Karima, 22 ans, s’est suicidée le 29 octobre 2020 dans sa cellule du quartier disciplinaire de la maison d’arrêt des femmes de Fresnes. Incarcérée depuis cinq mois, elle supportait de moins en moins la détention. Petit à petit, incidents et procédures disciplinaires se sont accumulés, jusqu’à ce 29 octobre, où elle est sanctionnée de trente jours de quartier disciplinaire et apprend que la mesure de semi-liberté qui venait juste de lui être accordée risquait par conséquent d’être révoquée.
« Je suivais Karima depuis mars 2019, raconte son avocate, Maître Lina Belkora. C’était une fille que tout le monde qualifiait de forte, même si vu ses antécédents, elle était au fond très fragile. » Née à Paris, Karima a grandi ballotée de foyer en foyer, sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance : sa mère souffre de graves troubles psychiatriques qui l’empêchent de prendre soin d’elle et son père, qu’elle n’a jamais connu, a quitté la France. À l’adolescence, Karima commence à avoir « de mauvaises fréquentations ». Elle a plusieurs fois affaire à la justice, essentiellement pour récidive de conduite sans permis. « La première fois que je l’ai rencontrée, à Paris, j’étais commise d’office et de permanence et sur les six dossiers que j’avais dans la journée, elle sortait complètement du lot : elle était charismatique, belle, et très intelligente. Son enfance lui avait donné une certaine résilience. Elle était pleine d’envies et d’ambition. » À l’issue de l’audience, Karima est condamnée à 19 mois dont 9 de sursis avec mise à l’épreuve pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Elle est placée sous surveillance électronique au mois de décembre 2019.
« Les choses s’emballent en mars 2020, pendant le confinement lié à la crise sanitaire », raconte son avocate. Le 18 mars 2020, Karima coupe son bracelet et part. Elle est arrêtée le 22 mai, et condamnée en comparution immédiate à deux mois pour conduite sans permis et sans assurance, refus d’obtempérer, violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique et fourniture d’identité imaginaire. Et écopera en plus de cinq mois ferme pour évasion. Elle est incarcérée à la maison d’arrêt des femmes de Fresnes. « Au début, les choses se passaient bien en détention. Je lui apportais du linge et des livres », témoigne Maître Belkora. Fin juin, Karima dépose une demande d’aménagement de peine. Le juge de l’application des peines requiert que le dossier soit complété pour le 30 juillet. Absence de CPIP pendant l’été, retards de traitement des dossiers dus à la crise sanitaire… le dossier de Karima, bien que complet, n’est pas traité à temps. L’étude de la demande de semi-liberté est repoussée au mois d’octobre. La situation commence alors à se dégrader : petit à petit, Karima devient « plus tendue, impulsive », note Maître Belkora. La jeune femme confie à son avocate « avoir l’impression de se consumer de l’intérieur, que la détention ne lui apporte plus rien », se plaint que les séances avec le psychologue sont trop espacées. Son dossier pénitentiaire mentionne alors : « Personne détenue très réfractaire à respecter les ordres qui peuvent lui être donnés. Régulièrement signalée pour son comportement inadapté en détention. »
Je lui ai dit que tout n’était pas perdu, qu’il fallait attendre l’audience du jeudi suivant avec le JAP. Elle m’a dit : “J’ai pris trente jours, je ne vais pas tenir.”
Elle se coupait du monde et ne voulait pas recevoir la visite de ses amis, constate Maître Belkora. J’étais la seule à aller la voir, elle m’appelait très souvent pour me raconter ses déboires. » Les relations avec certains personnels, notamment le chef de détention, se détériorent encore. Des détenues rapportent à l’avocate que les relations de Karima avec le chef de détention étaient particulièrement tendues. Celle-ci fait l’objet de plusieurs comptes rendus d’incident. Le 14 septembre, elle est sanctionnée de dix-sept jours de quartier disciplinaire pour insultes, tapage et rébellion. La demande de semi-liberté de Karima est étudiée lors de la commission d’application des peines du 15 octobre. « L’audience s’est bien passée, rapporte Maître Belkora. Son comportement en détention a été abordé, Karima n’a pas nié les incidents et a expliqué qu’il lui fallait une structure cadrante pour l’accueillir si elle sortait. Elle a demandé des horaires restreints pour le week-end, beaucoup plus stricts que ceux que proposait le JAP. Elle souhaitait y aller petit à petit. Elle était très lucide. » La commission d’application des peines renvoie alors sa décision au 29 octobre.
L’incident et la sanction de trop
Le 27 octobre, Karima demande à être changée de cellule. Elle est reçue par le chef de détention, mais dans le bureau, le ton monte. Selon lui, Karima aurait commencé « à crier et à être très virulente » après qu’il l’aurait informée qu’il acceptait le changement de cellule mais pas avec la codétenue qu’elle souhaitait. Mais la version de Karima diffère : « Nous avons tous les deux commencé à crier ! Il m’a humiliée en me disant des choses blessantes : “Personne ne veut de vous ici.” » Puis, toujours selon elle : « Il a demandé aux surveillantes de me mettre en salle d’attente en m’attrapant par le bras et en me tirant vers la salle d’attente. Ce que je n’ai pas apprécié. J’ai donc essayé de me dégager de sa prise. » D’après le chef de détention, Karima lui aurait donné un coup de pied et « tenté de [le] blesser avec la pointe d’un stylo ». Elle est alors placée préventivement au quartier disciplinaire puis sanctionnée, lors d’une commission de discipline qui se tiendra le surlendemain, de trente jours de quartier disciplinaire pour violence et insultes à l’encontre du chef de détention. Ironie du sort, le même jour, la semi-liberté est accordée à Karima. Maître Belkora contacte l’administration pénitentiaire « pour voir si une autre mesure disciplinaire pouvait être envisagée, qui ne remettrait pas en cause l’aménagement de peine ». Mais celle-ci l’informe que le juge de l’application des peines a déjà été prévenu, et qu’une ordonnance d’incarcération provisoire doit être prise pour maintenir Karima en détention le temps d’organiser un débat contradictoire pour la révocation éventuelle de la semi-liberté le jeudi suivant. « Karima m’a appelée le soir même, relate Maître Belkora. Je lui ai dit que tout n’était pas perdu, qu’il fallait attendre l’audience du jeudi suivant avec le JAP. Elle m’a dit : “J’ai pris trente jours, je ne vais pas tenir.” »
Le lendemain matin, à 9h, l’avocate reçoit un appel de la directrice. Karima s’est pendue entre la ronde de 19h30 et celle de 21h30.
par François Bès