En prison plus qu'ailleurs, la prévention des incendies est un enjeu de taille, ne serait-ce que parce que des personnes y sont maintenues captives. Pourtant, les contrôles dans ce domaine restent limités, tant dans leur fréquence que dans leur portée. Aux dysfonctionnements matériels s’ajoutent souvent des carences dans la formation des surveillants. Avec parfois, des conséquences dramatiques.
Chaque année, plus de 900 feux de cellules – le plus souvent des actes volontaires – sont répertoriés par la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap). Un nombre sans doute largement sous-évalué, puisque seuls les incendies occasionnant des dégradations importantes ou des extractions médicales sont recensés. Ces feux donnent parfois lieu à des drames : rien que cet été, une personne détenue est décédée et au moins deux autres ont été hospitalisées dans un état critique au service des grands brûlés. Ces cinq dernières années, au moins vingt-et-une personnes ont perdu la vie dans des incendies en cellule, d’après le recensement établi par l’OIP(1).
Comme tous les établissements recevant du public, les prisons doivent être dotées de dispositifs de protection. Mais ce ne sont pas des établissements publics ordinaires : si le niveau de surveillance y est élevé – via les rondes, les miradors et les caméras –, l’inaccessibilité des façades complique l’intervention des pompiers et l’impossibilité pour les personnes détenues de se déplacer librement multiplie les risques. « La justice a imposé à ces personnes une privation de liberté. Pour autant, on ne doit pas les priver de leur sécurité, pose un pompier spécialiste de la sécurité incendie en prison. Comme leur liberté de mouvement est entravée et qu’ils n’ont pas la capacité par eux-mêmes d’assurer leur propre sécurité, il faut que la société, c’est-à-dire nous collectivement, leur garantisse. » Mais force est de constater que cet impératif, tout autant moral que réglementaire, est loin d’être toujours rempli.
Des contrôles aux impacts limités
C’est d’abord aux chefs d’établissement qu’il incombe de veiller au respect des normes en matière de sécurité incendie( 2). Ils doivent ainsi s’assurer de former le personnel, d’entretenir les installations et de programmer les visites techniques réglementaires – toutes ces démarches devant être répertoriées dans un registre de sécurité incendie. Des obligations parfois prises à la légère : en 2020, l’Inspection générale de la justice (IGJ) notait que « la traçabilité des interventions dans le cadre des contrôles techniques obligatoires n’[était] que partiellement respectée ».
La conformité des prisons à ces normes est ensuite contrôlée régulièrement par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Accessibilité des bâtiments, état des circuits électriques, ventilation, désenfumage, etc., sont ainsi inspectés, à une fréquence qui varie suivant la taille des établissements : de tous les deux ans pour ceux supérieurs à 700 places à tous les cinq ans pour ceux détenant moins de cent personnes. À l’issue de ses visites, le SDIS émet un avis, favorable ou défavorable, à la poursuite de l’exploitation de l’établissement – assorti ou non de prescriptions. Pas moins de 35 établissements (sur les 188 que compte la France) ont ainsi été visés par un avis défavorable depuis 2015 (voir encadré). Ces prescriptions ne sont cependant pas contraignantes et les avis défavorables ne donnent jamais lieu à la fermeture de l’établissement visé. Interrogée sur la suite donnée à ces avis, la Dap a assuré suivre ces recommandations « sauf exception », sans plus de précisions sur les établissements concernés et l’état d’avancement des mises en conformité.
Dans certaines prisons, les travaux tardent pourtant à être réalisés, au mépris des risques pour la vie des personnes détenues comme pour celle des personnels. En 2014, la maison centrale de Poissy était ainsi visée par un premier avis défavorable. Ce dernier décrivait un système de sécurité incendie « obsolète », au fonctionnement « aléatoire », à l’instar des volets de désenfumage à remplacer depuis 2008. Plus de 300 non-conformités étaient relevées sur le réseau électrique, avec pour effet un « risque de surchauffe des circuits » et un « danger d’électrisation ». En cas d’incendie, le système d’éclairage de sécurité était décrit comme « partiel et incomplet ». « Les engins de secours ne peuvent pas accéder à tous les bâtiments, leur accès aux poteaux incendies est compliqué et le système de désenfumage des locaux est quasiment inexistant », relevait par ailleurs le rapport(3). Deux ans après cet avis, un détenu décédait dans l’incendie de sa cellule. En 2017, la prison était à nouveau visée par un avis défavorable. Des « travaux d’urgence ont [alors] été réalisés » assurait la Dap dans un courrier du 28 septembre 2021. Ce n’est toutefois qu’en 2018, soit quatre ans après le premier avis défavorable, qu’un schéma d’amélioration a été soumis. Ce dernier prévoyait quatre ans de gros travaux. Deux ans plus tard, en dépit d’une première phase de travaux réalisés notamment au QD sur les systèmes de détection incendie et de désenfumage, l’avis restait défavorable, selon le maire de Poissy(4). D’après la Dap, la rénovation électrique du bâtiment aurait cependant depuis été achevée et le reste des opérations (notamment la création d’une voie pompier) devait se terminer d’ici le mois de novembre.
Cumul de dysfonctionnements
Poissy est loin d’être un cas isolé. De nombreuses défaillances techniques sont en effet régulièrement constatées en cas d’incendie. L’une des plus fréquentes concerne les moyens de donner l’alerte. Si les surveillants disposent de plusieurs possibilités de communiquer avec le poste de centralisation de l’information (PCI), un seul outil est à la disposition des détenus : les interphones. Or, il arrive que ceux-ci soient défectueux. Dans l’incendie qui coûta la vie à un homme à Villepinte en juin 2020, plusieurs témoins ont ainsi mis en cause des dysfonctionnements dans l’interphonie( 5).
Les établissements doivent également être dotés de systèmes permettant de détecter et signaler automatiquement tout départ d’incendie, complétés par des déclencheurs manuels. Mais en dehors des cuisines, du quartier disciplinaire et des cellules de protection d’urgence (voir encadré), aucune norme n’impose la présence de détecteurs de fumée en détention, soumettant cette décision à la libre appréciation des chefs d’établissements – une légèreté règlementaire qui ne peut qu’interpeller au regard du nombre d’incendies annuels. Conséquence : de nombreuses prisons ne disposent pas de détecteurs en coursives.
Quant aux alarmes, elles s’avèrent parfois peu fiables. Lors de l’incendie de Villepinte par exemple, « l’alarme s’est déclenchée, mais pas dans le bon bâtiment », selon un témoin. À la prison de la Santé, pourtant rénovée récemment, les syndicats de personnel ont dénoncé à plusieurs reprises le fonctionnement de la centrale incendie « qui ne répercute pas la détection en temps réel », ainsi que les systèmes d’alarmes incendie situés en coursive, « qui se déclenchent une fois sur deux ». Dans cet établissement, deux incendies ont entraîné la mort de personnes détenues en 2019. Pour l’un d’entre eux, survenu en octobre, le surveillant au poste d’information et de contrôle (Pic) a affirmé que « le détecteur de fumée dans la coursive s’[était] déclenché au moins une minute après que [ses] collègues [l’avaient] contacté ». Dans d’autres prisons, comme à Roanne, une note de la direction indique que « le déclenchement d’une alarme feu sur une zone, non réarmée, inhibe les autres déclenchements incendie de la zone ». Ainsi, lorsqu’une première alarme est déclenchée, « aucune autre alarme ni visuelle ni sonore n’apparaît sur la baie incendie du PCI » en cas de sinistre simultané. De manière générale, dans au moins sept décès sur les vingt-et-un répertoriés, l’alarme a été donnée par les miradors, les rondiers ou les détenus eux-mêmes. Une récurrence qui vient interroger le rôle exact joué par les systèmes de détection d’incendie.
Autre problème récurrent : le fonctionnement des trappes de désenfumage. Lorsqu’un feu se déclare en détention, l’une des priorités consiste à compartimenter les fumées et à les évacuer le plus vite possible. Ces fumées, extrêmement toxiques, sont en effet la principale cause de décès en cas d’incendie. Leur dissipation est en outre un enjeu primordial lors des interventions : « Les matériaux peuvent se consumer très vite et dégager une fumée intense rapidement : dans ces cas-là, on ne voit plus à un mètre en quelques minutes. Le désenfumage est essentiel pour rendre la zone accessible », explique un salarié de l’administration pénitentiaire. Tous les établissements doivent donc être dotés de trappes permettant une évacuation rapide des fumées. Ces dernières sont cependant parfois vétustes, et leur ouverture aléatoire. Dans les établissements de la Santé, Tarascon, Saint-Étienne ou encore Eysses, surveillants, pompiers ou techniciens font état de trappes difficiles à ouvrir, retardant d’autant les opérations de désenfumage. Dans certaines prisons vieillissantes, les systèmes relèvent parfois plus du bricolage. « Ici, nous sommes équipés d’une vieille machine, avec deux tuyaux à brancher. Il faut les clipper dans un sens précis, sinon ça ne fonctionne pas, puis trouver une prise électrique et aller mettre le tuyau à la fenêtre la plus proche. Imaginez quand les agents progressent dans une zone qui est déjà enfumée : c’est complétement archaïque ! », peste un personnel de l’administration pénitentiaire.
Quant aux lances d’incendie, censées pouvoir atteindre d’un jet tout point des locaux, elles se révèlent parfois trop courtes – comme à la prison de Grasse en 2015, avant que des travaux de rallongement ne soient effectués. Une situation qui ne semble pas rare : « Dans toutes les prisons où j’ai exercé, il manquait souvent cinq ou six mètres », témoigne un surveillant.
Si chacun de ces dysfonctionnements, pris isolément, peut être dramatique, il arrive que parfois, ils se cumulent. Ainsi, lorsqu’en janvier 2021, un homme incarcéré à Tarascon a mis le feu à sa cellule, non seulement les trappes de désenfumage n’ont pas fonctionné correctement, mais les surveillants ont également découvert que les équipements de protection étaient défaillants : gants et vestes anti-feu manquaient à l’appel, les lanières de plusieurs masques à oxygène ont cédé au moment de les enfiler et les lances d’incendies utilisées se sont révélées trop courtes. Ce n’est qu’ultérieurement que les agents ont appris, à l’occasion d’une formation, qu’ils avaient à deux reprises utilisé les mauvaises lances et que d’autres, plus proches de la cellule en feu, se trouvaient dans les tours d’intervention.
Une formation lacunaire des surveillants
« Malheureusement, la pénitentiaire n’a pas la culture de la sécurité incendie, souffle un cadre du ministère de la Justice. Même dans les nouveaux établissements, les détecteurs de fumée ne sont installés qu’au quartier disciplinaire : ça fait reposer toute la responsabilité de la sécurité incendie sur les surveillants, et ça suppose une présence et une réactivité 24h/24 de leur part. » Face à cette réalité, l’administration se devrait de prodiguer à ses agents une formation et un entraînement à la hauteur des enjeux. Or, sur ce dernier point, le constat d’une insuffisance généralisée est unanime.
« Un collègue s’est intoxiqué en intervenant sur un feu de cellule. Ça faisait un bout de temps qu’il n’avait pas eu de formation et il a mal positionné son masque sur le visage », témoigne un surveillant. « On est formé, mais trop peu. On n’est jamais dans le réflexe », confirme un autre. Des lacunes aux conséquences parfois lourdes.
Lors de l’incendie survenu à la prison de la Santé en octobre 2019, le véhicule de secours aux victimes s’est ainsi retrouvé bloqué à l’une des entrées de la prison. Face au refus des surveillants d’ouvrir la porte, le véhicule a dû faire le tour de l’établissement pour se présenter à une autre entrée. En attendant, ce sont les pompiers chargés de l’extinction de l’incendie, dépourvus de tout matériel d’aide aux victimes, qui ont dû amorcer un massage cardiaque : le détenu, sorti de sa cellule par les surveillants, se trouvait en arrêt cardiaque lorsque les pompiers sont arrivés, « sans qu’aucune manœuvre de réanimation [n’ait été] entamée », témoigne l’un d’entre eux. Et lorsqu’ils ont demandé aux surveillants de leur fournir un défibrillateur automatique externe, ces derniers ont mis « plus de dix minutes » à le trouver. Pour l’un des pompiers intervenus ce soir-là, « la prise en charge aurait pu être différente. Ce n’était pas volontaire de la part des surveillants, ils étaient réellement perdus et ne savaient pas quoi faire », souligne-t-il.
C’est encore le manque d’entraînement des surveillants qui est pointé du doigt par un cadre du ministère de la Justice au visionnage des images de vidéosurveillance enregistrées lors d’un autre incendie mortel : « On voit que les gens ne sont pas en train de finir leur partie de belote tranquillement : dès que l’alarme est déclenchée, ça court dans tous les sens – mais ça ne court pas au bon endroit. Ça réagit mal, mais ça réagit. On voit aussi qu’il y a un déficit d’expérience et de formation au moment où les surveillants vont s’équiper : ça prend du temps, on a l’impression que certains le font pour la première fois. » Si les chefs d’établissements sont censés assurer la formation et la sensibilisation des équipes, cette obligation semble largement négligée dans de nombreuses prisons. Dans son rapport d’activité 2020, l’IGJ tire d’ailleurs la sonnette d’alarme à ce sujet : « Les formations internes à la prévention et à la lutte contre le feu diminuent d’année en année du fait de l’absence de moniteurs incendie(6) dans bon nombre de structures. » De fait, dans de nombreuses prisons, comme à Eysses ou Tarascon, ces postes restent souvent vacants, parfois plus d’une année durant. « Il y a une formation, nationale et annuelle, qui accueille en général dix ou douze personnes, explique un membre de l’administration pénitentiaire. Pour 188 prisons, vous avez vite fait le ratio, d’autant plus qu’il y a beaucoup de démissions chez ces moniteurs ». L’IGJ pointe plus généralement le « manque d’effectifs, qui ne permettent plus d’envoyer les agents se former ». Sans compter que le turn-over du personnel pose des problèmes de passation. Bilan : « La maîtrise des systèmes de sécurité incendie (SSI) est souvent défaillante du fait de consignes d’utilisation qui finissent par se perdre ou qui ne sont connues que d’un seul agent (technicien ou gradé) », alerte l’IGJ.
par Charline Becker
Au moins 35 prisons visées par un avis défavorable ces cinq dernières années
Selon la Direction de l’administration pénitentiaire, 35 établissements ont reçu un avis défavorable de la part des sous-commissions départementales pour la sécurité contre les risques d’incendie entre 2015 et aujourd’hui : les maisons d’arrêt d’Ajaccio, Nevers, Bourges, Caen, Cherbourg, Coutances, Évreux, Saint-Malo, Vannes, Fontenay-le-Comte, La-Roche-sur-Yon, Châlons-en-Champagne, Colmar, Strasbourg, Montauban et la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis ; les centres pénitentiaires de Fresnes, Lille- Annœullin, Lille-Sequedin, Caen, Ducos, Remire-Montjoly, Faa’a Nuutania et le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes ; les centres de détention de Le Port (quartier haut), Val-de-Reuil, Melun (ateliers), Nantes ; les centres ou quartiers de semi-liberté de Corbeil, Melun, Nantes, Maxéville, Souffelweyersheim, Montpellier, La Valette.
La direction de l’administration pénitentiaire indique que « depuis, sauf exceptions, les prescriptions ont été suivies ou sont en cours de travaux, de vérifications ou encore de renseignements » – sans apporter plus de précisions.
Il est à noter que la maison centrale de Poissy, dont, il apparaît qu’elle était encore visée par un avis défavorable en 2020, ne figure pas dans cette liste. Cette dernière ne semble en outre pas tenir compte des établissements ayant ensuite reçu un avis positif du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), comme c’est notamment le cas des maisons d’arrêt de Villepinte et Grasse.
(1) Sur la base des affaires relatées dans la presse et dans les tracts de syndicats pénitentiaires.
(2) Selon l’arrêté du 18 juillet 2006 et la circulaire n°70020 du 12 janvier 2007.
(3) « Prison de Poissy : risques d’effondrements et sécurité incendie défaillante », Temps réel 78, 24 mai 2018.
(4) « Vétusté, mur effondré… Éric Dupond-Moretti rouvre le dossier de la prison de Poissy », Le Parisien, 24 septembre 2020.
(5) OIP, « Incendie à la prison de Villepinte : un mort, et beaucoup de questions », juillet 2020. Et aussi « Incendie mortel à Villepinte : un classement sans suite, et toujours autant de questions », Dedans Dehors n°108, octobre 2020.
(6) Personnel de surveillance, spécialement formé, qui s’occupe de l’entretien et de la vérification du matériel, ainsi que de la formation du personnel. Tous les établissements doivent en compter un – au minimum.