Saisi en référé par des personnes incarcérées, le tribunal administratif de Toulouse a demandé à la direction de la maison d’arrêt de Seysses de rendre le port du masque accessible aux détenus et d’organiser des campagnes de dépistage du coronavirus. Alors que l’épidémie est loin d’être endiguée, le ministère de la Justice a fait appel de cette décision.
L’administration pénitentiaire obligée de rendre accessible le masque aux personnes incarcérées lorsqu’elles se déplacent dans les lieux collectifs : c’est ce que pourrait impliquer une décision prise par le tribunal administratif de Toulouse le 4 septembre dernier. Dans son ordonnance, le juge a donné raison aux requérants, incarcérés à la maison d’arrêt de Seysses. Soutenus par le Syndicat des avocats de France (SAF), ces prisonniers demandaient la mise à disposition de masques dans les espaces collectifs clos de la prison. Le tribunal impose également à la direction de la prison d’organiser une campagne de dépistage du coronavirus parmi les personnes incarcérées, « sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical ». Pour le juge, l’exposition au virus au cours d’une incarcération dans cette maison d’arrêt sans moyen de s’en protéger s’apparenterait à un traitement inhumain et dégradant. Craignant peut-être l’effet boule de neige de cette jurisprudence, le ministère de la Justice a fait appel. Un recours paradoxal et en décalage total avec l’urgence sanitaire, alors qu’une deuxième vague de contaminations est en cours, que les masques sont devenus obligatoires dans les lieux publics et que les mesures de prévention se durcissent dans plusieurs villes.
Des possibilités très limitées
Pour des raisons de « bon ordre » et de sécurité, l’administration pénitentiaire considère en effet que les personnes détenues doivent garder le visage découvert. Les différentes notes publiées par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ont certes prévu quelques exceptions : en prison, le port du masque est imposé lors des visites aux parloirs, pendant les transferts et les extractions, ou en cas de contacts prolongés avec des intervenants. La note publiée le 2 juin 2020 a également rendu possible le port permanent d’un masque hors de la cellule pour les personnes vulnérables (sur avis de l’unité sanitaire). Pour toutes les autres situations, y compris les lieux collectifs clos tels que les salles d’attente, les cours de promenade, les postes de travail, les salles d’activités et celles utilisées pour les visio-conférences, le masque n’est ni autorisé, ni accessible – alors qu’il est obligatoire pour les personnels pénitentiaires et les intervenants, qui entrent et sortent quotidiennement des prisons.
Un cadre qui semble néanmoins appliqué de manière variable d’une prison à l’autre. Six mois après le début de la crise sanitaire, des masques seraient désormais fournis aux personnes employées au service général, dans les ateliers, ou – heureusement – lors des consultations médicales à l’unité sanitaire dans la plupart des prisons. Mais des personnes incarcérées à Fleury-Mérogis, Joux-la-Ville, Lille, ou encore Toul signalent que dans leur établissement, il leur est refusé de porter un masque en cellule et en cours de promenade, en dépit de l’impossibilité de respecter les règles de distanciation sociale dans ces circonstances.
Ces disparités s’expliquent par une importante marge de manœuvre laissée par la direction de l’administration pénitentiaire aux pouvoirs locaux : « Les consignes de la présente instruction pourront être adaptées, globalement et localement, en fonction de la situation épidémique et des capacités de protection sanitaire de chaque établissement ou service : en particulier, les chefs de service pourront prendre des mesures plus restrictives, sur l’avis des directeurs interrégionaux ou la recommandation des agences régionales de santé », pouvait-on lire dans la note du 2 juillet 2020.
Un principe d’égalité dedans-dehors
En mai, l’OIP s’était associé à Médecins du Monde et l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) pour appeler à une égalité d’accès aux dispositifs de prévention prévus et recommandés à l’extérieur. « Le droit à se protéger doit être le même de chaque côté des murs », rappelaient alors nos organisations. L’enjeu est toujours d’actualité. « Nous demandons à ce que [la décision du juge de Toulouse] soit respectée et ses principes mis en œuvre dans toutes les maisons d’arrêt de France », appuie Me Delorge, avocat de l’un des requérants toulousains et membre du Syndicat des avocats de France (SAF).
Les associations de défense des droits et de médecins insistent aussi sur le fait que l’accès au masque doit être possible pour tous, quel que soit leur niveau de ressources. Difficile en effet de faire reposer la responsabilité de l’achat de masques sur les personnes détenues, privées de revenus pour la plupart et confrontées à une précarité accrue depuis le début de de la crise.
À l’heure où nous bouclons ce numéro, l’administration pénitentiaire et le ministère de la Santé s’apprêtent à publier une mise à jour du cadre règlementaire. Elle devra tenir compte de la décision du Conseil d’État. À la suite de la procédure en appel initiée par le ministère de la Justice, celui-ci doit se prononcer d’un jour à l’autre sur le bien-fondé des mesures prescrites par le tribunal administratif de Toulouse. Reste à espérer que cette jurisprudence et les nouvelles consignes gouvernementales ne transforment pas le port ou non-port du masque à l’intérieur des murs en enjeu disciplinaire. Et que la lorgnette sécuritaire n’éclipse pas l’enjeu sanitaire.
par Sarah Bosquet