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« Le gouvernement n’a pas osé rompre avec la logique de l’enfermement »

Pour Xavier Pin, le projet de loi portait un principe audacieux : remplacer l’enfermement par l’accompagnement. Mais il manque d’ambition et de cohérence dans sa concrétisation, animée par les effets d’annonce. En refusant de faire de la contrainte pénale une peine de référence pour certaines infractions, en éludant le débat sur les mesures de sûreté et sur la comparution immédiate, en ajoutant de nouveaux dispositifs sans supprimer les anciens, le Gouvernement rend sa ligne de conduite peu lisible.

Xavier Pin, professeur de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon.

Le projet de réforme pénale réaffirme le principe selon lequel l’emprisonnement doit être un dernier recours en matière correctionnelle. En quoi est-il ambitieux ou pas dans la mise en œuvre de ce principe ?

Le texte est audacieux parce qu’il veut sortir de la logique de l’enfermement pour entrer dans une logique d’accompagnement. Cette ambition se traduit aussi bien par la suppression des peines plancher que par la création de la « contrainte pénale », qui vise à remplacer l’incarcération par cet accompagnement socio-éducatif. L’inscription dans le code pénal, pour la première fois, du principe d’individualisation des peines est également à souligner. Mais l’ambition s’arrête là. Si le Gouvernement avait vraiment voulu rompre avec la logique de l’enfermement, il aurait dû proposer la contrainte pénale comme une peine principale de référence pour certaines incriminations. De plus, la contrainte pénale s’ajoute à d’autres peines alternatives très similaires, sans les supprimer. Le législateur donne ainsi au juge moins le choix que l’embarras du choix. Le vrai courage politique aurait consisté à élaguer. Par ailleurs, la restriction des possibilités d’aménager les courtes peines de prison avant exécution traduit un grand manque de cohérence.

Le texte propose la suppression des peines plancher. Est-il démontré que les peines minimales, ou plus largement la fixité des peines, n’ont jamais été une réponse efficace ?

L’histoire montre que les peines fixes n’ont jamais été une solution durable : introduites dans le code pénal français en 1810, elles ont été supprimées partiellement en 1824, puis complètement en 1832 avec l’introduction puis la généralisation des circonstances atténuantes. Le législateur contemporain a mis un peu moins de temps pour reconnaître l’inutilité, voire l’inanité, de ces peines, introduites en 2007. Elles nuisent à l’individualisation des peines. Les juges ont d’ailleurs largement utilisé les possibilités de descendre en dessous des peines minimales, à condition de motiver leur décision par les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur. La jurisprudence a montré que tout en s’efforçant de déroger à la peine plancher, les juges ont souvent du mal à apporter cette motivation spéciale. Leurs décisions s’en trouvent fragilisées, avec un risque de censure plus important. La suppression des peines plancher leur rend le pouvoir de choisir et d’individualiser la peine.

Quelles réserves vous inspire la nouvelle peine de contrainte pénale telle que prévue dans le projet de loi ?

Je m’étonne d’abord que les mineurs en soient exclus : s’il s’agit réellement d’une nouvelle forme d’accompagnement socio-éducatif, pourquoi ne pas l’appliquer en priorité à ceux qui en ont le plus besoin ? Par ailleurs, la contrainte pénale vient s’ajouter à d’autres peines ou mesures qui peuvent déjà être prononcées dans les mêmes cas : sursis avec mise à l’épreuve (SME), travail d’intérêt général (TIG), injonction de soins… Sans valeur ajoutée, car les contenus sont très proches.

Prenez deux condamnés, l’un sous SME, l’autre en contrainte pénale : concrètement, leurs obligations seront les mêmes, ils ne verront pas la différence – je ne suis même pas sûr que les juges la voient. Mais la non-exécution des obligations ne sera pas sanctionnée de la même façon : convocation au tribunal correctionnel pour voir si on prononce une nouvelle peine d’emprisonnement dans le cas de la contrainte pénale ; révocation totale ou partielle par le juge de l’application des peines dans le cas du SME. En termes d’égalité et de simplification du droit, on peut faire mieux. De plus, l’emprisonnement venant sanctionner la non-exécution d’une contrainte pénale n’est pas prévu par le code pénal. Le condamné ne sait donc pas ce qu’il risque en ne respectant pas la mesure, la sanction manque de prévisibilité.

Pouvez-vous expliquer ce que le texte aurait dû prévoir pour que la peine de probation devienne une « peine principale de référence » ?

Il aurait fallu décider que pour un certain nombre d’infractions, la peine maximale ne soit plus l’emprisonnement, mais une contrainte pénale. Par exemple, le vol simple aurait pu ne plus être puni de 3 ans d’emprisonnement et 15 000,00 € d’amende, mais de tant d’années de contrainte pénale. Une telle réforme aurait été d’une bien plus grande ampleur. Au lieu de cela, l’option retenue est celle d’une nouvelle peine alternative : la référence reste l’emprisonnement encouru, que les juges décideront de remplacer ou non par une contrainte pénale. Le recours à l’emprisonnement n’est supprimé ni dans la conscience collective, ni dans celle des juges. Le changement de référentiel est pourtant possible. Il a été opéré, par

Faute de ligne de conduite,

la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le Code pénal

exemple, pour les graffitis légers, sanctionnés par une amende et un travail d’intérêt général. Cet exercice demande plus de temps et de volonté politique, parce qu’il faut repenser au cas par cas chacune des infractions que l’on veut faire échapper à l’emprisonnement : par exemple, la consommation de stupéfiants, le vol dans certains cas, les délits routiers, etc. Il s’agit d’une réforme qui se pense sur un quinquennat et non sur la base d’effets d’annonce.

En quoi la création d’un « ajournement de peine pour investigations » représente une « innovation » ?

L’ajournement consiste à laisser un laps de temps – quelques mois – entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine. L’actuel ajournement simple ou « avec mise à l’épreuve » ne peut être utilisé qu’à des conditions restrictives : il faut que le reclassement du condamné soit en voie d’être acquis, que le dommage soit en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction soit en voie de cesser. De sorte que dans les rares cas où il est utilisé, l’ajournement débouche sur une dispense de peine. L’ajournement pour investigations proposé par le gouvernement peut, quant à lui, être utilisé dans tous les cas, il s’inscrit dans une autre logique : laisser quatre mois au juge pour rassembler les éléments sur la personne et sa situation, qui lui permettront de choisir la peine la plus appropriée. Cette procédure répond à un besoin crucial des juges qui doivent individualiser la peine sans disposer des informations nécessaires, notamment en comparution immédiate. Elle a l’intérêt de sortir l’ajournement de la logique de « pré-dispense » de peine, pour en faire une véritable « césure » du procès pénal, au sens où l’entendait Marc Ancel: séparer le moment de la reconnaissance par la société de la culpabilité, de la réprobation exprimée, de celui de la sentence, où l’on prononce la peine la mieux adaptée à la situation.

Pensez-vous que les juridictions utiliseront davantage cette nouvelle procédure que l’ajournement avec mise à l’épreuve aujourd’hui ?

Oui, car la logique est différente. Les juridictions de jugement sont conscientes de l’obligation d’individualiser la peine et déplorent de ne pas disposer des éléments leur permettant de le faire. Pour contourner cette difficulté, elles prononcent des peines inférieures à deux ans, sans mandat de dépôt, et renvoient ainsi le prononcé de la peine vers le JAP: celui-ci décidera d’aménager ou de mettre l’emprisonnement à exécution. La nouvelle forme d’ajournement permettra à la juridiction de jugement de se réapproprier le prononcé de la peine. Certes, cela impose au tribunal de se réunir à nouveau, mais c’est le cas dans bien d’autres procédures.

Vous regrettez que le texte ne comporte aucun volet procédural. Pouvez-vous en expliquer les enjeux ?

Les cheminements procéduraux jouent un rôle très important dans le processus éventuel de rechute ou de récidive. Selon que le chemin pour arriver au prononcé de la sanction aura été court ou long, le ressenti et la compréhension de la décision ne seront pas les mêmes. Selon que l’on est passé par la « machine à laver » de la présentation au parquet puis de la convocation devant le tribunal correctionnel selon la procédure ordinaire, ou par la comparution immédiate ou par la reconnaissance préalable de culpabilité, l’intervention judiciaire n’est pas vécue de la même manière. C’est pourquoi on ne peut pas faire l’économie de penser la procédure pénale quand on veut faire une véritable réforme pénale.

Quels aspects de procédure vous auraient-ils paru urgents à traiter ?

Il existe aujourd’hui un éventail de procédures dites « rapides », parmi lesquelles les parquets choisissent, pas tant sur la base de la gravité de l’infraction ou dans un processus de responsabilisation, mais en fonction des politiques pénales locales. Certains privilégient l’ordonnance pénale, d’autres la comparution immédiate, etc. Il n’y a pas de lisibilité, et on crée encore de l’inégalité. Il aurait fallu préciser les domaines d’infractions

Prenez deux condamnés, l’un en sursis avec mise à l’épreuve, l’autre en contrainte pénale : leurs obligations seront les mêmes, ils ne verront pas la différence

relevant de chaque procédure, afin qu’une même infraction ne puisse pas relever de quatre procédures différentes.

A quels autres manques du texte faudrait-il remédier pour qu’il ne soit pas « une énième loi de tergiversation » en matière de lutte contre la récidive ?

Une loi courageuse devrait élaguer, alors que ce projet complexifie. Il ne donne pas une ligne claire affirmant qu’on lutte contre la récidive en réduisant l’enfermement : ne faisant pas le pari que l’absence d’enfermement peut fonctionner, le gouvernement ne prévoit la contrainte pénale que comme alternative à la prison, qui plus est en l’assortissant d’une menace d’emprisonnement. Il évite le débat sur la rétention et la surveillance de sûreté. Les membres du Gouvernement, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, s’étaient opposés à ces mesures fondées sur la dangerosité, attentatoires aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux. Aujourd’hui au pouvoir, ils les maintiennent. Une réforme pénale sur la récidive aurait dû prendre parti, supprimer des mesures qui étaient le fruit d’une politique radicalement différente. Ce choix n’est pas fait : on ne réforme pas, on ajoute, donnant à tout le monde de quoi se servir. Faute de ligne de conduite, la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le code pénal.

Recueilli par Barbara Liaras