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« Mon espoir, c’est le collectif »

Depuis la mort de son frère Adama Traoré dans un commissariat le 19 juillet 2016, Assa Traoré s’est lancée dans un combat intime et politique : alerter sur les violences policières, la violence d’un système pénal à deux vitesses, et demander sans relâche « Justice et vérité pour Adama ». Éducatrice spécialisée devenue aussi activiste, elle souligne l’urgence d’une mobilisation de masse et la nécessité d’une autre justice.

En quoi votre combat pour votre frère a-t-il changé – ou pas – votre regard sur la justice française ?

Assa Traoré : Je me suis rendu compte qu’on était dans une bulle. J’avais conscience de toutes ces inégalités, des violences policières, du fait de ma profession et parce que mes frères ont subi l’acharnement de la police. Mais la mort d’Adama et cette lutte m’ont fait réaliser que certains peuvent aller en prison pour rien, et que d’autres peuvent tuer quelqu’un et ne pas aller en prison. Aujourd’hui, je pense qu’il faut tout renverser pour se faire entendre. À mes yeux, la France a scindé son peuple en deux : une partie est oppressée, une autre est satisfaite. Mais on peut se lever tous ensemble pour faire plier cette mauvaise France.

Comment arriver à cette « justice juste pour tous » que vous appelez de vos vœux ?

Il faudrait déjà que l’on se dise qu’il n’y a pas d’État sans citoyens, que la justice se fait avec ses citoyens. Il faudrait que l’on soit acteurs et actrices dans ce changement, que l’on puisse dire « les décisions, vous ne les prenez pas seuls, parce que sans nous, il n’y a pas de vous ». Et puis surtout, il faut connaître mieux nos droits. On dit que la France est un pays de démocratie, de liberté, mais ce n’est vraiment le cas si on ne sait pas utiliser nos droits correctement. Quand on aura cassé ce sentiment de dépendance avec lequel on a grandi, quand on pourra dire à ceux qui pensent qu’ils ont plus de légitimité que les autres : « Vous allez arrêter de nous duper, de nous prendre pour des enfants. Je ne suis pas une assistée, je ne suis pas un joujou », alors peut-être qu’on pourra avancer.

Aujourd’hui, quels sont pour vous les luttes prioritaires ? Où voyez-vous des pistes d’espoir ?

La priorité pour moi, c’est la mise en examen des gendarmes qui ont tué mon frère. Ensuite, c’est rappeler que tout cela vient de la maltraitance qu’il y a envers les personnes de banlieues, de quartiers populaires. Les personnes précaires sont mises de côté, isolées, exploitées par d’autres… Tant qu’on ne donnera pas à chacun un rôle dans cette société, on n’avancera pas. Je pense aussi qu’il faut marcher ensemble, entre personnes de cultures et d’origines différentes. Tant que l’on n’arrivera pas à ça, le combat sera difficile… Mon espoir, c’est le collectif. Je le vois à travers le combat que l’on mène pour mon frère : on a des soutiens qui viennent de tous milieux. C’est pour ça qu’on a mis en place un système de parrainage au sein d’une association que l’on a créée pour que ceux qui ont des moyens puissent accompagner des jeunes, aider à ce que leur avenir ne ressemble pas à celui d’Adama. Il y a plein de jeunes qui demandent juste à ce qu’on leur file un petit coup de pouce. On veut aussi faire de la prévention, de l’accès aux droits et à la justice. Les violences policières, il faut les arrêter tout de suite, mais en utilisant le droit. On aimerait aussi mener d’autres projets, donner la parole aux jeunes pour qu’ils parlent de leurs expériences, qu’eux-mêmes disent ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent.

Propos recueillis par Sarah Bosquet