Atteint de schizophrénie, Zubert Gougou est incarcéré en 2005. S’ensuit une longue suite d’allers-retours entre structures de soin et prison. Les passages en détention n’ont fait qu’aggraver ses symptômes. Un parcours emblématique du traitement réservé aux malades mentaux condamnés.
En février 2012, l’histoire de Zubert Gougou est devenue un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnant la France pour traitement inhumain et dégradant. « G. contre France. » Schizophrène, pris dans les filets de la déraison pénale, Zubert a été rejeté par la psychiatrique publique, soumis à la violence de l’institution pénitentiaire, confronté aux Assises. Sa détention n’a été qu’un chassé-croisé entre hospitalisations et retours en détention, le faisant tomber dans des abîmes anxio-délirantes, aggravant son état. Pour Michel David, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, « la lecture de cet arrêt vaut toutes les communications savantes ou discours pompeux sur les conditions carcérales que peuvent vivre un certain nombre de malades mentaux incarcérés » (1).
Tout est dingue dans cette histoire. Zubert s’est retrouvé en prison pour avoir demandé des soins… Au printemps 2005, il frappe à la porte d’un hôpital psychiatrique toulonnais, qu’il connaît bien pour y avoir séjourné plusieurs fois. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il n’y est plus le bienvenu. Onze condamnations figurent sur son casier judiciaire, généralement pour des menaces ou des dégradations commises lors de ses crises psychotiques. Cette fois, l’hôpital refuse de le recevoir. Zubert s’énerve, il casse une vitre. L’hôpital prévient la police, porte plainte, il part en prison, pour deux mois ferme. À peine arrivé à Toulon-La Farlède, il met le feu à son matelas. Son geste, il ne sait pas bien mettre des mots dessus. Il donne plusieurs explications confuses. La volonté de changer de cellule, celle de mourir, puis simplement il dira : « Les gardiens se moquaient de moi. » En août, à quelques jours de sa sortie, l’histoire se répète. La cellule, qu’il partage avec un autre détenu en souffrance psychique, flambe. Les surveillants retrouvent Zubert, retranché dans la douche, tenant son codétenu inconscient dans les bras. Gravement brûlés, intoxiqués par les fumées, tous deux sortent sur une civière. Zubert est placé en coma artificiel. À son réveil, il est entendu par les forces de l’ordre. Il dit qu’il est schizophrène, qu’il entend des voix et voit des choses bizarres. Mais, très vite, il apprend qu’il est mis en examen pour avoir déclenché l’incendie. Un peu plus tard, une autre nouvelle tombe : son codétenu n’a pas survécu à ses blessures. La qualification pénale s’élève. Zubert ne se souvient plus de rien, mais la pénitentiaire assure qu’il est l’auteur du feu : interrogé sur son brancard, il aurait « hoché de la tête en esquissant un petit oui » (2).
Zubert s’est retrouvé en prison pour avoir demandé des soins…
Zubert reste en prison, transféré au service médico-psychologique régional (SMPR) de la prison des Baumettes, à Marseille. Deux experts se penchent sur son cas. Sur le diagnostic, ils sont d’accord : il souffre bien de schizophrénie. En revanche, sur sa capacité de discernement, ils divergent. Pour l’un, ses actes sont largement la conséquence de sa maladie. Il n’apparaît pas « accessible à la sanction pénale », « l’idée que la peine permet de payer sa dette à la société n’a pas de sens pour lui » : il recommande une hospitalisation en unités pour malades difficiles. L’autre conclut à l’impossibilité de dire si sa maladie altère ou abolit le contrôle de ses actes. Ses demandes de remises en liberté sont refusées. La mécanique s’emballe, jusqu’à l’absurde.
Une nuit, au SMPR des Baumettes, Zubert est réveillé en sursaut. Des surveillants viennent le chercher pour l’emmener dans une cellule voisine. Un jeune détenu vient de mettre le feu, ils ne veulent pas le laisser seul… Pris de panique, il refuse, insulte le personnel. Il est menotté, emmené de force et frappé. Quatre coups dans le dos. Puis, couché au sol, déshabillé, fouillé il reçoit encore deux gifles. Il tambourine à la porte, jusqu’à ce que les surveillants cèdent, et le ramènent finalement dans sa cellule d’origine. Deux d’entre eux écoperont d’une suspension temporaire. L’un sera condamné pour violences : deux mois avec sursis. De son côté, Zubert sombre dans l’angoisse, les insomnies, il a peur d’être frappé à nouveau. Il délire, se sent persécuté. Il enchaîne les hospitalisations d’office et les allers-retours au SMPR.
Quelques jours avant son procès, fin 2008, il est encore hospitalisé sans consentement. Il comparaît prostré, le regard dans le vide. Un cocktail de cinq médicaments (neuroleptique, anxiolytique, sédatif, etc.) lui est administré, quatre fois par jour. La présidente de la cour d’assises lui demande : « Est-ce que vous savez ce que vous avez comme problème ? » Il ne sait plus. Sa voix est lente et hachée. Elle le questionne sur son enfance, ses premiers contacts avec la psychiatrie. Des souvenirs reviennent : il vivait dans un foyer. Un des résidents a mis de l’ecstasy dans sa boisson. « Je suis resté dans mon lit. Le soleil tapait dans les yeux. Je parlais au soleil. La directrice a appelé la police. Ils m’ont amené à l’hôpital et m’ont fait dormir 48 heures. Je me suis réveillé en psychiatrie. C’est là que ça a commencé. » (3) Son avocat implore la cour de ne pas juger un fou. Qu’importe, Zubert est condamné à dix ans de réclusion. Un expert assure qu’il « comprend le minimum nécessaire de sa peine ».
Très vite, c’est l’internement, l’hôpital pour plusieurs mois. Il présente une « recrudescence anxieuse, avec mise en avant de ses idées délirantes ». Puis, la détention, le SMPR et encore l’hôpital. Chaque fois qu’il est stabilisé, il est réincarcéré, jusqu’à une nouvelle aggravation. Ainsi de suite, jusqu’à son second procès, en appel, un an plus tard. Les médecins l’estiment en état de comparaître. La veille, il est pourtant admis en hospitalisation d’office pour « état fluctuant, avec épisodes d’excitation psychique à tonalité délirante et périodes d’affaissement ». À nouveau, il est amené sédaté, hébété dans son box. Mais, enfin, les jurés mettent fin au délire institutionnel. Après quatre ans de détention, il est déclaré irresponsable pénalement et adressé à un hôpital qui a su le prendre en charge. Depuis, Zubert va mieux. Il s’occupe de la cafétéria de la structure et peut voyager accompagné.
Pour la CEDH, cette affaire vaut mise en garde : « Il est vain d’alterner les séjours à l’hôpital psychiatrique et en prison, les premiers sont trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants. » Combiné « à la rudesse du milieu carcéral », cette forme de traitement ne peut qu’accroître les sentiments de « détresse, d’angoisse et de peur » des malades mentaux.
Par Marie Crétenot
(1) Michel David, « La suspension de peine pour raison médicale », L’information psychiatrique, vol 90, n° 1, janvier 2014.
(2) Selon la directrice adjointe de l’établissement citée par Le Monde, « Prostré et comateux, un fou devant la cour d’assises », 14/11/2008.
(3) Ibid.