Prison d’un autre temps, le centre pénitentiaire de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, dit Camp-Est, est enfin l’objet d’attention dans l’Hexagone suite à une visite du Contrôle général fin 2011. Des prisonniers entassés à six 23 heures sur 24 dans des cellules de 12 m2 et qui se lavent dans les w.-C. à la turque, des asticots et bouts de plastique trouvés dans les repas, des rats et cafards qui envahissent la détention... La situation appelle d’urgence une réorientation des projets pénitentiaires et de la politique pénale locale.
Le centre pénitentiaire de Camp-Est s’était vu décerner « la palme de la prison la plus pourrie de la République » par une délégation de parlementaires français et européens en janvier 2010. En octobre 2011, l’établissement restait à la hauteur de sa réputation en suscitant la première procédure d’urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Ce qui a été observé lors de sa visite du 11 au 17 octobre relève « d’une violation grave des droits fondamentaux d’un nombre important de personnes » impliquant pour le Contrôleur de rendre ses observations en urgence et d’imposer aux autorités un bref délai pour y répondre avant leur publication1. En mars 2012, une campagne de recours des détenus de Camp-Est est initiée avec le soutien de l’OIP et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Nouvelle-Calédonie : plusieurs dizaines de prisonniers demandent au tribunal administratif à être indemnisés en urgence pour des conditions de détention attentatoires à la dignité humaine. Avec, en toile de fond, la responsabilité de L’État, qui a trop longtemps laissé cette prison à l’abandon. Mais aussi de la mairie de Nouméa, qui refuse depuis des années d’accorder les permis de construire nécessaires à des travaux de rénovation d’envergure, dans l’optique de voir la prison déplacée et de récupérer le terrain pour un projet immobilier touristique. Enfin, les autorités judiciaires pratiquent une politique pénale d’exécution des courtes peines en milieu fermé, recourant insuffisamment aux peines alternatives et aménagements de peine.
Six dans une cellule de la taille d’un ascenseur
Le niveau de promiscuité et d’insalubrité imposé aux prisonniers du Camp-Est relève d’un « bagne post colonial », dénonçait le 15 février dernier l’avocat général de la Cour de cassation à l’occasion de l’examen du pourvoi d’un prévenu demandant sa libération2. Au 1er février 2012, 430 détenus occupaient les quelque 218 places de l’établissement, pour un taux de sur-occupation de 245 % au quartier maison d’arrêt (QMA) et de 160 % au quartier centre de détention (QCD). Le Contrôleur général décrit un QMA composé « de cellules de 12 m2 où cohabitent jusqu’à six personnes alors que, selon les normes dé nies par l’administration pénitentiaire, il ne devrait pas y en avoir plus de deux. Chaque cellule comporte trois lits superposés d’un côté, deux lits superposés de l’autre côté et souvent, entre les deux rangées de lits, un matelas posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards ». Les personnes détenues décrivent des cellules « un peu plus larges qu’un ascenseur. Il y a cinq lits pour six personnes. Un détenu dort sur le sol3 ». Le moindre mouvement implique de déranger quelqu’un d’autre : « Parfois, je reste debout dans un coin 2 ou 3 heures avant de me déplacer. Pour boire, ou autre. On est trop serrés, la circulation est bloquée. » Président de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), Gérard Jodar écrivait de sa cellule à l’OIP en novembre 2009 : « A six dans une cellule, nous disposons de 3,80 m2 pour circuler. Cela oblige tout le temps deux à trois d’entre nous à rester couchés sur nos lits, car nous ne pouvons pas non plus nous asseoir, ces lits étant verticalement séparés de 60 cm. » La nuit, un détenu souhaitant se rendre aux toilettes risque de piétiner sur son passage celui qui dort par terre.
Pendant que les uns prennent leurs repas sur une table de fortune, les autres mangent sur le sol ou sur leur lit : « La table est une planche d’un lit qu’on a cassé. Deux personnes uniquement peuvent y manger. On n’a que trois tabourets puisque les trois autres servent de pieds à notre table. » De l’avis général, la nourriture distribuée est immangeable. En janvier 2011, un détenu relate son « intoxication alimentaire après avoir mangé un plat de saucisse aux lentilles. Souvent le riz est mal cuit. Les saucisses parfois à moitié crues ». Les plats sont servis dans des barquettes en plastique souvent cassées : « A plusieurs reprises, j’ai trouvé dans mon plateau-repas des morceaux de plastique, des cafards morts, des cheveux, des asticots, des élastiques », indique un détenu. Les repas sont pris « face aux toilettes, séparées de la cellule par un bout de planche de 2 mètres, sans aération. Si quelqu’un est aux w.-C., nous retenons notre respiration le temps que l’odeur disparaisse, puis nous reprenons notre repas ». Les cellules ne sont pas pourvues de fenêtres, mais de petites ouvertures munies de barreaux doublés de grillage : « La lumière naturelle n’est pas suffisante, il faut comprendre que l’on vit sur des lits superposés, le seul qui a de la lumière c’est celui qui est près du plafond. »
Dans le quartier « fermé » du centre de détention, qui reçoit des condamnés à des moyennes et longues peines, certains détenus sont placés à deux dans des cellules de 8 à 10 m2, d’autres dans des cellules contigües aboutissant à « regrouper sept à huit personnes dans des espaces de 24 m2 », indique le Contrôleur général. L’état des cellules « se caractérise par une faible luminosité et un grand désordre lié au surencombrement ». Un détenu de ce quartier ajoute : « Notre cellule est beaucoup trop petite pour accueillir huit personnes, il n’y a vraiment pas de place, les toilettes sont dans la salle à manger et il n’y a aucun système d’aération spécifique. » Dans le quartier « ouvert » du centre de détention, les détenus sont placés à deux dans des boxes de 8 m2, séparés par « des murs légers de 2,50 m de haut surmontés d’une nappe de grillage placée sous le toit du bâtiment en guise de plafond. Afin de se protéger des rats qui circulent dessus, les occupants des cases ont accroché par endroits des draps sous le grillage », relate le Contrôleur général.
Pour le plaisir des rongeurs…
Toutes les zones du centre pénitentiaire sont investies par les rats, fourmis et cafards qui, selon les dires d’un détenu, « font la fête dès que le soleil se couche ». Le Contrôleur observe que les grilles d’aération des cellules « sont souvent obstruées afin d’empêcher les rats de rentrer ; ces rongeurs parviennent toutefois à rentrer et se nourrissent des restes de repas ou de cantines qui, faute d’endroit clos, sont entreposés sur des étagères ou dans des meubles sans porte ». Les détenus se couchent le soir en « espérant que les rats et les cafards ne viendront pas [les] déranger durant [leur] sommeil. (…) Je dors très mal avec la chaleur et les rats qui viennent fouiller les restes de repas dans la poubelle, j’ai même été réveillé par les picotements des cafards dans mon lit. C’est vraiment impossible de dormir ». Un autre prisonnier raconte que pendant trois mois, il était le sixième détenu arrivé dans la cellule et qu’il a « donc dormi sur un matelas par terre. Rats et cafards grimpaient sur moi pendant la nuit ». Le bruit incessant et la chaleur engendrent également des difficultés de sommeil: «Je m’endors aux environs de 3 heures du matin à cause du vacarme, les détenus frappent les portes, insultent les gardiens ou d’autres détenus, parfois même jusqu’aux premiers rayons de soleil. Puis ça s’arrête quelques heures et ça reprend vers 8 heures avant la promenade. » La chaleur dans les cellules est également éprouvante, les ventilateurs « sont hors d’état de marche voire absents dans de nombreuses cellules, et non remplacés lorsque la direction estime que les personnes détenues sont responsables de la dégradation. Pour lutter contre la température excessive, la pratique consiste à inonder périodiquement la cellule », indique le Contrôleur.
Hygiène déficiente, mauvaise alimentation, manque de sommeil… engendrent inévitablement des problèmes de santé en cascade. « Depuis que je suis arrivé en 2009, j’ai eu trois ‘gastro’ et la gale. J’ai régulièrement mal au ventre et la courante. La semaine dernière, j’ai eu un traitement pour la leptospirose, maladie due aux rats. La dépression nous côtoie souvent », témoigne un détenu. Or, l’accès aux soins s’avère également difficile « en raison du nombre insuffisant de personnel sanitaire, de l’enclavement des locaux médicaux à l’intérieur de la maison d’arrêt (…), de la taille réduite des salles d’attente. Il en résulte un absentéisme pouvant dépasser 60 % des personnes convoquées au service médical », ajoute le Contrôleur général. Une particularité à signaler sur Nouméa : faisant partie des établissements n’entrant pas dans le champ d’application de la loi de 1994 sur le système de soins des détenus, les dépenses de santé sont entièrement à la charge de l’administration pénitentiaire et non de la Sécurité sociale. En 2009, plus d’un million d’euros y ont ainsi été consacrés pour Camp-Est.
Se doucher dans un w.-C. à la turque
Quelques douches collectives sont disponibles dans les différents quartiers, mais les violences y sont fréquentes, si bien que nombre de détenus préfèrent se laver en cellule, à l’eau froide, sur le w.-C. la turque dont les tuyaux ont été détournés. Au quartier maison d’arrêt, les douches ne sont en outre disponibles que pendant la promenade qui dure 30 minutes, deux fois par jour : « Pendant la promenade on peut se laver à l’eau chaude dans la douche commune, quatre personnes à la fois. On a 10 minutes pour se laver. Parfois il y a des bagarres. Surface de la douche : 5 m x 5 m avec 4 jets d’eau qui tombent du plafond. » Au centre de détention « fermé », il y a 4 douches pour 24 détenus : « Souvent elles sont bouchées ou on a remplacé le jet de douche par un robinet ou une bouteille en plastique. Les douches ne préservent aucunement notre intimité, la majorité des détenus se lavent avec leur slip ou caleçon. Il n’y a aucune sécurité, c’est à nous de faire attention. Les douches sont sales avec du savon et de la merde collés aux murs. »
De manière générale, le centre pénitentiaire est le théâtre de violences répétées et d’un manque de protection de l’intégrité des personnes : « Depuis mon arrivée j’ai été battu par cinq détenus à la maison d’arrêt » ; « Il y a des lames de rasoir dans la cour de promenade » ; « Les gardiens laissent les détenus régler leur compte pendant la promenade. » Au cours de la visite des contrôleurs en octobre 2011, un jeune détenu de 24 ans a été retrouvé mort : les premiers éléments de l’enquête indiquent qu’il aurait été victime des coups de ses codétenus, les personnels n’ayant rien entendu dans le vacarme habituel de l’établissement. L’un des codétenus mis en examen pour cette a aire s’est suicidé dix jours plus tard au quartier d’isolement. Pour le syndicat FO-pénitentiaire, « il fallait s’attendre à ce genre de drame », qui prouve « qu’à trop vouloir entasser dans des structures datant du bagne, on se dirige vers des catastrophes ». Le Contrôleur général fait également sienne l’opinion recueillie lors de sa visite, selon laquelle le drame survenu « ne saurait être dissocié des conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l’établissement sur les conditions de détention ».
23 heures sur 24 en cellule
D’autant que l’établissement est également défaillant en termes d’activités et de maintien des liens familiaux, autant de soupapes de décompression pour les personnes détenues. Si des activités telles que la chorale ou le dressage de chevaux ont été développées ces dernières années, elles ne concernent qu’un petit nombre de détenus, dont la plupart restent confinés en cellule « entre 22 et 23 heures par jour », selon le Contrôleur. Le directeur du centre pénitentiaire affirmait, pour sa part, en août 2011 lors de la réunion du Conseil d’évaluation « qu’aujourd’hui, quelles que soient les conditions de surencombrement, la présence d’un détenu en cellule est limitée », estimant à 6 heures par jour le temps moyen d’activités ou de sortie, ce qui pourrait correspondre à la situation du centre de détention, mais pas de la maison d’arrêt. Les prisonniers signalent également, début 2012, que « la salle de musculation est presque toujours fermée. Le terrain de foot, c’est de la terre et des cailloux sur un ancien cimetière. Le terrain de volley n’a pas de filet »…» Tous s’accordent sur le très faible nombre de postes de travail pour les détenus. Le contrôleur signale qu’« il n’existe pas de travail en atelier ; l’unique formation professionnelle occupe un maximum de douze personnes » Un détenu indique à cet égard : « En trois ans et trois mois de prison, je n’ai jamais travaillé bien que je sois inscrit sur la liste des demandeurs de travail et que j’ai pris 12 ans. » Le chef d’établissement déplore, lui aussi, en août 2011 un contexte « particulièrement délicat au regard du travail de la population pénale. L’établissement ne dispose pas d’atelier de travail et la prospection d’entrepreneurs pour amener du travail pour les détenus sur un site dénué de zone de production est complexe ».
Quant au maintien des liens familiaux, le Contrôleur déplorait que « l’établissement ne dispose d’aucune cabine téléphonique et n’ait jamais rien organisé pour permettre à quiconque d’utiliser les téléphones de service », alors que la loi pénitentiaire prévoit un droit d’accès au téléphone pour toute personne détenue. Le 5 mars 2012, l’accès au téléphone est finalement devenu effectif. Autre particularité de la prison de Nouméa: les familles ne pouvaient réserver de parloir par téléphone et devaient se rendre sur place. Depuis une note du 2 février 2012 sur la « réorganisation des prises de rendez-vous parloirs familles », les réservations peuvent désormais être effectuées par téléphone. Deux dysfonctionnements de longue date auront ainsi été résolus suite à la visite des contrôleurs. Les détenus décrivent en n une salle pour les parloirs d’environ « 8 mètres sur 10, séparée de chaque côté d’un couloir d’où les surveillants regardent à travers une grille. Quarante-huit personnes peuvent se retrouver dans cette même pièce ! Le bruit est infernal, on doit parler très fort pour se faire entendre de sa famille »
Des inerties institutionnelles…
Dans sa réponse au Contrôleur général, le ministère de la Justice invoque quelque 10 millions d’euros engagés depuis 2001 « afin de maintenir en condition opérationnelle le site de Camp-Est ». Outre une interrogation sur ce qui relève d’une « condition opérationnelle », il convient de souligner que l’essentiel des moyens investis les deux dernières années a été consacré au renforcement de la sécurité périmétrique et intérieure: réfection de la clôture d’enceinte, mur extérieur, travaux d’éclairage et installation de la vidéosurveillance, système hyperfréquence… Si la prison de Nouméa est connue pour un nombre d’évasions inhabituel, la réponse apportée par l’administration pénitentiaire est à l’inverse très habituelle, manquant de s’interroger sur les raisons amenant les prisonniers à préférer le risque d’une condamnation pénale supplémentaire plutôt que de continuer à purger leur peine dans de telles conditions. En juillet 2011, deux détenus jugés pour tentative d’évasion s’expliquent à la barre : « Je n’en pouvais plus, les conditions de détention sont insupportables. Je veux bien effectuer ma peine, mais là, c’est inhumain. » Et le ministère public de rétorquer, implacablement : « Si les conditions de vie sont difficiles au Camp-Est, elles sont les mêmes pour tous, et tout le monde ne s’en évade pas. »
Outre les équipements de sécurité, les dépenses effectuées ces dernières années concernent également des améliorations extérieures, telle que des plantations à l’entrée du Camp et devant les bâtiments administratifs. En mars 2012, l’ensemble des portes des cellules de la maison d’arrêt devaient être changées, mais rien n’était prévu pour l’intérieur des cellules ! Faute d’investissements suffisants, ce sont des rénovations au compte-goutte et peu pérennes qui ont pour l’instant été effectuées à la prison de Nouméa. Plusieurs détenus évoquent des travaux de peinture qu’ils ont été chargés d’assurer dans leur cellule : « Ils nous ont donné de la peinture puis on a repeint nous-mêmes en 2011 » ; « C’est plus propre et plus clair, mais l’humidité reprend le dessus et les tâches diverses réapparaissent » ; « Les travaux ont été mal faits, la peinture se décolle par plaques. » Un projet plus conséquent de rénovation et reconstruction a été déposé par l’administration pénitentiaire et budgété pour 2012, mais il nécessite l’obtention d’un permis de construire auprès de la mairie de Nouméa, qui refuse de le délivrer en vue de récupérer un terrain sur lequel elle souhaiterait implanter un site touristique. Le Contrôleur général indique que la mairie n’accordera le permis que si « l’Etat s’engage à implanter ailleurs le site de l’établissement pénitentiaire, estimé riche de potentialités pour le développement urbain ». Dès lors, un projet de déménagement sur un autre site a été plusieurs fois annoncé, mais il ne verrait le jour qu’en 2020, outre d’être situé à 15 kilomètres de Nouméa, sur un site plus difficile d’accès pour les familles. Le Contrôleur général recommande de remédier plus rapidement à la situation actuelle « par une opération progressive tendant à remplacer, par une suite d’opérations “à tiroirs”, les bâtiments vétustes existants par d’autres ». Cette solution serait « certes graduelle, mais [avec] un début de réalisation immédiat, précieux pour les personnes détenues comme pour le personnel ». Elle nécessiterait que la mairie de Nouméa partage de telles préoccupations et se décide à délivrer le permis de construire.
Un autre axe d’intervention rarement mentionné par les pouvoirs publics réside dans le développement des peines alternatives et aménagements de peine. La prison de Nouméa accueille un public composé en grande majorité de jeunes Kanaks, parmi lesquels un tiers sont condamnés pour des peines de moins d’un an. Près de 15 % des détenus le sont pour des faits de conduite en état alcoolique, 28 % pour des vols… En mars 2011, le directeur-adjoint du SPIP déclarait dans une interview qu’il « y a trop de détenus au Camp Est, avec un taux de détention de 40 % supérieur à celui de la métropole ». Il explique cette situation principalement par la politique du Parquet, mettant par exemple à exécution des peines de 15 jours d’emprisonnement, qui auraient pu être purgées en milieu ouvert. Il manque également en Nouvelle-Calédonie des structures pour accueillir des détenus faisant l’objet d’un aménagement de peine4.
Plutôt que des projets longs et coûteux de construction et d’extension du nombre de places sur un nouveau site pénitentiaire, ce sont bien la réhabilitation complète et le développement massif de mesures de milieu ouvert qu’il conviendrait d’envisager. L’USTKE demande ainsi depuis des années que soient privilégiées les peines alternatives, en particulier des travaux d’intérêt général (TIG) exécutés en tribu et en collaboration avec les autorités coutumières locales (chefferies). Parmi les TIG proposés, le « nettoyage des cours de chefferies ; la réparation des dommages causés à autrui sous le contrôle du chef ; faire et nettoyer les champs des anciens, handicapés ou malades ; entretien des terrains de sport de la tribu ; exclusion à temps d’un périmètre de chefferies, de tribu, de district5 »… Autant de réponses plus respectueuses de la culture mélanésienne et visant à désengorger Camp-Est, « prison d’un autre temps », selon les termes de Gérard Jodar. Qui ajoute : la « patrie des droits de l’Homme n’a vraiment pas de quoi être fière de ce qu’elle fait ici dans notre pays ».
François Bès, coordination régionale outre-mer de l’OIP
1. CGLPL, Recommandations du 30 novembre 2011 relatives au centre pénitentiaire de Nouméa.
2. Le pourvoi sera néanmoins rejeté.
3. L’ensemble des témoignages de détenus cités dans cet article sont issus de réponses à un questionnaire de l’OIP et de la LDH-NC visant à préparer les recours qu’ils engagent devant le tribunal administratif.
4. Erick Aouchar, interview dans Les Nouvelles calédoniennes, 11 mars 2011. 5. USTKE Camp-Est, Cahier de revendications, mars 2007
Une journée type au quartier maison d’arrêt
« On vous amène de l’eau chaude et du pain vers 6 heures. Une fois que vous avez déjeuné, vous vous recouchez pour laisser la place aux autres à la table, jusqu’à la promenade de 30 minutes qui n’est jamais à la même heure. Ensuite vous regagnez votre cellule. Quand les w.-C. sont libres, vous faites vos besoins et vous en profitez pour vous laver avec un broc au dessus du trou des w.-C. à la turque avec l’eau des toilettes. Vous passez le reste de votre journée allongé à regarder la télé ou à écouter de la musique aux écouteurs afin de vous isoler des cinq autres détenus. L’après-midi, il y a à nouveau une promenade de 30 minutes, ensuite vous restez enfermé jusqu’au lendemain. Le plus dur, c’est le bruit : cris, hurlements, insultes, menaces, tapage dans les portes en fer, télé 24 heures sur 24, postes de radio mis au maximum. Odeur de chaud, de transpiration, de cigarette, de merde, de pisse. »
Témoignage reçu à l’OIP, janvier 2012
« Des jeunes kanaks en crise d’identité »
Elie Poigoune est président de la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie (LDH-NC), à l’origine avec l’OIP de la campagne de recours des détenus de Camp-Est.
L’écrasante majorité des détenus de Camp-Est sont des jeunes Kanaks : quelle est leur situation sociale et culturelle ?
Les jeunes kanaks sont ballotés entre leur société traditionnelle qui met en avant la vie collective et la société moderne basée sur l’individualisme et la consommation. Il s’ensuit un fort mal être de nos jeunes, qui n’ont plus de repères solides pour les encadrer. Ils rencontrent souvent l’échec scolaire, puis la délinquance, l’alcool et le cannabis ; il y a une augmentation de leur taux de suicide. Les Kanaks font aussi partie des couches les plus défavorisées de la société calédonienne: ils vivent dans les quartiers populaires ou dans les squats autour de Nouméa où les conditions de vie sont les plus misérables. Les jeunes se rendent au centre ville ou dans les quartiers chics de Nouméa, où ils font face à des écarts de richesse d’une rare indécence, et ils volent.
Comment s’est mise en place la vague de recours des détenus devant le tribunal administratif? Quelle est l’importance de ce type d’actions ?
La commission prison de la Ligue a fait un travail énorme depuis deux ans. Elle a visité la prison et constaté des conditions de détention indignes. Un travail a été engagé pour interpeller les citoyens, les organisations politiques et les institutions. Avec la collaboration de l’OIP, elle a encouragé les détenus à engager des recours. Cette action permet de répondre à une demande de dignité de nos prisonniers, d’interpeller la société calédonienne sur son devoir d’humanité et nos responsables politiques sur l’urgence d’agrandir la prison actuelle.