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L’isolement au minimum absolu

Déplorant les « effets extrêmement dommageables » de l’isolement disciplinaire ou de sécurité « sur la santé mentale, somatique et le bien-être social » des détenus, le Comité de prévention de la torture (CPT) recommande dans son rapport général de novembre 2011 de n’autoriser le « mitard » que pour une durée inférieure à 14 jours et d’engager une mutation profonde de l’isolement administratif.

Dans son 21e rapport général d’activités1 publié le 10 novembre, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se penche sur les différentes formes de mise à l’écart dont peut faire l’objet une personne détenue au sein de la prison. Qu’elles résultent « de la décision d’un tribunal » (une personne en détention provisoire ne doit pas être en contact avec certains détenus ou avec tout détenu en raison de l’enquête pénale), « d’une sanction disciplinaire imposée au sein du système pénitentiaire » (le détenu est placé au quartier disciplinaire, le « mitard »), « d’une mesure administrative préventive » (le détenu est placé contre son gré en quartier d’isolement), « ou d’une mesure de protection du détenu concerné » (le détenu est isolé à sa demande).

Les constats empiriques du Comité confirment les résultats de la recherche2 : l’isolement disciplinaire ou de sécurité « peut avoir des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bien-être social » des personnes qui y sont soumises ; ces effets « peuvent être immédiats et augmentent d’autant plus que la mesure se prolonge et que sa durée est indéterminée ». Dès lors, ce type de mesure « soulève en soi potentiellement des questions au regard de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » estime le CPT, ajoutant qu’il « peut créer une opportunité s’agissant de mauvais traitements délibérés de détenus, loin de l’attention des autres détenus et du personnel ». Dans ce contexte, le Comité affirme qu’il est non seulement « possible de réduire le recours à l’isolement au minimum absolu » mais impératif « de faire en sorte que, lorsqu’il est mis en œuvre, ce soit pour la durée nécessaire la plus brève, de rendre chaque régime d’isolement le plus constructif possible et de garantir que des procédures sont en place afin que l’autorité y recourant soit tenue d’en rendre compte ». Conséquence : la France a encore bien des avancées à consentir pour satisfaire aux attentes du Conseil de l’Europe, notamment pour ce qui est de la durée maximale de placement en quartier disciplinaire ou le contenu de la mesure d’isolement administratif.

14 jours au plus de « mitard »…

Particulièrement opportune à l’heure où notre pays semble se satisfaire des dispositions relatives au régime disciplinaire telles qu’issues de la loi pénitentiaire (article 91), l’initiative du CPT sonne comme un appel au législateur à remettre l’ouvrage sur le métier. On retiendra en premier lieu la « tendance » relevée dans nombre de pays européens « vers une réduction de la durée maximale d’isolement à des fins disciplinaires ». À cette aune, la France aurait presque pu être citée en exemple, elle qui vient de la diminuer de 45 à 30 jours. « C’est encore beaucoup trop ! », tonne le secrétaire exécutif adjoint du Comité, Fabrice Kellens. Et pour cause. Le CPT « considère que cette durée maximale ne devrait pas excéder 14 jours » et « devrait de préférence être plus courte ».

Plus largement, le propos du Comité renvoie la règlementation française à nombre de ses insuffisances. Selon lui, la diminution de la durée maximale de placement au quartier disciplinaire acte de la reconnaissance par les autorités pénitentiaires des « dangers inhérents à cette sanction » comme de ses « effets potentiels très dommageables ». Il revenait donc au Parlement d’affirmer clairement que le quartier disciplinaire ne peut être utilisé que « pour la période de temps la plus brève possible », mais aussi doit être réservé à « des cas exceptionnels et en tout dernier recours ». Le silence de la loi du 24 novembre 2009 sur ce point témoigne de sa faible portée réformatrice, à l’instar de la plupart des autres préconisations du CPT sur la situation de jure ou de facto de l’isolé disciplinaire dans notre pays. Qu’il s’agisse de la limitation des droits qu’il subit : « toute restriction des contacts avec les proches » ne devrait pouvoir être imposée « que lorsque l’infraction a un lien avec ces contacts ». De la procédure disciplinaire : « certains pays autorisent le directeur de la prison à imposer une période maximum donnée, réservant à un tribunal d’exécution des peines la possibilité d’imposer une période plus longue ». Des conditions d’exécution de la sanction : « toute cellule [disciplinaire] mesurant moins de 6 m2 devrait être mise hors service ». Ou de la décision de mettre fin à un placement au « mitard », qui « devrait être prise lorsque nécessaire en raison de l’état de santé ou du comportement du détenu ».

Changement de cap pour l’isolement !

Plus exigeantes encore, les attentes du CPT en matière d’isolement administratif supposeraient d’engager une véritable révolution copernicienne. En effet, le Comité n’admet en définitive ce type d’isolement que pour une durée extrêmement réduite – quelques heures tout au plus – l’intéressé devant « être libéré dès que les raisons de l’imposition de la mesure ont disparu ». « Dans tous les cas où la mesure se poursuit au-delà de 24 heures », ajoute-t-il, « il convient de procéder à un réexamen complet de tous les aspects du cas en vue de mettre fin à la mesure le plus rapidement possible ». Le Gouvernement français doit désormais mieux comprendre pourquoi, devant des durées d’isolement se comptant en semaines et en mois, voire en années, le CPT affirme dans chacun de ses rapports consécutifs à ses visites dans notre pays, qu’une telle mesure « peut constituer un traitement inhumain et dégradant ».

Parce qu’il s’agit fréquemment de « placements de très longues durées » et de « décisions souvent indéterminées » deux éléments aggravant « les effets négatifs de la mesure » le CPT rappelle le « besoin de contrôles très stricts ». Dans l’hypothèse d’une mesure devant se prolonger pour une durée supérieure à 24 heures, il demande tout à la fois l’intervention d’« un organe extérieur à la prison où est détenu l’intéressé, par exemple un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire », l’instauration d’« un droit de recours auprès d’une autorité indépendante » et, si la décision est confirmée, la convocation d’« une réunion interdisciplinaire» devant laquelle le détenu serait «invité à présenter son point de vue ». Il précise que « le détenu doit être en mesure de solliciter un réexamen à tout moment » de l’opportunité qu’il soit maintenu à l’isolement et « d’obtenir des rapports indépendants pour de tels réexamens ». Assurément, l’on se trouve à des années-lumière de la règlementation française issue de la loi pénitentiaire: le directeur de la prison décide seul d’un placement initial à l’isolement pour une durée maximale de trois mois. L’isolement peut ensuite être prolongé indéfiniment, après débat contradictoire, par périodes de trois mois. Une autorité judiciaire est saisie, mais seulement dans le cas où la mesure est appliquée depuis plus d’un an, et elle ne peut donner qu’un avis consultatif.

Plus en avant, le CPT prend à rebrousse poil l’approche traditionnelle que l’administration pénitentiaire a de l’isolement, à savoir un placement seul en cellule dans un quartier spécial situé à l’écart du reste de la détention, avec, sauf exception, une impossibilité de participer aux promenades et activités collectives, qui invalide toute perspective de travailler en atelier, de suivre une formation professionnelle ou de prendre part aux activités socio-culturelles et sportives. La finalité assignée à l’isolement par le Comité – condition sine qua non de son acceptation d’une telle mesure – est d’une toute autre nature : il s’agit d’une mesure temporaire destinée à faire face à une menace précisément identifiée. Dans ce cadre, « les détenus placés à l’isolement administratif devraient bénéficier d’un programme individualisé, axé sur la manière de traiter les motifs de l’isolement. Ce programme devrait chercher à maximiser les contacts avec autrui – le personnel pour commencer puis, dès que possible, d’autres détenus appropriés – et proposer un éventail d’activités le plus vaste possible pour occuper les journées. Il devrait y avoir un fort encouragement de la part du personnel pour que le détenu participe à des activités et les contacts avec le monde extérieur devraient être facilités. Pendant toute la durée de l’isolement administratif, l’objectif global devrait être de convaincre le détenu à réintégrer le régime normal ».

Rappelant que « l’indicateur le plus significatif des dommages que peut infliger » l’isolement disciplinaire ou de sécurité « est le nombre considérablement plus élevé de suicides parmi les détenus qui y sont soumis par rapport à celui dans la population pénitentiaire générale », le CPT réaffirme avec une fermeté inédite qu’il constitue « une restriction grave des droits d’un détenu et qu’il emporte des risques intrinsèques inhérents » pour la personne. Raison pour laquelle il tente de lui opposer une digue: « le niveau des dommages potentiels ou réels doit être au moins aussi grave et pouvoir être traité seulement par ce moyen ». À tout le moins, le respect de ce principe de proportionnalité rejoint la cohorte des réformes à inscrire à l’ordre du jour.

Marie Crétenot

1. Etabli pour la période du 1er aout 2010 au 31 juillet 2011.

2. Sharon Shalev, A sourcebook on Solitary Confinement, Mannheim Centre for Criminology, London, 2008.