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La détention provisoire, creuset des inégalités

Certaines catégories de personnes risquent davantage que d’autres d’attendre leur jugement derrière les barreaux ; une situation qui augmente elle-même le risque d’être condamné à une peine de prison. Explications.

Les justiciables ne sont pas tous égaux face à la détention provisoire. Être né à l’étranger multiplie par cinq le risque d’attendre son jugement derrière les barreaux, comme l’établit une étude de 2013[1]. Les personnes sans domicile fixe ont quant à elles six fois plus de probabilités d’être emprisonnées avant leur jugement. Ces deux publics présentent « des destinées judiciaires marquées par des logiques discriminantes qui ne souffrent aucune comparaison avec celles des autres prévenu.e.s »[2].

Mais pour la chercheuse Virginie Gautron, co-autrice de l’enquête, on ne peut toutefois pas en déduire que les magistrats discriminent volontairement ces publics[3] – ou en tout cas pas directement. Juridiquement, ce que soulèvent les juges généralement, c’est le manque de « garanties de représentation ». Pour eux, opter pour la détention provisoire, c’est s’assurer que la personne se rendra aux convocations de la justice. Leur « hantise » : que la personne ne se présente pas à l’audience de jugement, faute d’avoir reçu la convocation, et se soustraie à l’exécution de sa peine – une crainte qui relève « pour partie de réels constats », note la chercheuse, du moins s’agissant des personnes sans domicile fixe. Ce raisonnement, basé sur un risque, n’en reste pas moins discriminant. C’est d’ailleurs aussi souvent cette obsession qui pousse les procureurs à faire juger ces publics en comparution immédiate. Ils courent en effet trois fois plus de risques d’être jugés dans le cadre de cette procédure rapide, à l’origine de la moitié des incarcérations avant jugement.

Cela dit, d’autres critères peuvent se superposer à celui des garanties de représentation. L’existence plus courante d’un casier judiciaire chargé[4], souvent liée à une délinquance de survie et une focalisation des moyens et de l’activité policière sur certains types d’illégalismes, conduit ainsi les juges à retenir également plus fréquemment pour ces catégories de personnes le critère du risque de renouvellement de l’infraction.

Or, toutes choses égales par ailleurs, le fait d’avoir été incarcéré avant jugement multiplie par huit la probabilité d’une condamnation à un emprisonnement ferme, les magistrats des juridictions de jugement ayant tendance à « confirmer les décisions d’incarcération prises en amont, à ‘‘couvrir ’’ les périodes de détention avant jugement », soulignent encore les auteurs. Mais ces « logiques » pénales n’expliquent pas tout : même sans être passées par la case prison avant leur jugement, les personnes sans domicile fixe ont deux fois plus de probabilités que les autres d’être condamnées à une peine ferme.

Par Laure Anelli


[1] V. Gautron, J.-N. Retière, « Des destinées judiciaires pénalement et socialement marquées », in Danet J., La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Presses universitaires de Rennes, 2013.
[2]  V. Gautron, J.-N. Retière, « La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? », Mouvements 2016/4, n° 88.
[3] « Petites contributions de la justice aux discriminations sociales », Dedans Dehors n°89, octobre 2015.
[4] 45 % des SDF présentaient au moins trois mentions au casier judiciaire, contre 17,4 % de l’échantillon.