Avocate à Mayotte, Marjane Ghaem dresse un constat accablant du traitement pénal et carcéral réservé aux étrangers dans ce département français. À la maison d’arrêt de Majicavo, seule prison de l’île, près de la moitié des personnes détenues sont pourtant de nationalité étrangère, essentiellement comoriennes(1).
Les personnes étrangères ont-elles la possibilité de se faire assister d’un avocat lors de leur procès ?
Alors que 84 % de la population de l’île vit sous le seuil de pauvreté, j’ai été choquée de constater que, devant le tribunal correctionnel, rares sont les personnes qui comparaissent assistées d’un conseil – ce qui est tout à fait inconcevable en métropole. Les raisons sont multiples : un bureau d’aide juridictionnelle ouvert deux demi-journées par semaine, une procédure complexe, des demandes abusives de pièces, aucune demande d’aide juridictionnelle déposée depuis la maison d’arrêt… Beaucoup vont abandonner car c’est trop compliqué. D’autres ne savent même pas qu’ils y ont droit, surtout s’ils sont en situation irrégulière ou demandeurs d’asile. Pour des petits délits audiencés à juge unique, je dirais que huit personnes sur dix sont jugées sans avocat. Et cela ne semble choquer personne, ni la juridiction ni le barreau… Comme si, tout le monde s’était habitué à cette atteinte grave au droit à un procès équitable. Les nullités de procédure ne sont pas soulevées, le tribunal prononce des peines lourdes très souvent assorties d’un mandat de dépôt, et il y a bien sûr peu de jugements de relaxe. Il faut qu’un texte impose la présence de l’avocat (procédure criminelle ou déferrement par exemple) pour que les droits de la défense soient respectés.
Comment expliquer le nombre important de personnes étrangères en détention provisoire ?
Si la loi pose la liberté comme principe et la détention provisoire comme exception, à Mayotte c’est l’inverse qui se produit. Les juges n’hésitent pas à placer un prévenu en détention provisoire lorsqu’il s’agit d’une personne étrangère en situation irrégulière, allant ainsi à l’encontre de l’esprit même des textes. Il existerait un risque de fuite lié à la situation administrative de la personne, qu’importe l’intensité de ses liens familiaux à Mayotte. Il faut aussi garder à l’esprit que 40 % de la population vit dans un logement en tôle et ne possède aucun justificatif de domicile pour cette habitation à part celui de la logeuse. Dans ce contexte, les alternatives à la détention provisoire (contrôle judiciaire, placement sous surveillance électronique, etc.) ne sont pas véritablement examinées.
En quoi consiste la prise en charge de ces personnes en détention ?
La préparation à la sortie de détention est centrée sur les personnes de nationalité française ou celles ayant un titre de séjour valide. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ne travaillent pas de projet de sortie pour une personne en situation irrégulière. Aucune demande de renouvellement de titre de séjour ne se fait depuis la maison d’arrêt. À la méconnaissance du droit s’ajoute une opération de désinformation pilotée depuis la préfecture. En 2013, à l’issue d’une visite au parloir avocat, un CPIP m’avait montré une note adressée par le préfet au directeur de la prison, laquelle disait l’inverse de la circulaire du 25 mars 2013 selon laquelle il est possible de faire une demande d’octroi ou de renouvellement de titre de séjour pendant une incarcération (lire page 27). Par ailleurs, en tant qu’avocate, obtenir la désignation d’un interprète n’est pas chose aisée alors que nombre de détenus ne parlent que le shimaoré. Comment assurer la défense d’un client en urgence dans de pareilles conditions ? Les interprètes sont tous réquisitionnés par le tribunal ou les services de police, nous sommes loin d’être prioritaires.
Et que se passe-t-il à leur libération ?
Systématiquement, le jour de la sortie de prison, sur le parking, un véhicule de la gendarmerie ou de la police aux frontières est là pour notifier à l’étranger en situation irrégulière un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie d’une interdiction de retour sur le territoire. Les autorités ont été informées par le greffe de la maison d’arrêt. Tout va très vite, et la personne est immédiatement transférée au centre de rétention administrative. La durée moyenne que les Comoriens passent dans ce centre est de 17 heures (contre 17 jours en France métropolitaine). Difficile, en si peu de temps, de faire respecter leurs droits…
recueilli par François Bès
(1)« Au moment du contrôle, près de la moitié de la population pénale (126 personnes, soit 44 %) était de nationalité étrangère, dont 122 de nationalité comorienne », CGLPL, rapport de visite du centre pénitentiaire de Majicavo, juin 2016.