Parloirs limités à un adulte ici, à un adulte et un enfant là-bas, interdits aux enfants de plus de 10 ans encore ailleurs : depuis la reprise des parloirs à la sortie du premier confinement, en mai dernier, les règles encadrant la venue des enfants sont aussi disparates qu’arbitraires. Sans compter que les conditions dans lesquelles se déroulent les visites dissuadent parfois les familles de les y conduire. Au jeu de l’équilibre entre impératif sanitaire et nécessaire maintien des liens familiaux, ces derniers semblent bel et bien perdants.
« Les enfants sont à bout, ils pensent qu’ils ne reverront jamais leur père » s’inquiète une compagne de détenu. Comme elle, de nombreuses familles dressent aujourd’hui le bilan amer d’un an de restrictions encadrant la venue des enfants au parloir. UVF supprimées, visites parfois limitées à une seule personne, présence de plexiglas : partout, ces contraintes affectent rudement les enfants ayant un parent incarcéré.
Dès le printemps 2020, à Beauvais ou encore Réau, les témoignages de familles en souffrance se multiplient. « Certains parents incarcérés ont indiqué au Défenseur des droits rencontrer des difficultés pour voir leurs enfants, et notamment après le premier déconfinement », confirme la Défenseure des droits, Claire Hédon. Entre les deux confinements, un grand flou entoure alors les modalités de ces visites. Bien qu’une note de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), publiée en juillet 2020, soit venue expressément préciser que « les restrictions sanitaires liées au nombre de visiteurs étaient levées », les prisons appliquent différentes politiques. Certaines, comme le centre pénitentiaire de Beauvais, décident par exemple de limiter le nombre de visiteurs à une personne – privant de fait les enfants de moins de 16 ans de se rendre aux parloirs. D’autres, comme Saint-Étienne, Uzerche, Fleury, Maubeuge ou encore Villefranche-sur-Saône, limitent les visites à un adulte et un enfant, engendrant alors une gymnastique aussi contraignante qu’onéreuse pour les familles. « Comme nous avons plusieurs enfants, c’est chacun son tour, et il faut prévoir un mode de garde pour ceux qu’on ne peut pas emmener », détaille Zohra, dont le conjoint est détenu au centre de détention de Muret.
À partir d’octobre 2020, à l’occasion du second confinement, les consignes se précisent et se durcissent : en l’absence de dispositif de séparation totale, du sol au plafond, un seul visiteur pourra être autorisé – une règle qui perdure aujourd’hui. Une politique qui, une fois encore, prive de nombreux enfants de visite à leurs proches incarcérés. À Fresnes, où un espace de dix centimètres subsiste au sol et au plafond des parloirs, plus aucun enfant ne rentre, et la grogne monte peu à peu parmi les détenus. À l’approche de Noël, les demandes se multipliant, le directeur concède une demi-mesure : les enfants de moins de dix ans pourront accompagner leurs parents au parloir. Pour les plus âgés en revanche, l’interdiction demeure. « Mettre dans une cabine parloirs deux personnes de corpulence adulte, c’est plus compliqué sanitairement parlant », explique le directeur. Une explication qui laisse dubitatifs familles, avocats et intervenants associatifs. Saisie de cette question, la direction de l’administration pénitentiaire indique, fin janvier, que « des travaux sont en cours pour installer des dispositifs toute hauteur ; dans l’attente de la finalisation de ces travaux, l’établissement a autorisé, à compter du 20 janvier, l’accès aux parloirs à un second visiteur, y compris aux mineurs, dans les cabines déjà reconfigurées » – et ce peu importe l’âge de l’enfant. Aux Baumettes, entre octobre et fin janvier, ce sont les enfants bénéficiant du « relais parents-enfants » (REP) qui n’ont pas pu rendre visite à leur parent détenu. Cette association permet aux enfants d’accéder au parloir en présence d’un adulte tiers, lorsqu’ils ont fait l’objet d’un placement, ou qu’aucun membre majeur de leur famille ne peut ou ne souhaite les accompagner. Un box spécifique, grand et disposant de jouets leur était habituellement réservé. Une séparation en plexiglas ne pouvant y être installée, interdiction a été faite de l’utiliser, sans qu’une solution alternative ne soit mise en place. « On a des enfants qui n’en pouvaient plus, des ados placés, qui n’avaient pas vu leurs parents depuis des mois, qui allaient exploser, explique une salariée du REP. On a insisté, on est monté au créneau, et on a réussi fin janvier à faire redémarrer les parloirs dans un box classique, équipé d’un plexiglas. Pour ceux qui ont pu reprendre, ça a été super, on a senti que ça soulageait les parents et les enfants. »
Tous les enfants n’ont cependant pas repris le chemin des parloirs – notamment parmi les plus jeunes. « Le box, la séparation en plexiglass avec un panneau de bois à hauteur du nombril… ça marche pour les plus grands, mais nous n’y emmenons pas les plus petits, souvent à la demande des parents, poursuit la salariée du REP. Pour les bébés ou les très jeunes enfants, être à quelques centimètres de leur parent et ne pas avoir le droit de le toucher, c’est incompréhensible. Quant aux parents, ne pas pouvoir les prendre dans leurs bras, ne pas pouvoir les câliner, ce n’est tout simplement pas possible. »
Un an sans se toucher ou se voir
Au-delà des Baumettes, ce même constat a poussé certaines familles à renoncer purement et simplement à la visite des enfants. « J’ai annulé les parloirs prévus, car j’ai du mal à imaginer un parloir dans ces conditions avec mes trois enfants, qui ne pourront que regarder leur père », explique Sylvie, dont le compagnon est détenu à Saint- Quentin-Fallavier. « Mon enfant n’entend rien à ce que son père lui dit à travers la vite », explique une autre femme. Partout, ce qui faisait la joie des enfants – câlins, jeux, petits cadeaux – est désormais interdit. « Nous avions pour l’occasion fait un petit bricolage à base de rouleaux de papier WC… ils ne l’ont pas accepté et l’ont jeté à la poubelle sous nos yeux », explique une compagne, la gorge serrée.
Ces mesures, dictées par une situation sanitaire qui s’éternise, altèrent inexorablement les liens familiaux et occasionnent souffrances et traumatismes de part et d’autre des murs. « Ma fille de deux ans ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas voir son papa. Elle n’est pas bien, elle est en pleine construction et elle grandit avec le manque de ne pas voir son père. Son équilibre est perturbé. Quant à mon fils, qui a un an, il ne connaît tout simplement pas son père, étant donné que cela fait un an que nous sommes en crise sanitaire », explique une mère. « Mon conjoint a une petite fille de 19 mois qu’il ne voit plus depuis l’arrivée du Covid. À cet âge-là, un enfant oublie vite ses proches qu’il ne voit plus… » Des deux côtés des murs, les séquelles seront longues à réparer. « Mon époux est moralement et psychologiquement détruit par cette situation », résume sombrement une compagne.
Par Charline Becker