Abordant la dernière année de son mandat, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dresse, dans son rapport d’activité 2012, un bilan des revirements culturels nécessaires à la réforme pénale et pénitentiaire en France.
A l’ensemble de ses lecteurs, Jean-Marie Delarue de mande, en avant-propos de son 5e rapport d’activité (1), de « se défaire de trois attitudes ». La première, qui revient à estimer qu’« ils n’ont que ce qu’ils méritent, […] se retourne contre ceux qui la prennent : si la privation de liberté s’accompagne de traitements inhumains, quel sera l’état des êtres qui les auront endurés au jour de leur sortie ? ». La deuxième emprunte à « un relativisme de bon ton », affirmant que la situation des lieux de privation de liberté dans « d’autres pays est bien pire ». Une «allégresse administrative» à laquelle le contrôleur rétorque qu’il « n’y a pas de thermomètre de la souffrance », ni de « petites entorses, de coups de griffe bénins, de méconnaissances blagueuses » des droits fondamentaux. La troisième, « la plus paralysante », tendrait à « interdire de mettre en cause un dispositif de privation de liberté au motif que ceux qui le servent font bien des efforts pour le faire fonctionner, que leur vie quotidienne est harassante, parfois dangereuse ». Une affirmation tout aussi exacte qu’elle s’inscrit à l’encontre des intérêts des personnels : « Ceux qui défendent une conception de la sécurité qui fait de la dignité des personnes sont les premières victimes de leurs convictions. »
Messages pour les politiques
A l’adresse de l’ancienne majorité, le Contrôleur général conteste de nouveau, en écho à son avis de juin 2012 relatif au nombre de personnes détenues, la pertinence d’un fort accroissement du parc carcéral. En effet, la croissance du nombre de détenus s’explique avant tout par une politique pénale ayant favorisé une extension « des infractions punies de prison », un « développement de procédures de jugement plus rapides », « la mise en œuvre de peines minimales »… A des maux identifiés, des remèdes adaptés, parmi lesquels « interroger le bien-fondé de l’emprisonnement pour certaines infractions et certaines personnes », « soumettre à examen la capacité du système pénitentiaire à prévenir la récidive », « développer de nouvelles peines hors emprisonnement – qui ne seront pas pour autant moins efficaces », « accroître l’aménagement des peines » en privilégiant les mesures « durables et facilitant la réinsertion » à la différence de procédés tels que le placement sous surveillance électronique, qualifié à l’oral par Jean-Marie Delarue de « mesure paresseuse ».
Il répond aux critiques ayant pu entourer son rejet d’un numerus clausus, « comme si refuser de prescrire un médicament dangereux revenait à se prononcer contre la guérison ». Un tel mécanisme reviendrait à décider de mettre fin à une détention « du seul fait de la situation des effectifs de l’établissement », aboutissant à ce que deux détenus « abrités à des moments différents dans le même établissement » aient une exécution de peine différente, « sans relation avec ce qu’ils sont ni ce qu’ils ont commis ». Le numerus clausus pourrait aussi impliquer « de faire attendre à la porte de la prison qu’une place se libère », avec pour effet de voir exécuter des peines « des mois ou des années » après leur prononcé, à l’encontre de personnes parfois réinsérées dont les efforts seraient ainsi ruinés.
A l’adresse de la nouvelle majorité, le Contrôleur apporte son soutien aux nouvelles orientations de politique pénale dénies dans la circulaire du 19 septembre 2012, s’appuyant sur les « dispositions qui privilégient les mesures à l’incarcération et d’aménagement des peines ». Mais il signifie qu’elles « ne règlent pas toutes les questions ». En l’absence de réforme législative, la procédure pénale reste en effet « tiraillée entre des inspirations diverses ». S’il se félicite du « ralentissement de la construction de nouvelles prisons », il interroge sur « la rénovation nécessaire des anciennes ». Il faudra également, selon lui, « se préoccuper de la manière dont vivent en prison les personnes détenues tout autant que les personnels », rappelant à cet égard que « le changement de cadre matériel ne suffit pas à améliorer le climat qui prévaut dans les établissements ». Il faudra enfin convaincre l’opinion publique de la nécessité de telles évolutions, en résistant à « l’envie de solutions expéditives que suscite tel ou tel crime odieux ».
Menottes et entraves, une recommandation en « or »
Parmi les nombreuses préconisations plus concrètes du rapport, relevons celle concernant l’usage des moyens de contrainte, en particulier les menottes et entraves au cours des extractions hospitalières des détenus. La réglementation a beau inviter à « adapter la contrainte au risque présenté par la personne transportée à l’hôpital, notamment le risque d’évasion ». En réalité, « la presque totalité des extractions dans la presque totalité des établissements visités se fait toujours avec menottes et entraves, autrement dit en mettant en œuvre le niveau de sécurité le plus élevé ». Avec pour conséquence des « déplacements malaisément ou difficilement supportés », des « humiliations profondes d’apparaître en public entre deux personnes en uniforme, dans un grand cliquetis de chaînes, source d’e roi pour les personnes présentes ». De telles mesures sont, en outre, maintenues le plus souvent au-delà du transport et de l’arrivée, pendant « tout le séjour à l’hôpital », au cours de consultations ou d’interventions médicales, avec « menottage au lit » dans certains lieux… de tels traitements entraînent de la part de personnes détenues « des refus de se soigner », en renonçant à être envoyées à l’hôpital. Si le risque d’évasion est faible – quinze à vingt évasions par an, soit un taux de 2 pour 10 000 extractions, selon les estimations du Contrôleur –, il engage la responsabilité des personnels chargés de l’escorte, soumis à une obligation de résultat. Une responsabilité qui n’est pas « établie à l’aune des moyens employés », mais du « résultat obtenu » (absence d’évasion). du point de vue du surveillant, si une seule personne s’évade sous son autorité, c’est « sa carrière qui est compromise ». du point de vue du Contrôleur, « l’inconfort et l’humiliation de dizaines de milliers de personnes, le refus de soins de plusieurs centaines, sont un prix élevé à payer ». Si bien qu’il préconise, en la matière, de passer d’une obligation de résultat à une obligation de moyens, afin de limiter le recours aux menottes et aux entraves « aux seules hypothèses où il est indispensable ». Les personnels d’escorte deviendraient ainsi responsables d’avoir adopté les « techniques de contrainte en relation avec le risque réellement encouru, c’est-à-dire proportionnées aux caractéristiques de la situation (temps de transport, configuration des lieux…) et de la personne (état physique, âge, tentatives antérieures d’évasion…) », mais non plus de l’évasion. un glissement qui pourrait être adopté pour bien d’autres mesures de sécurité, et qui « vaudrait, pour les personnes incarcérées, comme pour les personnels, de l’or ».
Sarah Dindo
(1) Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d’activité 2012, 390 p., Dalloz.
Le temps médiatique… et celui du contrôle
L’accélération de la publication des rapports de visite du Contrôle général n’est pas à l’ordre du jour. Les rapports récemment publiés sur son site concernent des visites de prisons de 2010, soit une publicité rendue près de trois ans plus tard. Une situation qui en annule la portée médiatique, sauf utilisation de la procédure d’urgence (à deux reprises, pour les Baumettes et Nouméa). Dans le rapport d’activité 2012, une amélioration « substantielle dans les mois qui viennent » des délais d’achèvement et de publicité des rapports de visite est annoncée comme « peu probable ». Le Contrôleur l’explique notamment par la procédure de confection des rapports, impliquant « un double échange contradictoire, le premier avec le chef d’établissement, le second avec l’autorité ministérielle », auxquels des délais de réponses plus brefs ne peuvent être imposés afin de rester compatibles « avec la possibilité de s’informer et de peser les termes de la réplique ». En 2012, les équipes du Contrôleur se sont rendues dans 25 établissements pénitentiaires, ce qui porte à 141 sur 191 le nombre de prisons visitées depuis 2008. La durée moyenne des visites en détention est de cinq jours, recouvrant un éventail de trois à douze jours.