Adoptée le 29 février 2012 au terme d’une procédure d’urgence, la loi de programmation relative à l’exécution des peines reste quasiment en son état initial, en dépit de débats et travaux parlementaires ayant largement montré les impasses d’une politique d’industrialisation de l’emprisonnement.
Autiste. Telle aura été la majorité présidentielle dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’exécution des peines. Des voix se sont pourtant élevées sur les bancs de l’Assemblée nationale et du Sénat, relayant celles des associations, professionnels et institutions de défense des droits de l’Homme. Le Sénat aura adopté un texte totalement revisité avant d’être retoqué devant l’Assemblée. En vain, il aura substitué à l’objectif de « garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées, notamment des peines d’emprisonnement ferme » celui de « favoriser une exécution plus rapide des peines dans le respect des dispositions relatives aux aménagements de peine de la loi pénitentiaire ». Deux philosophies de la peine se sont ainsi opposées sans jamais se rencontrer, le garde des Sceaux, Michel Mercier, estimant que « l’échec de la commission mixte paritaire a montré que ces positions ne pouvaient être rapprochées »1.
Politique réductionniste contre politique inflationniste
Rapporteur de la Commission des lois du Sénat, Nicole Borvo décrit ainsi « deux visions opposées », notamment sur la construction de 24 397 places de prison : « Le gouvernement s’inscrit dans la perspective d’une augmentation continue du nombre de personnes détenues et entend accroître les capacités du parc pénitentiaire. La majorité sénatoriale souhaite, dans le prolongement de la loi pénitentiaire, encourager une politique dynamique d’aménagements de peine et, de ce fait, la réduction du nombre des incarcérations, afin de favoriser la réinsertion des personnes condamnées et, ainsi, de mieux lutter contre la récidive2. » En ce sens, le Sénat avait substitué à une extension du parc carcéral, un principe d’aménagement systématique des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à trois mois, un octroi de plein droit d’une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine (sauf avis contraire du juge de l’application des peines et inexécution de la période de sureté), une réduction du tiers de la peine encourue en cas d’altération du discernement au moment des faits…
Au premier rang des arguments contre une politique du « tout carcéral », celui de l’efficacité à prévenir la récidive. Le député socialiste Julien Dray reconnait l’importance de « défendre les victimes actuelles, mais aussi les victimes futures, en faisant en sorte d’éviter les récidives. Toute politique pénale et carcérale doit être sous-tendue par cette idée ». Or, « qu’on le veuille ou non, la prison constitue toujours, par essence, un univers criminogène. Nous devons ne pas tomber dans le travers consistant à sanctionner chaque acte délictueux par une peine de prison, en réaction à la souffrance des victimes ». Estimant nécessaire, même si plus ardu, d’expliquer qu’une peine de probation « correspond avant tout à la volonté d’éviter la récidive », il réfute l’option gouvernementale « d’augmenter les moyens de la justice dans une optique presque exclusivement carcérale3 ». Une probation de plus en plus défendue comme alternative à la détention, en premier lieu par le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, interpellant le garde des Sceaux : « Vous n’acceptez pas d’entendre que l’emprisonnement aveugle représente aujourd’hui le premier facteur de récidive. (…) Pourtant, un autre chemin existe, celui de la probation. Faire le choix de la probation, c’est privilégier la responsabilisation et, au sens propre, la mise à l’épreuve du condamné, quand la prison favorise au contraire des attitudes de déresponsabilisation. Faire le choix de la probation, c’est permettre la réparation du trouble causé par l’infraction, tant à l’égard de la société que de la victime, alors que la prison contribue au contraire à nourrir ce trouble indéfiniment. »
Au Sénat, Michel Mercier répond à ceux qui lui reprochent une politique du « tout carcéral » : « Vous savez bien que c’est faux ! » Il argue que l’extension du parc s’inscrit dans une lutte contre la surpopulation carcérale, face aux 56 000 places de prison actuelles pour 67 000 détenus : « Sur les 24 000 places que nous voulons construire, plus de 10 000 seront occupées par des personnes déjà détenues. » Viennent ensuite les fameuses « 85 000 personnes [qui] attendent l’exécution de leur peine », parmi lesquelles « certaines doivent aller en prison4 ». A l’argument selon lequel « pour mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter les peines en milieu ouvert », avancé par J. J. Urvoas, les députés de la majorité répondent « C’est normal, ce sont les moins dangereux ! » (J-P. Garraud), ce qui relève d’une méconnaissance des travaux internationaux montrant que même en cas de fort risque de récidive, l’emprisonnement aggrave le risque, au contraire de programmes adaptés en milieu ouvert5. En fin de compte, il apparaît surtout que la prévention de la récidive ne constitue pas la finalité d’une politique pénale sarkozyste, Jean-Paul Garraud préférant dire « clairement : l’exécution des peines est pour nous la finalité de la justice pénale. Comment pouvez-vous tolérer que, à la fin d’un processus qui mobilise tous les acteurs de la chaîne pénale, du policier, du gendarme aux greffiers et aux magistrats, la décision prise souverainement par des juges indépendants ne soit pas respectée ? »
Vous n’acceptez pas d’entendre que l’emprisonnement aveugle représente aujourd’hui le premier facteur de récidive (Jean-Jacques Urvoas, député PS)
Le postulat erroné de « l’inexécution » des peines
Les parlementaires auront pourtant largement démontré l’inanité du « présupposé [selon lequel] le stock de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution serait lié à insuffisance du nombre de places6 ». Le rapport de la Commission des lois du Sénat rappelle que parmi les 85 600 peines en attente recensées au 30 juin 2011, 95 % sont aménageables, dans la mesure où il s’agit de peines inférieures à deux ans ou à un an en récidive7. Ces peines doivent désormais être examinées par le juge de l’application des peines afin d’étudier l’opportunité d’un aménagement (semi-liberté, placement extérieur, surveillance électronique, libération conditionnelle). Dès lors, il s’agit non pas de peines « inexécutées », comme l’a prétendu le gouvernement, mais de peines « en cours d’exécution. (…) L’importance du nombre de peines en attente d’exécution ne signifie aucunement, contrairement à l’affirmation de l’étude d’impact, que “pour ces courtes peines, les magistrats considèrent que la personnalité et la situation des condamnés justifient une incarcération” ». Les retards dans l’examen de ces peines s’expliquent essentiellement par un engorgement et un manque de moyens de la machine judiciaire : « Augmentation constante du taux de réponse pénale [pouvant] conduire à des effets de saturation au niveau du bureau d’ordre, de l’audiencement ou encore du greffe correctionnel»; «effectifs dévolus à l’exécution des peines insuffisants » ; conditions légales à remplir pour rendre les jugements exécutoires, qui peuvent ralentir le processus lorsque la peine a été prononcée en l’absence du prévenu; personnes non retrouvées à l’adresse déclarée ; engorgement des services de l’application des peines accru depuis la loi pénitentiaire, qui a conduit à une hausse du « nombre de saisines et, en pratique, à un allongement des délais d’instruction de ces dossiers8 ».
L’éclairage final viendra des députés Raimbourg et Urvoas, le premier précisant qu’une peine peut être dite inexécutée lorsqu’elle « n’a pas commencé à être exécutée au terme de la période de prescription de cinq ans, et ne peut donc plus l’être», le second invoquant un rapport d’information de février 2011 signé Étienne Blanc, qui avait évalué à 3 ou 4 % le taux de peine véritablement inexécutées9. Jean-Jacques Urvoas explique également tout le sens de la phase de l’application des peines : « Les tribunaux ont parfois tendance à juger trop vite, sans disposer des informations suffisantes, et peinent dès lors à individualiser la sanction de façon optimale. Telle est bien souvent la raison pour laquelle ils renvoient aux juges de l’application des peines le soin de procéder dans un second temps, aux ajustements et rectifications nécessaires. »
Dans les rangs de la majorité, la surdité est de rigueur: « Plusieurs dizaines de milliers de peines d’emprisonnement prononcées chaque année ne sont jamais exécutées », maintient Michel Hunault, député du Nouveau Centre. « Le stock de sanctions non exécutées à la fin 2010 s’élevait à près de 100 000 peines en attente », martèle Christian Estrosi, député UMP. Rappelant que « plus de la moitié [des peines en attente] ont une durée inférieure ou égale à trois mois », le garde des Sceaux estime pour sa part « tout aussi illusoire de croire que toutes ces peines sont éligibles à un aménagement de peine que de penser qu’elles devront toutes être exécutées en prison. Nous avons donc créé des établissements pour courtes peines qui apporteront une réponse adaptée aux objectifs de la loi pénitentiaire ».
Des prisons pour courtes peines au dépend des aménagements
Outre un accroissement du nombre places en « unités pour courtes peines » dans les établissements du « programme 13 200 » déjà initié, la loi de programmation initie un nouveau programme (5 847 places) « portant exclusivement sur des structures pour courtes peines10 ». Celles-ci se voient dé nies « comme étant celles d’une durée inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, ou dont le reliquat est inférieur ou égal à un an »11. Outre un renoncement symbolique au seuil des deux ans de la loi pénitentiaire visant les peines « aménageables », la création de places de prison pour courtes peines apparaît « paradoxal[e], alors que la loi pénitentiaire a fixé pour principe [leur] aménagement12 ». Eric Ciotti lève sans ambages le voile sur l’intention du gouvernement de progressivement renoncer à l’exécution des courtes en milieu ouvert: selon lui, la « faiblesse du parc carcéral et la surpopulation qui en découle ont conduit par le passé à devoir trouver des solutions alternatives. L’aménagement systématique des peines de prison fermes inférieures à deux ans s’inscrit dans cette démarche. (…) Ce texte permettra ainsi de sortir d’une certaine forme d’hypocrisie qui a consisté à légitimer des aménagements de peine systématiques pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales ».
Le tournant est ainsi pris, avec un investissement massif dans le parc carcéral, et toujours au compte-gouttes dans le milieu ouvert (ce qui ne lui permet jamais de garantir des suivis rapides et intensifs, donc une véritable alternative à la prison). Le sénateur UMP Jean-René Lecerf souligne que le nouveau programme de constructions « aura des conséquences financières extrêmement lourdes: chaque cellule coûte de 100 000 à 150 000 euros. Les investissements oscilleront donc entre 3 et 4,5 milliards. Ensuite, il faudra recruter des personnels supplémentaires: 6 000, d’après les données dont nous disposons. Face à ces données, les créations de postes qu’on nous annonce pour les agents d’insertion et de probation – 88 – apparaissent dérisoires, d’autant que la loi pénitentiaire [aurait déjà nécessité] 1000 postes supplémentaires. Nous en sommes loin ! (…) Ce faisant, nous risquons de condamner la politique d’aménagement des peines qui a été mise en place13 ». Le garde des Sceaux défend, pour sa part, sans sourire la création de « quatre-vingt-huit emplois pour cons tuer des équipes mobiles dans les SPIP, ainsi que la délégation au secteur associatif habilité des enquêtes présentielles, ce qui permettra de réaffecter l’équivalent de 130 emplois de conseillers d’insertion et de probation14 ». Quant à la création de 120 postes de magistrats et 89 greffiers pour renforcer les services d’application et d’exécution des peines, la députée socialiste Marietta Karamanli indique qu’elle revient « pour partie sur des suppressions de postes décidées dans des lois de finances précédentes ». Et de déplorer qu’un projet de loi engageant des fonds publics d’une telle ampleur jusqu’en 2017 soit examiné dans le cadre d’une procédure accélérée « qui ne devrait qu’être exceptionnelle ».
Nombre de parlementaires se sont aussi inquiétés du choix de mener l’essentiel du programme de construction en partenariat public-privé (PPP). Le rapport de la Commission des lois du Sénat cite celui de la Cour des comptes, observant que « les contrats de PPP entraînent pour L’État une obligation juridique de paiement de loyers au cours de très longues périodes, et pour des montants croissants qui pèseront lourdement sur les capacités budgétaires dans les années à venir. (…) Au cours des vingt-neuf prochaines années, L’État versera 5,605 milliards d’euros au titre de l’investissement (…) et 10,902 milliards d’euros au titre du fonctionnement, soit un total de 16,507 milliards d’euros ». Les sénateurs rappellent que le choix de la détention au détriment de l’aménagement de peine n’est « pas seulement inefficace au regard de la prévention de la récidive, il est en outre très coûteux. Ainsi, le prix moyen d’une journée de détention en établissement pénitentiaire – 71,10 € avec de fortes disparités entre les maisons centrales (141,37 €/jour) et les maisons d’arrêt (64,74 € par jour) – doit se comparer au coût journalier de la semi-liberté (47,81 €), du placement extérieur (40 € versés à l’association en charge de l’accueil de la personne condamnée) et du placement sous surveillance électronique (5,40 €)15 ».
Pour quelle prison ?
Autre révélateur d’une pure logique d’exécution des peines, sans attention à son contenu, aux conditions de son déroulement et à la finalité de prévention de la récidive, le gouvernement augmente la capacité des établissements du nouveau programme immobilier (13 200) de 532 à 650 places, avec une extension à 850 places en région parisienne. Avec d’autres, le député Marc Dolez rappelle la recommandation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de ne pas dépasser une capacité de 200 places, sachant que « des établissements de plus de 200 détenus génèrent des tensions et, donc, des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits ». Ce à quoi le garde des Sceaux répond sur les bancs de l’Assemblée : « A ce compte-là, il faudrait une prison tous les cent mètres ! »
Le député Jean-Jacques Urvoas appelle également l’attention sur un monde carcéral dans lequel la loi peine à être appliquée, ce qui devrait interroger les partisans de la construction de nouvelles prisons : « Vous ne pouvez pas nous dire que nos établissements, non seulement respectent la loi, mais s’humanisent. Vous ne pourrez pas tenir ce discours tant que l’on pratiquera la fouille à nu de manière systématique. La loi de la République n’est pas appliquée dans les établissements pénitentiaires, ce qui, pour le législateur, est inadmissible. » Le sénateur Jean-Pierre Michel invoquera encore les déclarations du Contrôleur général, selon lequel la loi de programmation « qui prévoit la construction de très grands centres de détention est une aberration. Un programme de rénovation des centres existants me semble plus adapté. C’est pourquoi je ne militerai pas pour le maintien de ce texte, mais abroger ce projet de loi est un choix politique ». Et le sénateur socialiste d’ajouter : « Monsieur le garde des Sceaux, ce choix, nous le ferons dans quelques mois, n’en doutez pas ! » Dont acte.
Sarah Dindo
1. Sénat, Compte rendu intégral des débats en séance publique, 27 février 2012.
2. Sénat, 27 février 2012.
3. Assemblée nationale, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012.
4. Sénat, Compte rendu intégral des débats en séance publique, 27 février 2012.
5. Cf. dossier dans ce numéro « Prévention de la récidive : le retard français ».
6. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, fait au nom de la Commission des lois, déposé le 26 janvier 2012.
7. Article 723-15 du Code de procédure pénale issu de la loi pénitentiaire.
8. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012.
9. Assemblée nationale, 10 janvier 2012.
10. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, texte adopté, 29 février 2012.
11. Jean-Paul Garraud, AN, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012.
12. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012.
13. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012.
14. Assemblée nationale, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012.
Principales dispositions de la loi de programmation
. Construction d’ici à 2017 de 24 397 nouvelles places de prison, dont près d’un tiers (7497) seront dédiées aux courtes peines.
. Classification des établissements pénitentiaires selon plusieurs niveaux de sécurité : « renforcée », « intermédiaire », « adaptée », « allégée ».
. Création de 20 centres éducatifs fermés pour mineurs avec un renforcement du suivi pédopsychiatrique.
. Généralisation du diagnostic à visée criminologique (DAVC) dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Possibilité pour les parquets de le consulter et d’en utiliser les données.
. Généralisation des «programmes de prévention de la récidive » à tous les établissements pénitentiaires. Inclusion obligatoire d’un volet relatif à la délinquance sexuelle et à l’étude des comportements.
. Obligation pour les autorités judiciaires de transmettre au médecin traitant des personnes soumises à une incitation aux soins en milieu fermé ou à une obligation de soins en milieu ouvert les décisions relatives à leur condamnation. Possibilité de leur communiquer également les rapports d’expertise.
. Obligation pour le médecin traitant de délivrer, au moins une fois par trimestre, aux personnes soumises à une incitation aux soins des attestations indiquant si elles suivent ou non le traitement. Incitation du JAP à ne pas accorder de réduction supplémentaire de peine si la personne ne suit pas le traitement de façon régulière.
. Création de trois nouveaux centres nationaux d’évaluation pour les condamnés à de longues peines.
. Transmission systématique des ordonnances de placement sous contrôle judiciaire, jugements, décisions d’aménagement de peine ou de mesures de sureté aux autorités académiques lorsque la personne est scolarisée ou a vocation à l’être. Possibilité de transmettre ces documents aux personnes chez lesquelles l’intéressé établit sa résidence.