelles sont les différentes étapes de l’accompagnement dans le cadre du GLM ?

Le « Good Lives Model » repose sur l’idée selon laquelle les comportements criminels surviennent lorsqu’un individu ne dispose pas des ressources internes et externes nécessaires pour respecter ses besoins et valeurs par des moyens « pro-sociaux ». En d’autres termes, le comportement délinquant constitue une tentative inadaptée de répondre à ses besoins fondamentaux12. Dès lors, les praticiens sont invités à construire explicitement un programme de suivi qui aide chaque délinquant à acquérir les connaissances, compétences, opportunités et ressources nécessaires pour répondre à ses besoins propres d’une autre manière, sans porter préjudice aux autres. Le GLM prend ses racines dans le concept de dignité humaine et de droits humains universels et porte par conséquent un accent fort sur le libre arbitre des individus. C’est-à-dire que le GLM s’intéresse à la capacité des individus à formuler et choisir des objectifs, bâtir des projets et agir librement pour leur réalisation. Cela implique aussi de reconnaître que les auteurs d’infractions peuvent chercher à travers leurs actes à satisfaire des besoins fondamentaux communs à tous les êtres humains.

Avec mes collègues, nous avons proposé une classification de ces besoins « primaires » en 11 types : (1) la vie (au sens de respecter en vie, ce qui comprend de mener une vie saine et d’avoir un bon fonctionnement physique), (2) le savoir (les connaissances), (3) l’accomplissement dans les loisirs, (4) l’accomplissement dans le travail (avoir le sentiment d’exceller dans un domaine), (5) l’autonomie (capacité à décider pour soi-même), (6) l’équilibre émotionnel (être libéré de tourments et de stress émotionnels), (7) l’amitié (y compris intime, amoureuse et les relations familiales), (8) la communauté (sentiment d’appartenance à un environnement social), (9) la spiritualité (au sens de trouver un sens et une raison à la vie), (10) le bonheur et (11) la créativité13. Si l’on accepte l’idée que tous les êtres humains cherchent, à des degrés divers, à satisfaire tous ces besoins primaires, l’importance accordée à chacun d’eux reflète les valeurs et priorités dans la vie d’un individu. Les besoins « instrumentaux » ou « secondaires » constituent les moyens de répondre aux besoins primaires et prennent la forme de buts à atteindre14. Par exemple, le fait de suivre une formation peut satisfaire pour une personne des besoins tels que le savoir, l’accomplissement dans le travail, ou encore l’amitié à travers la rencontre de nouvelles personnes.

Lorsque l’on applique le GLM, l’évaluation commence par l’identification du poids accordé par le délinquant à chacun des besoins primaires, ce qui permet d’avoir une idée de ce que pourrait être une vie « saine » ou « accomplie » pour lui. Des questions précises lui sont ainsi posées sur ce qui est particulièrement important pour lui dans la vie, ses activités ou expériences quotidiennes auxquelles il attache le plus de prix… Dans un deuxième temps, il s’agira d’identifier les objectifs et valeurs qui apparaissent nettement derrière les actions liées à sa délinquance. Dans un troisième temps, le praticien et le délinquant cherchent à formuler les besoins secondaires ou objectifs qui permettront à la personne de satisfaire ses besoins primaires d’une façon socialement acceptable. Il en résulte un « plan de vie » élaboré conjointement, complété par un programme d’actions visant à aider le délinquant à le mettre en œuvre. Ce programme élaboré au cas par cas prend également en compte les «besoins criminogènes» ou « facteurs de risques », qui pourraient entraver la mise en œuvre du plan de vie. Le praticien GLM utilise également des outils d’évaluation des risques, il peut aussi intégrer au programme des modules issus des thérapies cognitivo-comportementales, portant par exemple sur la « régulation des émotions », la « résolution de problèmes » ou « l’auto-régulation »… C’est ainsi que le programme d’action peut comporter tout autant un travail sur le renforcement des capacités et compétences « internes », qu’une aide visant à maximiser les ressources « externes » et le soutien social. Porter attention à l’environnement social et relationnel d’un délinquant peut aussi impliquer d’intervenir, lorsque nécessaire, pour rétablir des relations positives avec la famille, les pairs ou la communauté dans un sens plus large.

Le suivi devrait permettre de conseiller les individus sur la meilleure façon d’atteindre leurs propres objectifs plutôt que de leur rappeler la menace de conséquences négatives s’ils ne changent pas

Où le GLM est-il utilisé aujourd’hui, par quels types de professionnels et pour quels types de délinquance ?

De nombreux programmes inspirés du GLM ont été développés de par le monde, mais il nous est impossible d’en connaître le nombre exact pour l’instant. Un rapport récent15 a montré qu’un nombre important (autour de 600) de programmes américains et canadiens à destination des auteurs de violences sexuelles identifient le GLM comme l’une de leurs principales références théoriques. Les programmes inspirés du GLM sont mis en œuvre soit par des agents de probation, soit par des travailleurs sociaux, soit par des psychologues, infirmiers ou psychiatres. Ils concernent principalement des délinquants sexuels adultes, mais aussi des auteurs de violences inter-personnelles, des auteurs de violences familiales, des jeunes délinquants, des toxicomanes, des délinquants atteints de pathologies mentales, des délinquants psychopathes, des délinquants intellectuellement déficients… Dans les cinq ans à venir, d’autres évaluations vont être finalisées, et nous espérons au moins pouvoir dresser une liste des programmes GLM qui ont été sérieusement testés et évalués quant à leur délité aux principes théoriques et leurs effets en termes de réinsertion.

Existe-t-il des études d’impact sur le GLM équivalentes à celles des programmes RNR ?

La critique la plus courante portée à l’encontre du GLM est qu’il manque de preuves scientifiques de son efficacité16. Toutefois, le GLM ne peut aucunement être évalué de la même manière que les programmes RNR, car il ne s’agit pas d’un programme, mais d’un cadre d’intervention plus global pour les professionnels. Néanmoins, des programmes qui intègrent les hypothèses du GLM sont développés et évalués : ils doivent être compris comme étant compatibles avec le GLM, sans être le GLM en tant que tel17. Un corpus de plus en plus important d’études a ainsi intégré les principes du GLM aux interventions destinées aux délinquants sexuels, avec des résultats positifs18. D’autres sont venues renforcer les hypothèses fondatrices du GLM19. Tous ces travaux montrent que l’adoption du GLM améliore l’implication de la personne dans la prise en charge et la qualité des relations entre le justiciable et le professionnel qui le suit, ainsi que la désistance sur le long terme.

Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras

1. Mann, 2000 ; ward & Maruna, 2007.

2. Browne, Foreman & Middleton, 1998 ; Moore, Bergman & Knox, 1999 ; ware & Bright, 2008.

3. Hanson et al., 2002.

4. Beyko & wong, 2005.

5. Amodeo, Kurtz, & Cutter, 1992 ; Emmons, 1999 ; Gorman, Gregory, Hayles & Parton, 2006 ; McMurran, 2002.

6. Mc Neill et al., 2005.

7. Higgins, 1996.

8. Marshall et al., 2003 ; Serran, Fernandez, Marshall & Mann, 2003.

9. ward & Maruna, 2007.

10. ward & Nee, 2009.

11. ward, Mann & Gannon, 2007; ward & Maruna, 2007 ; ward & Stewart, 2003.

12. ward & Stewart, 2003.

13. ward & Gannon, 2006 ; ward, Mann & Gannon, 2007.

14. ward, Vess, Collie & Gannon, 2006.

15. McGrath, Cumming, Burchard, Zeoli & Ellerby, 2010.

16. Bonta & Andrews, 2003 ; Oglo & Davis, 2004.

17. Laws & ward, 2010 ; ward & Maruna, 2007.

18. Gannon, King, Miles, Lockerbie, & willis, à paraître ; Harkins, Flak, & Beech, 2008, à paraître ; Lindsay, ward, Morgan, & wilson, 2007 ; Marshall, Marshall, Serran, & O’Brien, 2011; Simons, McCullar, & Tyler, 2009 ; ware & Bright, 2008 ; whitehead, ward, & Collie, 2007.

19. Barnett & wood, 2008 ; Bouman, Schene, & de Ruiter, 2009 ; willis & Grace, 2008 ; Yates, 2010.