Éditorial de la revue Dedans-Dehors n° 89
La mobilisation est inédite. Plus de 350 universitaires, dont trois-quarts de juristes, ont signé une tribune pour la reconnaissance des droits des détenus travailleurs. A la veille de l’examen par le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire déposée par un détenu et l’OIP, l’initiative est venue de Philippe Auvergnon, directeur de recherches au CNRS et de deux professeurs de droit, Cyril Wolmark et Julien Bonnet. Parmi les signataires, toutes les branches du droit sont représentées. Dominique Rousseau, grand constitutionnaliste, Antoine Lyon-Caen, spécialiste fameux du droit du travail… ainsi que de nombreux pénalistes, civilistes, historiens du droit… rejoints par des sociologues. Tous ont voulu signer qu’il n’était pas acceptable au XXIe siècle que le travail s’exerce « sans droits et sans contrat ». Tous déplorent l’inertie répétée du législateur, prostré derrière l’argument d’une prison qui devrait rester « attractive pour les entreprises », autorisant dès lors des rémunérations dérisoires, un système de paye à la pièce, « illégal depuis 2010 », l’absence de droits syndicaux et de toute garantie horaire. Si le nombre mensuel moyen de détenus ayant travaillé en 2014 s’élève à 16 490, soit 24 % de la population carcérale, ce chiffre masque une réalité : « ils peuvent aussi bien ne pas même bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire » et travailler 60 heures par semaine « qu’être appelés au travail quelques heures durant le mois ». De même pour la rémunération moyenne nette de 337 euros par mois, quand certains perçoivent 76 euros pour 58 heures travaillées. « Au nom de quels principes d’exécution des peines maintenir un dispositif qui s’apparente aux conditions de travail du premier âge industriel ? » La question posée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est reprise par les universitaires. toutes obédiences confondues, ils sortent de leur réserve habituelle pour prendre une position de principe, refusant d’être les complices du déni des gouvernements successifs, selon lesquels il n’y aurait pas de problème de droit du travail en prison. Pour la plupart, ces professeurs ne sont pas connus pour être intervenus sur les questions pénitentiaires. Ils se placent simplement du point de vue du droit. et ce point de vue leur fait dire que le législateur doit désormais « être contraint » de « sonner le glas d’un régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux », pour que « recule l’arbitraire et le non-droit, là où l’État devrait être exemplaire ».
« Droits des détenus travailleurs : du déni à une reconnaissance ? », 10 sept.-15.
Sarah Dindo