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Mayotte dans l’impasse du tout-répressif

Touchée par une surpopulation chronique depuis son ouverture en 2016, la prison de Majicavo, à Mayotte, est au bord de l’implosion : en février, son taux d’occupation a dépassé les 200 %. Un phénomène qui trouve ses origines dans une politique pénale particulièrement répressive, sur un territoire offrant par ailleurs peu de possibilités d’alternatives à l’incarcération.

En janvier dernier, la population carcérale de la prison de Majicavo, sur l’île de Mayotte, a passé la barre des 550 détenus pour 278 places. Mi-février, 566 personnes étaient incarcérées, portant le taux d’occupation de l’établissement à 203 %. Des chiffres vertigineux, qui ne laissent qu’imaginer la promiscuité intenable dans laquelle les détenus vivent quotidiennement. Et si la situation ne cesse de s’aggraver, le phénomène n’est pas nouveau. Seulement quelques mois après la mise en service de cet établissement remplaçant l’ancienne prison, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté constatait en juin 2016 : « Sitôt ouvert, le quartier de la maison d’arrêt des hommes (MAH) s’est retrouvé saturé. […] Le droit à l’encellulement individuel n’y était respecté que pour 4 % des personnes alors que trente-cinq d’entre elles n’avaient même pas de lit, dormant sur un matelas à même le sol. » En mars 2022, un détenu racontait à l’Observatoire international des prisons (OIP) : « Nous sommes quatre en cellule, prévue pour deux. On a une chaise pour quatre. Pour supporter la chaleur, si nombreux dans un espace réduit, un ventilateur serait le bienvenu, mais il faut l’acheter en cantine, et il faut cotiser deux mois d’indigence. »[1] Il ajoute, à propos de la cour de promenade, elle aussi sous-dimensionnée : « Elle n’est jamais nettoyée, les urinoirs sont bouchés, les murs sont sales, il n’y a pas de table et seulement trois bancs. »

Déjà en mai 2016, une aile du centre de détention a été convertie en quartier maison d’arrêt pour dégager des places supplémentaires et tenter d’absorber les flux d’entrants. Mais cette mesure s’est rapidement révélée insuffisante au vu de la progression constante des incarcérations. En février 2023, cette aile affichait un taux d’occupation de 313 %.

Une population précarisée et pourchassée

Cette dramatique situation reflète les difficultés sociales et économiques qui affectent le territoire. Terre d’immigration massive, quasi-exclusivement depuis l’archipel des Comores dont l’île la plus proche n’est située qu’à une centaine de kilomètres, Mayotte est le département le plus pauvre de France : plus de 70 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, le chômage touche 30 % de la population active.

La précarité, l’isolement et les inégalités sociales frappent de plein fouet la jeunesse, qui tombe facilement dans les délits de survie et les violences de bandes. « La population carcérale de Majicavo est à l’image de la population de l’île, c’est-à-dire une population jeune, précaire, et pour beaucoup en situation irrégulière, dépeint un magistrat du tribunal judicaire de Mamoudzou. Cette tranche de la population est en outre la cible des pouvoirs publics, qui mènent à son encontre une politique répressive, à l’instar de la prochaine opération de « décasage », baptisée

« Wuambushu » (« reprise » en shimaoré), prévue entre avril et juillet 2023. Sans précédent par son envergure

– cinq escadrons de gendarmerie, soit 400 agents, seront envoyés sur l’île –, celle-ci prévoit l’expulsion de milliers d’étrangers en situation irrégulière et la démolition massive des bidonvilles qu’ils occupent. Une immense partie de ces personnes, qui pour la plupart ont construit leur vie entière sur le sol mahorais, referont très certainement le trajet inverse, au risque de s’exposer à des peines d’emprisonnement[2]. Cette opération ne fera probablement que renforcer la précarisation de ces populations déjà vulnérables et les tensions déjà bien présentes sur le territoire.

 Une politique pénale particulièrement sévère

Dans ce climat délétère, la délinquance s’est en effet durablement installée ces dernières années. Les atteintes aux personnes – vols avec arme, agressions voire meurtres entre bandes rivales – sont les infractions les plus fréquentes. Elles génèrent un grand climat d’insécurité, à laquelle les pouvoirs publics, plutôt que d’investir sur leur prévention, répondent exclusivement par l’incarcération. « Cette tendance est liée aux types d’infractions, indique Me Mélanie Trouvé, avocate au barreau de Mayotte, mais c’est aussi une politique répressive en réponse à une pression de l’opinion publique mahoraise très fortement en faveur de l’incarcération, et qui trouve que la justice est trop laxiste. » Une répression qu’illustre le récent changement de politique pénale à l’égard des pilotes de kwassa[3]. Lors d’une première interpellation, ces pilotes écopaient auparavant, en comparution immédiate, de six mois d’emprisonnement avec sursis assortis d’une interdiction du territoire français de trois ans. Désormais, la peine est de six mois fermes avec mandat de dépôt.  « La police aux frontières peut arrêter jusqu’à une dizaine de pilotes par semaine », précise Mélanie Trouvé. Autant de nouvelles condamnations que la prison de Majicavo doit absorber – quand le magistrat ne prononce pas une conditionnelle expulsion[4].

Une politique du tout-carcéral

À cette politique coercitive s’ajoutent les difficultés rencontrées pour proposer des mesures alternatives à l’incarcération, en amont comme en aval de la condamnation. Ainsi, le recours à la détention provisoire est massif. Mi-février la moitié de la population détenue à Majicavo avait le statut de prévenu. La grande précarité de la population pénale à Mayotte et, pour partie, leur situation irrégulière sont un obstacle à la mise place de mesures telles que le contrôle judiciaire et l’assignation à résidence sous bracelet électronique (Arse) – qui se heurte à des problèmes de qualité des habitats et d’accès à l’électricité dans certaines zones. En outre, « en cas de situation irrégulière, le risque de fuite vers les Comores est quasiment systématiquement visé, quand bien même la personne a ses attaches à Mayotte et y réside depuis très longtemps. Cette crainte repose sur l’absence de convention bilatérale d’extradition entre la France et les Comores, et sur la proximité de l’archipel », ajoute un magistrat du TJ de Mamoudzou. Enfin, l’absence d’experts pour les procédures d’instruction, le turn-over important que connait la magistrature sur l’île et l’engorgement de la cour d’assises rallongent les délais d’instruction et de jugement et maintiennent les personnes en détention provisoire.

Les possibilités d’aménagements de peine sont, elles aussi, extrêmement réduites. Mi-février, seulement 34 personnes sur 600 écrouées bénéficiaient d’un aménagement (placement extérieur ou bracelet électronique). « La situation irrégulière de beaucoup de détenus est un problème pour rassembler les garanties nécessaires à un aménagement, comme le fait d’avoir un logement, un travail, explique un magistrat. Et comme pour l’Arse, la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) est matériellement limitée par la précarité des logements et les difficultés d’accès à l’électricité. »

Au-delà de ces limites, le développement des alternatives souffre d’un défaut de structures d’accueil sur le territoire. Le seul centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de Mayotte, géré par une association, dispose de six places, dont les personnes en situation irrégulière sont exclues. Une situation liée en partie à des difficultés structurelles – manque de foncier, manque de personnel qualifié, etc. – mais aussi à un défaut de volontarisme politique, tant national que local.

La construction d’un second établissement pénitentiaire, pour laquelle le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, a donné son accord de principe lors d’une visite à Mayotte en mars 2022, semble être la seule proposition mise sur la table. Or cette solution est en réalité loin de pouvoir répondre au problème de la surpopulation, l’adage selon lequel « plus on construit, plus on remplit » ayant déjà été par le passé largement vérifié.

Par Pauline Petitot

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ? 


[1] Le montant de l’indigence est fixé à 20 euros et les ventilateurs vendus à 34,90 euros.

[2] Article L824-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

[3] Barques de pêcheurs utilisées aussi par les passeurs pour transporter des Comoriens vers Mayotte.

[4] Lire « Des étrangers en peine d’aménagements », Dedans Dehors n°109, Décembre 2020.