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Petites et grandes entorses au droit de visite

Permis de visite refusés pour des motifs imaginaires ; suspendus ou définitivement retirés pour un incident mineur ou par des chefs d’établissement quand cela ne relève pas de leur compétence… Le droit de visite en prison est malmené et les familles sont régulièrement victimes d’abus de pouvoir.

N’entre pas au parloir qui veut : pour rendre visite à un proche en prison, il faut obtenir un permis de visite. Pour les personnes prévenues, la décision d’octroyer ou non ce précieux sésame appartient au magistrat en charge de l’affaire pénale. Pour les condamnées, c’est au directeur de l’établissement que revient la décision. D’après les textes, ces derniers ne peuvent refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille, suspendre ou retirer ce permis « que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité », comme par exemple « un comportement inadapté du visiteur »(1), ou « à la prévention des infractions » telles que « des précédentes tentatives visant à introduire irrégulièrement certains objets dans l’établissement ». Et pourtant, nombreuses sont les situations qui nous sont rapportées dans lesquelles les chefs d’établissement ont eu une interprétation extensive des textes, ont abusé des pouvoirs qui leurs sont octroyés, voire ont pris des décisions sans fondement légal.

Des motifs de refus qui n’en sont pas

Alors qu’une note de la direction de l’administration pénitentiaire précise que « l’existence d’une condamnation antérieure (voire d’une incarcération antérieure) n’est pas, à elle seule, une cause rédhibitoire pour l’octroi d’un permis de visite »(2), il est très fréquent que des permis soient refusés à des proches de personnes détenues du fait de leur passé judiciaire. En mars 2015, l’administration pénitentiaire avait ainsi refusé à Julie L. l’autorisation de rendre visite à son petit ami au simple motif qu’elle avait écopé d’un rappel à la loi pour avoir fumé du cannabis alors qu’elle était encore collégienne. Même histoire pour Éléonore F. qui, en 2016, s’est vu refuser son permis de visite par le directeur de la prison de Saint-Quentin-Fallavier parce qu’elle était « connue des services de police ». Saisi par Madame F., le tribunal administratif de Grenoble avait alors enjoint au directeur de prendre une nouvelle décision, émettant un « doute sérieux » quant au « risque que ferait encourir [Mme F.] à la sécurité de l’établissement » et considérant que ce refus « port[ai]ent à sa situation et à celle de son compagnon des conséquences […] graves et immédiates ». Le directeur a alors effectivement pris une nouvelle décision… de refus, profitant jusqu’au bout de son pouvoir discrétionnaire. Avant de se raviser quelques semaines plus tard, devant la menace d’un nouveau recours. Lucie B. a elle aussi décidé d’agir en justice pour faire valoir ses droits : en décembre 2018 cela faisait quinze mois qu’elle n’avait pas vu son compagnon incarcéré au centre pénitentiaire d’Aiton. Ses nombreuses demandes de permis ont toutes été refusées par le chef d’établissement. Seule la dernière décision, qui se référait à une condamnation antérieure, a été justifiée… mais par le fait que ses visites seraient « de nature à faire obstacle à la réinsertion de Monsieur B. », une motivation qui ne peut être invoquée pour la famille proche.

Obtenir gain de cause ne suffit parfois pas pour pouvoir pousser les portes de la prison. Valérie R. a un fils incarcéré à la prison d’Avignon-Le-Pontet depuis juin 2018. Elle n’avait dans un premier temps pas été autorisée à lui rendre visite mais, après avoir formé un recours hiérarchique auprès de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille, elle a finalement obtenu, le 22 octobre, une décision favorable. Malgré cela, il ne lui a été possible de réserver un parloir que le 27 novembre dernier, après plus d’un mois d’appels quasi quotidiens.

Des décisions de suspension et retrait disproportionnées…

Une fois le permis obtenu, le droit de visite reste un acquis précaire : il peut à tout moment faire l’objet d’une suspension, y compris pour des incidents mineurs. À la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, des permis de visite ont ainsi été suspendus pour l’introduction de chewing-gums (quinze jours), d’un hamburger (un mois), de bonbons (deux mois) ou encore de photos « de charme ». Pire, le chef d’établissement peut décider du retrait pur et simple du permis de visite. C’est ce qui est arrivé à Florie R., dont le frère était incarcéré au centre de détention de Salon-de-Provence. Cette dernière avait dissimulé sous ses vêtements une barquette contenant du riz cantonnais. Soupçonnant quelque chose, un surveillant lui avait demandé de montrer ce qu’elle cachait. Embarrassée, Florie R. avait préféré quitter les lieux, après avoir avoué qu’il s’agissait de nourriture. Invoquant un « manquement grave au règlement intérieur de l’établissement », le directeur de la prison a décidé de supprimer son permis de visite. Une décision finalement annulée par le tribunal administratif de Marseille qui a considéré qu’elle était disproportionnée. Mais le temps de trouver une avocate, de former un recours et d’obtenir satisfaction, trois mois se sont écoulés avant que Florie R. ne puisse revoir son frère…

… voire illégales

Quand un incident au parloir concerne une personne prévenue, la direction de l’établissement peut décider d’une suspension provisoire, le temps d’en informer le juge en charge de l’affaire pénale qui seul est en droit de prononcer une sanction définitive. Cette mesure provisoire prend alors fin avec la décision du juge – qui peut l’annuler, ou décider de prendre une sanction (suspension ou retrait du permis de visite). En théorie… Il arrive en effet que les sanctions provisoires prononcées par les chefs d’établissement ne soient jamais validées par un juge, soit qu’il n’ait pas pris le temps de répondre – la loi ne prévoit pas de délai légal –, soit que l’information ne lui ait pas été transmise. Monsieur A., dont le frère était en détention provisoire à la maison d’arrêt de Blois, a été confronté à cet abus de pouvoir. En mars 2018, il a tenté d’introduire un chargeur de téléphone portable en détention. Informé de l’incident, le chef d’établissement lui a adressé une décision de suspension d’un mois de son permis de visite sans en avoir au préalable informé le juge d’instruction compétent. Saisi par Monsieur A., le tribunal administratif d’Orléans a bien annulé la décision du chef d’établissement mais, comme dans de nombreux cas, bien après la fin de la sanction(3).

Si Monsieur A., Julie L., Éléonore F. ou Florie R. ont tous obtenu gain de cause, rares sont les personnes qui, confrontées à ces abus, tentent de faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Combien sont ceux qui, mal informés de leurs droits ou découragés par la complexité de la procédure, sont ainsi empêchés de voir leur proche pendant toute la durée de son incarcération ? Bien trop nombreux, à n’en pas douter.

par Amid Khallouf


Une interminable attente

Une fois la demande de permis déposée, les personnes détenues et leurs proches doivent s’armer de patience. D’après une enquête réalisée par l’Uframa en 2017, il s’écoule en moyenne un mois entre le dépôt de la demande et l’obtention du permis de visite. Une fois le permis en poche, une seconde étape reste à franchir : la prise de rendez-vous au parloir. Deux solutions s’offrent aux visiteurs : le téléphone ou les bornes de réservation. Ces dernières sont installées dans les locaux d’accueil des familles et peuvent être utilisées dès la prise du deuxième rendez-vous*. Quand elles fonctionnent : il est fréquent que les bornes soient en panne, contraignant les visiteurs à se rendre dans une autre prison, même lointaine, pour tenter de faire leur réservation. Les lignes téléphoniques dédiées sont en effet la plupart du temps saturées, si bien que les personnes doivent patienter des heures au bout du fil – deux en moyenne, d’après l’enquête de l’Uframa. De quoi décourager. À la prison de Bonneville, ou les bornes dysfonctionnent régulièrement, le standard téléphonique n’était il y a peu ouvert qu’entre 10 h et 11 h du mardi au vendredi. Certaines personnes ont ainsi témoigné avoir passé des centaines d’appels, plusieurs jours d’affilés, avant d’obtenir un interlocuteur. L’administration pénitentiaire a pris acte des doléances des familles en ajoutant un créneau supplémentaire d’une heure pour la réservation téléphonique et en remplaçant les deux bornes défectueuses. Mais d’après l’association qui gère l’accueil des familles, le problème persiste. D’autant que l’une des deux bornes est à nouveau hors-service et que sa réparation ne semblait, début décembre, pas être à l’ordre du jour.
* Le premier rendez-vous s’effectue obligatoirement par téléphone. 

(1) Circulaire du 20 février 2012 relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues.
(2) Note DAP du 4 décembre 1998.
(3) Tribunal administratif d’Orléans, 14 juin 2018, n°1801174.