Depuis la loi de 1994, les personnes incarcérées ont droit à la même qualité de soin que le reste de la population. Un principe qui relève de l’utopie dans la plupart des prisons, a fortiori pour les soins gynécologiques. Postes de soignants vacants, suivis en dents de scie, mise à mal de la confidentialité… Dans les faits, les logiques pénitentiaires et les conditions de prise en charge lors des examens conduisent trop souvent les femmes détenues à renoncer à des consultations.
« L’accès aux soins gynécologiques est extrêmement variable d’un établissement à l’autre, ce qui crée une inégalité importante entre les femmes », pointait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2016. Un état des lieux toujours d’actualité, si l’on en croit les multiples témoignages recueillis par l’OIP au cours de l’année 2019. D’après une enquête menée par l’administration pénitentiaire(1), moins de la moitié des unités sanitaires offrent une consultation gynécologique sur site aux femmes détenues. Quand une permanence est organisée, celle-ci peut être hebdomadaire, comme à la maison d’arrêt des femmes (MAF) de Fleury-Mérogis, ou – plus souvent – mensuelle, comme au quartier femmes de Ducos (Martinique), aux Baumettes ou à Valenciennes(2). En cause, de colossaux problèmes de recrutement(3), structurels dans certaines zones géographiques et pour certaines spécialités : alors que les unités sanitaires proches d’un centre hospitalier universitaire peuvent disposer de la présence régulière d’un gynécologue, la logique de désert médical est redoublée dans celles d’Outre-Mer ou dans les prisons construites loin des centres urbains(4). Dans les établissements où aucun spécialiste n’intervient, les femmes doivent être extraites pour être examinées à l’extérieur, ce qui complique encore la prise en charge. Au total,« le suivi gynécologique est rendu complexe », admet la Direction de l’administration pénitentiaire. Et dans certaines prisons, la visite médicale d’entrée sera parfois la seule occasion de parler santé sexuelle – notamment pour les femmes en détention provisoire ou condamnées à de courtes peines.
Des moyens et des pratiques disparates
De fait, pour les patientes sollicitant un rendez-vous, les délais d’attente sont parfois très longs, qu’il s’agisse d’une consultation sur place ou d’une extraction médicale. De un à six mois, si l’on en croit les témoignages reçus à l’OIP. « C’est comme pour les soins dentaires : même si elles ont mal, elles peuvent attendre plusieurs semaines, rapporte une animatrice en prévention intervenue au centre pénitentiaire de Domenjod (La Réunion). Je me rappelle d’une dame ménopausée qui souffrait beaucoup des bouffées de chaleur. Elle a dû rester un mois sans le gel qu’on lui avait prescrit pour les atténuer – parce qu’on lui avait pris au début de l’incarcération. » À Bapaume, une femme souffrant d’une descente d’organes rapporte attendre un rendez-vous depuis six mois. Une attente anxiogène, qui peut s’accompagner d’une dégradation de l’état des patientes quand les soins ne sont pas réalisés à temps.
La présence insuffisante des gynécologues et des sages-femmes met à mal le suivi basique, mais aussi – alors que les besoins sont importants – les dépistages. Notamment ceux des cancers du sein et du col de l’utérus, comme le soulignait un rapport d’inspection(5) en 2014. Concernant les tests de dépistage des virus et des principales infections sexuellement transmissibles, les pratiques varient d’un établissement à l’autre. En 2010, les résultats de l’enquête Prévacar(6) montraient en outre que si 95 % des unités sanitaires déclarent proposer systématiquement le test des principaux virus (VIH, hépatites) à l’entrée,« l’offre de renouvellement de dépistage est très hétérogène sur le territoire »(7). À Nantes par exemple, l’ensemble des tests peut être renouvelé en cas de situation à risque au cours de l’incarcération, mais cette pratique est loin d’être généralisée. Dans certains quartiers femmes, comme celui du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique), seul le test du VIH serait systématisé. Plusieurs personnes signalent par ailleurs la communication aléatoire des résultats des tests aux patients, un problème déjà signalé dans l’enquête Prévacar.
La relation patiente-médecin malmenée
Le manque de moyens humains et les contraintes propres à la vie carcérale ont un effet délétère sur la qualité des soins gynécologiques. Du fait du manque de créneaux de rendez-vous, le temps de consultation est souvent très réduit, laissant peu de temps pour les questions des patientes ou le traitement approfondi de certaines problématiques. Une difficulté que rencontrent particulièrement les femmes incarcérées dans les établissements mixtes où le suivi gynécologique est assuré par des médecins généralistes habilités(8). N’ayant pas le droit de croiser les hommes à l’unité sanitaire, elles doivent se contenter de créneaux de consultation réservés – souvent insuffisants.
Par ailleurs, dans la mesure où il est impossible de choisir son gynécologue en prison – ou d’en changer au besoin – la qualité de l’échange entre patientes et soignants est souvent mise à mal. Une femme ayant été incarcérée très jeune se souvient : « C’était mon premier frottis, le gynécologue était un boucher. Ça a été une violence traumatique, j’ai attendu plus de dix ans avant d’en revoir un dehors. Pour moi c’était toujours comme ça : forcément ça faisait mal et c’était humiliant. » Des patientes témoignent aussi de situations d’incompréhension, de difficultés à obtenir certaines informations, ou le moyen de contraception auquel elles étaient habituées. « En général, la première chose que l’on entend quand on demande une contraception, c’est “pour quoi faire ?”, surtout en maison d’arrêt puisqu’il n’y a pas d’UVF », rapporte une femme à l’OIP. Trois autres affirment s’être vu refuser l’accès à un contraceptif. Une détenue raconte avoir été contrainte de récupérer une pilule en « parloir sauvage ». Une autre témoigne qu’au retour d’une permission, « on [lui] a dit qu’il n’y avait pas de contraception d’urgence » en prison. « Après m’être énervée et m’être faite engueulée par l’US [unité sanitaire], on me l’a remise 48 heures après – soit à la limite de son efficacité – à cause d’un problème de livraison. Ma pilule habituelle avait aussi été livrée en retard. »
En consultation, le manque de confidentialité
Autre dysfonctionnement structurel : le manque d’anonymat des consultations. Alors qu’à l’extérieur, il est possible pour les patientes d’aller chez un gynécologue sans que leurs voisins soient au courant, difficile pour les femmes détenues de consulter en toute discrétion. Car dans de nombreux établissements, elles dépendent d’un surveillant pour transmettre une demande de rendez-vous médical ou se rendre à l’unité sanitaire. « Pour avoir une contraception d’urgence, il faut demander au docteur, mais ce n’est pas toujours facile de convaincre le personnel pénitentiaire d’aller en urgence à l’US sans expliquer les motifs (et c’est le genre de chose qu’on ne veut pas expliquer aux surveillantes) », explicite une femme incarcérée à Roanne. Parfois, le simple fait de se rendre à l’unité sanitaire à un moment donné indique le type de soins auquel les femmes souhaitent accéder. Une infirmière intervenant dans un centre de détention pour un centre de dépistage explique : « Comme j’ai des créneaux d’intervention spécifiques, je suis identifiée comme “l’infirmière du sexe”, alors tout le monde croit savoir que si quelqu’un vient me voir, c’est pour récupérer des préservatifs. »
Encore plus grave, la présence de surveillantes pendant les soins, et particulièrement ceux réalisés lors d’extractions médicales. D’après de nombreux témoignages, il serait fréquent que les agents en charge de l’escorte assistent aux examens gynécologiques, aux mammographies(9) ou encore aux fouilles internes. Des situations d’autant plus violentes que ces examens mettent en position de vulnérabilité. « Pendant l’échographie des seins et des ovaires, la surveillante est restée dans la même pièce et s’est mise à côté de moi. Elle a assisté au rendez-vous en me voyant à demi-nue… C’était très gênant », se souvient une détenue. D’autres femmes rapportent la présence non désirée de surveillantes pendant des interruptions volontaires de grossesse, des accouchements, ou, comme cette femme, lors de soins faisant suite à une fausse couche : « Je suis restée attachée au lit de l’hôpital avec les deux surveillantes dans la chambre pendant deux jours, et dans la salle où j’ai vu le médecin. Pendant les soins, elles sont restées à me regarder alors que je souffrais beaucoup. » Une présence souvent imposée par le personnel pénitentiaire comme allant de soi et non questionnée par les médecins. « La pénitentiaire nous renvoie tout le temps l’argument de la sécurité : “les bureaux ne sont pas sécurisés à l’hôpital, alors on reste” », explique une médecin. « Et la plupart des praticiens ne vont pas prendre la responsabilité de leur dire de sortir », regrette une autre.
Pendant l’échographie des seins et des ovaires, la surveillante est restée dans la même pièce et s’est mise à côté de moi. J’étais à demi-nue… c’était très gênant.
Les équipes médicales de certaines unités refusent néanmoins de rester passives face à ces atteintes aux droits et au soin et tentent de faire évoluer les pratiques. « Lorsqu’il y a une extraction, nous joignons toujours à l’ordonnance un courrier qui précise aux médecins qu’ils peuvent demander aux surveillants de sortir de la pièce. Ce papier-là n’est pas toujours lu, alors on change de couleur de temps en temps », témoigne une médecin. À Nantes, une équipe de Médecins du Monde anime un dispositif de santé communautaire depuis 2015. Une expérience qui a notamment permis l’organisation d’une rencontre entre un collectif de femmes, l’équipe en charge des extractions et la directrice de la maison d’arrêt. « Elles ont pu témoigner du fait que les surveillants étaient parfois présents lors des consultations. Il a été redit devant elles que ce n’était pas normal, que cela devait être signalé », rapporte Marie Hornsperger, coordinatrice de ce programme. Les femmes incarcérées à Nantes ont finalement obtenu que la mammographie se déroule sans la présence d’un surveillant dans la pièce, au même titre que les examens gynécologiques.
Menottes et entraves pendant les examens
Particulièrement attentatoire à la dignité, le port des menottes et/ou d’entraves est, en outre, souvent imposé aux patientes lorsqu’elles sont escortées jusqu’à l’hôpital de rattachement. Une pratique régulièrement signalée par des patientes et des soignants, et aussi dénoncée depuis plusieurs années par les organes de contrôle(10). S’il « peut advenir qu’un médecin souhaitant qu’on enlève les entraves ne soit pas toujours entendu », il arrive aussi qu’« inversement », des praticiens « demandent le maintien d’entraves afin de se sentir rassurés », pouvait-on lire dans le rapport d’inspection de 2014. En 2017, la CGLPL constate que « l’usage des moyens de contrainte et la présence des escortes pendant les examens médicaux restent systématiques » à la maison d’arrêt pour femmes de Fresnes, alors qu’il doit en principe être lié à une évaluation individualisée du risque. « Celles qui allaient en gynéco à l’extérieur, souvent pour les grossesses, elles sortaient entravées, menottées devant toute l’assistance. Et c’était traumatique. Donc tu te dis “c’est quoi le pire, rester dans la prison, ou sortir et être affichée ?” », explique une femme un temps incarcérée à la MAF de Versailles. Des pratiques d’un autre âge qui ont un effet direct sur l’accès aux soins : de nombreuses femmes renoncent à des consultations et à des examens médicaux, par crainte d’une humiliation(11).
par Sarah Bosquet
(1) Olivier Sannier, « La maternité en détention », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2018, 202, n° 1-2, 21-31, séance du 16 janvier 2018.
(2) CGLPL, Rapport d’activités 2015.
(3) Depuis la loi 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale transférant la responsabilité des soins en prison au ministère de la Santé, les soignants sont recrutés par le centre hospitalier de rattachement.
(4) IGAS-IGJ, « Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010- 2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice », 2015.
(5) IGAS-IGJ, op.cit.
(6)Enquête Prévacar : Offre de soins en milieu carcéral en France concernant l’infection par le VIH et les hépatites, 2010.
(7) Guide « Promotion de la santé, VIH et prison », Sidaction, 2019.
(8) Titulaires d’un diplôme universitaire de gynécologie.
(9) D’après les témoignages recueillis auprès de femmes incarcérées dans les MAF de Rennes, Fleury, Poitiers, Versailles.
(10) Voir l’Avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté du CGLPL, et le rapport d’évaluation de l’IGAS-IGJ, op.cit.
(11) Voir par exemple le rapport de visite du CGLPL à la maison d’arrêt de Nîmes, 2016.