A partir du 10 janvier, les députés examineront en urgence le projet de loi sur l’exécution des peines, qui prévoit notamment un accroissement du parc carcéral de plus de 24 000 places. Un programme coûteux, contre-productif à prévenir la récidive, qui s’inscrit dans une logique d’exécution des peines à la chaîne, se souciant peu du contenu de la réponse pénale et des conditions de son application.
« Pour assurer une exécution normale des peines d’emprisonnement, la France a besoin de 80 000 places de détention. » C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy annonçait le 13 septembre au centre pénitentiaire de Réau l’un des objectifs-phare de la loi de programmation relative à l’exécution des peines. Dans l’exposé des motifs du projet déposé à l’Assemblée nationale deux mois plus tard, il est confirmé qu’il s’agit de construire non pas 30 000, mais 24 397 places d’ici la fin de l’année 2017, essentiellement « afin d’assurer l’exécution des courtes peines d’emprisonnement ». Ces peines de deux ans et moins qui ont été dans la même législature décrétées comme passibles d’un aménagement de peine avant leur mise à exécution en détention. Des nouvelles prisons pour courtes peines, dont la taille va être augmentée, à l’image d’un dessein « d’industrialisation de la captivité » dénoncé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté1.
Objectif : 80 000 places
Le nouvel accroissement du parc carcéral se fonde sur « le scénario le plus probable d’évolution de la population carcérale », selon lequel le nombre de personnes détenues devrait s’élever à « 80 000 à horizon 2017, ce qui suppose de porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places à cette échéance » 2. Le raisonnement paraît imparable. Il se base en fait sur le choix résolument arbitraire d’un scénario parmi quatre, exposés dans l’étude d’impact adossée au projet de loi.
Le premier scénario aboutissait à un nombre de 61400 détenus en 2017, alors qu’il était de 64147 au 1er octobre 2011. Le calcul intègre une stabilisation du nombre de condamnations à des peines d’emprisonnement ferme à 140000 par an à partir de 2012, un stock de peines en attente d’exécution non résorbé et une augmentation des personnes sous surveillance électronique (à 13 000, contre 7 886 en novembre 2011). Cette prédiction d’une baisse du nombre de détenus n’a pas semblé convenir aux projets sarkozystes. Recalé. Dans le deuxième scénario, le nombre de condamnations se stabilise également, mais le stock de peines en attente est réduit à 50000, contre 85 000 en juin 2011. Le nombre de personnes détenues en 2017 serait alors de 72 000. Pas assez. Le troisième scénario prévoit la même réduction du stock à 50000 peines en attente, mais une progression des condamnations à un rythme de 2 % par an, « soit le taux de croissance annuel moyen constaté sur la période 2003-2011 ». Un taux moyen n’intégrant pas d’importantes variations au cours de cette période, tant les pratiques de la magistrature s’avèrent mouvantes au gré des pressions politico-médiatiques. Il est en outre calculé sur huit années, période de référence qui aurait pu tout aussi bien être étendue à quelques années supplémentaires, pour un résultat différent… de 78 500 détenus. Toujours insuffisant. Le dernier scénario reprend la progression des condamnations de 2 % par an, mais avec cette fois un stock de peines en attente de 35 000, « soit un niveau proche du stock incompressible estimé, compte tenu des délais de procédure ». On est heureux que soit finalement reconnue une part « incompressible », loin des déclarations tonitruantes à l’égard du « fléau de l’inexécution des peines »… Le dernier scénario, selon lequel 80 100 personnes seraient détenues en 2017, rencontre les faveurs de l’exécutif, sans la moindre explication sur les raisons de ce choix.
Rappelons que par le passé, ce type de « prédictions » s’est toujours avéré surévalué. Dès 1987, le programme Chalandon de 13000 places est engagé sur la base d’une projection de 65 000 à 70 000 détenus en 1990 : ils seront 45 000. Le programme Méhaignerie de 4000 places en 1994 est initié sur la base d’une projection de 70 000 détenus en 2000 : ils seront 51 441 ! En revanche, l’augmentation du parc carcéral ayant tendance à faire augmenter les incarcérations, si 80 000 places sont effectivement disponibles en 2017, il y a fort à parier qu’elles seront remplies. Une fois l’argument statistique réprouvé, reste un projet politique. Celui de rapprocher le taux de détention de la France de 96 détenus pour 100 000 habitants de la moyenne européenne de 143,8. Un taux français que le Gouvernement explique « en grande partie par l’insuffisance du parc carcéral, très inférieur à la capacité moyenne des pays européens » (France: 83,5 places de prison pour 100000 habitants. Conseil de l’Europe : 138). Et de se réjouir : avec 80 000 places, « la capacité carcérale française passera à un ratio de 117 places pour 100000 habitants. Elle se rapprochera de la moyenne européenne »3. Pour Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d’appel de Paris, « cette moyenne européenne n’a pas une grande signification, elle recouvre des situations et des choix politiques extrêmement différents. On sait que plus on construit de prisons, plus on prononce de peines d’emprisonnement »4. Telle est la perspective souhaitée.
Des prisons pour courtes peines
L’essentiel des nouvelles places envisagées en sus des programmes déjà annoncés ou en cours concerne des courtes peines d’emprisonnement. Il s’agit d’une part d’augmenter la capacité des « établissements nouveau concept » – qui ne sont pas encore construits – de manière « à accroître le nombre de places pour courtes peines disponibles ». D’autre part, de nouveaux établissements spécialement dédiés aux courtes peines seront construits : le nouveau programme de constructions porte ainsi « exclusivement sur des structures pour courtes peines »5. Au total ce sont 7 500 places pour courtes peines qui devraient être créées d’ici 2017.
Renoncer aux aménagements de peines? Une telle option sous-tend un renoncement à aménager les peines d’emprisonnement de deux ans et moins, à l’inverse des dispositions de la loi pénitentiaire adoptée le 24 novembre 20096. Si la construction de prisons pour courtes peines est considérée comme nécessaire « pour réduire le stock de peines en attente d’exécution »7, il n’est donc plus envisagé de les convertir ou de les aménager après leur prononcé (en surveillance électronique, libération conditionnelle, travail d’intérêt général…) Pour appuyer sa proposition, le Gouvernement se fonde sur une interprétation erronée du chiffre des peines en attente d’exécution. Dans l’étude d’impact du projet de loi, il réaffirme en effet que les 85600 peines fermes délictuelles en attente d’exécution fin juin 2011 ne peuvent plus faire l’objet d’un aménagement de peine. « La durée moyenne de ces peines est évaluée à 145 jours, soit 4,7 mois. Après prise en compte des crédits de réduction automatique de peine, cette durée moyenne est ramenée à 112 jours, soit 3,7 mois. […] On constate donc que le nombre de courtes peines en attente d’exécution reste important, alors même que la loi pénitentiaire a entendu développer l’aménagement des peines ab initio. […] Il convient de rappeler que la décision d’aménagement relève de l’appréciation souveraine des juridictions. » Et d’en conclure que « pour ces courtes peines, les magistrats considèrent que la personnalité et la situation des condamnés justifient une incarcération ». Le Gouvernement confond ici les aménagements de peine prononcé ab initio par la juridiction de jugement, qui peut aménager/convertir une courte peine ferme qu’elle vient de décider, et les peines d’emprisonnement en attente dans les services de l’application des peines, qui doivent dans un second temps examiner toutes les peines de deux ans et moins prononcées sans mandat de dépôt, en vue de leur aménagement (semi-liberté, placement sous surveillance électronique, placement à l’extérieur ou libération conditionnelle) ou de leur conversion (travail d’intérêt général, jours-amende)8. Le fait que l’aménagement de peine n’ait pas d’emblée été prononcé par la juridiction de jugement ne signifie donc pas qu’il ne puisse pas être décidé ensuite par le JAP.
Il faut dire que le rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) de mars 2009 par lequel tout a commencé a pu orienter les décideurs en ce sens, en indiquant que les 82 000 peines d’emprisonnement en attente d’exécution équivalaient à 1,6 fois le nombre de places disponibles en établissement pénitentiaire, « comme si toutes ces peines étaient destinées à être exécutées en prison alors même que 90 % d’entre elles sont susceptibles d’aménagement sur le fondement de l’article 723-15 du code de procédure pénale », rappelait déjà l’Association nationale des juges de l’application des peines9. Les services de l’application des peines engorgés subissent certains retards à examiner l’ensemble de ces peines, ce qui supposerait un renforcement massif de leurs moyens, tout comme ceux des services pénitentiaires d’insertion et de probation, chargés de mettre en œuvre les mesures d’aménagement. En réalité, si la majorité des auteurs de délits condamnés à des courtes peines les exécutaient en milieu ouvert, le parc carcéral actuel (57 268 places, 48 354 cellules) serait non seulement suffisant, mais il permettrait d’ores-et-déjà d’appliquer le principe de l’encellulement individuel, dans le respect des Règles pénitentiaires européennes 10.
Les alternatives plus efficientes à prévenir la récidive. Dans son discours de Réau, Nicolas Sarkozy avait annoncé que les nouvelles prisons pour courtes peines concerneraient des condamnés « ne présentant pas de dangerosité particulière. Cette catégorie de détenus constitue aujourd’hui la majorité des personnes incarcérées, et la plupart des peines qui sont en attente d’exécution sont précisément des courtes peines ». Si ces condamnés ne présentent pas de « dangerosité particulière », il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Afin de mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter ces peines en milieu ouvert. Les taux de récidive les plus élevés concernent les détenus qui ont purgé la totalité de leur peine en prison (63 % de « re-condamnation » dans les cinq ans). Les libérés conditionnels récidivent moins (39 %), tout comme les bénéficiaires d’un autre aménagement de peine (55 %) ou encore les condamnés à une peine alternative (45 %)11. Dès lors, une première étape pour limiter la récidive réside dans le fait d’éviter l’emprisonnement le plus possible, en ce qu’il aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, a tendance à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un « statut de délinquant ». Le Conseil de l’Europe évoque ainsi que « dans la plupart des cas, la privation de liberté est loin d’être le meilleur recours pour aider l’auteur d’une infraction à devenir un membre de la société respectueux de la loi »12.
Afin de clarifier la réponse pénale, la rendre plus lisible pour tous, l’idéal serait néanmoins d’accroître le recours aux solutions alternatives à la prison dès le prononcé de la peine, plutôt que d’adopter des dispositions législatives visant à prononcer plus systématiquement l’emprisonnement (peines plancher, notamment) et d’autres dispositions visant à les aménager aussitôt. Pour l’avocat général Jean-Paul Jean, « le discours est hypocrite, voire schizophrène. Le message adressé au juge est “prononcez des peines de prison et exécutez-les”. Dans le même temps, on dit aux juges de l’application des peines : “libérez-les le plus vite possible”. Je préfèrerais que le juge soit tenu d’assumer les peines qu’il prononce, et n’en prononce qu’avec parcimonie, plutôt que de se dire “je prononce une peine, que le JAP aménagera” 13. »
Une politique coûteuse pour le contribuable
Outre sa dimension contre-productive en termes de prévention de la récidive, la prison coûte cher. Dans un contexte de crise économique, la construction de 24 397 places engagerait l’État dans un investissement de 3,08 milliards d’euros. Cette somme a été calculée sur la base d’un coût de construction unitaire de référence, « hors coût d’acquisition foncière », comme le précise l’annexe du projet de loi. Si bien que le montant nécessaire à l’acquisition de terrains pourrait s’ajouter encore à cette somme : il est indiqué qu’une « trentaine de sites nouveaux devront être recherchés pour construire des établissements spécifiques pour les courtes peines. Ces établissements devront être localisés dans des zones très urbanisées. L’administration pénitentiaire ne dispose d’aucune réserve foncière préalable pour l’implantation de ces nouveaux établissements, à l’exception des sites de Bordeaux, d’une part, et des Baumettes à Marseille, d’autre part. » Ces montants viendraient s’ajouter à ceux du programme de construction de 13 200 places initié en 2002 et toujours en cours, pour lequel 3,8 milliards restent à verser sur les 4,02 engagés14. Enfin, les frais de fonctionnement annuels pour 24397 places supplémentaires sont évalués à 748 millions15.
La prison coûte autrement plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives: le coût d’une journée de détention est évalué à 84 euros, celui d’une journée en placement extérieur à 27 euros, en surveillance électronique à 12 euros…16 Des mesures telles que le travail d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve ou la libération conditionnelle apparaissent encore plus avantageuses en termes financiers, ainsi que d’efficacité à prévenir la récidive et favoriser l’insertion des condamnés. L’exposé des motifs du projet de loi vante les moindres coûts de fonctionnement des prisons dédiées aux courtes peines, essentiellement en ce que le taux d’encadrement par des personnels de surveillance y sera inférieur de moitié (0,22) par rapport aux autres établissements (0,45), du fait de « la faible dangerosité des personnes détenues » concernées. Il s’agit là de la seule indication sur le régime envisagé pour ces nouvelles prisons…
Nouvelle classification et taille des établissements
Le projet de loi comporte également une nouvelle classification des établissements, actuellement scindés en maisons d’arrêt et établissements pour peine (centres de détention et maisons centrales). La nouvelle typologie envisagée tient compte de la « diversité de profil des détenus » et distingue quatre types d’établissements : « à sécurité renforcée », « à sécurité normale », « à sécurité adaptée », « à sécurité allégée ». Les arguments sont identiques à ceux invoqués pour la généralisation des « régimes différenciés » au sein d’un même établissement : il s’agit de « rompre avec l’uniformité de la prise en charge, et de ne plus imposer aux personnes condamnées à de courtes peines des contraintes de sécurité conçues pour des profils plus dangereux » 17. Une nouvelle fois, il est question de « prises en charge » différenciées, alors qu’en réalité, seul le niveau de sécurité varie. Loin d’une démarche de prévention de la récidive, toutes les contraintes pèsent sur les publics les plus « difficiles » et « en difficulté », à l’intention desquels davantage d’accompagnement et de moyens devraient au contraire être prévus.
Autre évolution : la taille des établissements déjà programmés ou des nouvelles constructions se voit partout accrue, afin d’augmenter le nombre de places, en dépit des conséquences sur les relations et la violence en détention. La capacité d’accueil des établissements « nouveau concept » passe ainsi de 90 à 150 places. Celle des établissements du nouveau programme immobilier (NPI) annoncé en mai 2011 sera augmentée en moyenne de 532 à 650 places, avec une capacité pouvant aller jusqu’à 850 places en région parisienne. Le tout permettant de créer 9500 places au lieu des 7400 initialement prévues. Quant aux structures pour courtes peines, elles « prendront la forme soit de quartiers pour courtes peines adossés à des établissements pénitentiaires classiques, soit d’établissements pour courtes peines autonomes. Dans le premier cas, leur capacité sera de 150 places; dans le second cas, de 190 places »18. A plusieurs reprises, le Contrôleur général a pourtant invité les pouvoirs publics à privilégier la construction de petites structures: « On est passé à une idée consistant à concentrer les effectifs de détenus pour diminuer les coûts d’investissement et – espère-t-on sans doute – ceux de fonctionnement […]. L’expérience aidant, le contrôle général persiste plus que jamais dans son point de vue, qui l’amène à penser que des établissements de plus de deux cents détenus génèrent des tensions, et donc des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits »19.
Sarah Dindo
1. Communiqué du 23 nov. 2011
2. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011.
3. Étude d’impact du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011.
4. Cf. dossier de ce numéro de Dedans-Dehors.
5. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011.
6. Articles 79 et suiv. de la loi du 24 nov. 2009.
7. Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, exposé des motifs, 23 nov.2011.
8. Articles 723-15 et 474 du Code de procédure pénale.
9. Revue de l’application des peines, novembre 2009.
10. Règle 18.5 des Règles pénitentiaires européennes, stipulant que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus », Recommandation du 11 janvier 2006.
11. A.Kensey, A.Benaouda, « Les risques de récidive des sortants de prison – Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, DAP/ PMJ5, mai 2011.
12. Conseil de l’Europe, conférence d’Istanbul, novembre 2005.
13. Cf. dossier de ce numéro de Dedans-Dehors.
14. Annexes budgétaires du PLF 2012
15. Sur la base d’un coût journalier de 84 euros.
16. PLF 2012, annexes budgétaires et site du ministère de la Justice (présentation du PSE, 15 juil.2011)
17. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011.
18. Annexe du projet de loi, op.cit., 23 nov. 2011. 19. CGLPL, Rapport 2010.
L’OIP adresse une lettre aux parlementaires
Le 28 novembre 2011, l’ensemble des parlementaires a reçu une lettre ouverte les invitant à voter contre la nouvelle augmentation du parc carcéral prévue dans le projet de loi relatif à l’exécution des peines. « À quelques mois de l’élection présidentielle, n’engagez pas le pays dans le gouffre économique d’une prison qui a démontré son échec à prévenir la récidive », interpelle l’Observatoire. Parmi les réponses reçues, celle du sénateur socialiste Richard Yung, rappelant le refus du Sénat d’une augmentation du nombre de places de prison dans le cadre du projet de loi de finances 2012, et inscrivant sa formation politique dans l’optique d’un développement « des alternatives à la détention, afin que la prison redevienne la peine ultime de notre échelle pénale, réservée aux crimes les plus graves ».