Édito de Cécile Marcel, directrice de l’OIP-SF
Le 30 janvier 2020, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de ses prisons et sa surpopulation carcérale, et sommée de prendre des mesures immédiates pour y mettre un terme. Le 30 mai de la même année, cette condamnation devenait définitive. La situation s’est-elle améliorée depuis ?
Dans un rapport publié le 16 juin dernier avec le soutien d’Amnesty International, l’OIP dresse un tableau de l’état des prisons deux ans après cette cinglante condamnation. Et le bilan est sans surprise : nouveaux records de surpopulation, promiscuité, violence, insalubrité, vétusté, désœuvrement, prise en charge défaillante… La longue litanie des maux de la prison dont nous posons le constat dans ce rapport n’est malheureusement pas nouvelle. La rappeler, cependant, c’est dire et redire que nous refusons de nous y habituer. Qu’il y a derrière les murs des prisons des milliers d’hommes et de femmes dont la dignité est bafouée au quotidien: ici c’est un détenu incarcéré avec un fumeur alors qu’il est asthmatique, là des personnes contraintes de monter le volume de la télévision et de brûler de la peau d’orange pour couvrir le bruit et l’odeur de toilettes non séparées ; ici c’est une femme obligée de dormir avec deux pyjamas, un peignoir et un bonnet tant il fait froid l’hiver dans sa cellule non chauffée, là ce sont des murs qui s’effritent, suintent ou sont couverts de moisissure ; ici c’est un homme dont le matelas est imprégné d’urine, là un autre qui a fait plusieurs tentatives de suicide car il « n’en peut plus des rats, des cafards, des insultes, de la peur »… Ici encore, c’est une personne qui n’a pour toute occupation qu’une séance de sport par semaine et là, enfin, une femme qui en quatre mois de prison a tout perdu : son travail, sa famille.
Ce rapport est aussi l’occasion de rappeler que cette réalité n’est pas une fatalité : la crise sanitaire a montré qu’il était possible de diminuer drastiquement le nombre de détenus sans que cela ne pose de problème de sécurité. C’est d’ailleurs la voie qu’ont pris nombre de nos voisins européens. Pour cela, il faut repenser les politiques pénales. Pour cela, il faut revoir les priorités budgétaires et réorienter les sommes allouées à l’augmentation du nombre de places de prison vers l’amélioration des conditions de détention et le renforcement des alternatives à l’emprisonnement. Pour cela, il faut, en définitive, de la volonté et du courage politique. Alors que s’ouvre une nouvelle séquence politique aux contours encore incertains, c’est à ce courage que nous en appelons aujourd’hui, face à une situation chaque jour un peu plus intenable.
- Lire le rapport « Dignité en prison. Quelle situation deux ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme ? », OIP-Amnesty, 16 juin 2022.
Publié dans Dedans Dehors n°115, juin 2022.