Le placement à l’extérieur a beau exister depuis longtemps, il reste l’aménagement de peine le plus méconnu et le moins prononcé. Sa dimension davantage socio-éducative que purement sécuritaire est pourtant largement plébiscitée par les professionnels. Mais peut-être est-ce justement cette approche qui le rend pour l’instant si marginal, dans un système pénal français écrasé par la prison ?
Année après année, le placement à l’extérieur reste l’aménagement de peine le moins prononcé : au 1er septembre 2023, il ne concernait que 968 personnes, soit tout juste 1 % des 89 190 personnes écrouées. Contre 14 730 en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE)[1].
Une personne placée à l’extérieur exécute tout ou partie de sa peine hors des murs de la prison, en étant le plus souvent prise en charge par une association agréée. D’un accompagnement vers l’emploi à une cure thérapeutique, en passant par l’expérience d’une vie communautaire dans une ferme maraîchère, il peut se décliner sous autant de formes que d’individus. Le principal dénominateur commun réside dans l’importance de l’accompagnement socio-éducatif de la personne condamnée, avec qui il s’agit de travailler sur tous les problèmes pouvant faire obstacle à son insertion : logement, accès aux droits, soins, emploi, vie quotidienne et familiale… Elle reste soumise à des contraintes, notamment horaires, et peut être incarcérée en cas d’incident grave. Toutefois, explique Églantine Bourgognon, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) à Meaux et représentante de la CGT Insertion-Probation, « dans le cadre d’un placement à l’extérieur, nous nous efforçons d’aller jusqu’aux dernières limites, de recevoir la personne le plus souvent possible pour comprendre ce qui ne va pas et reposer le cadre, lui permettre de se reprendre, éviter la mise en échec ».
Cette balance particulière entre le contrôle et l’accompagnement est ce qui revient le plus souvent dans la bouche des professionnels pour distinguer le placement à l’extérieur des autres aménagements de peine sous écrou. « Il offre un contenu incomparablement plus complet et adaptable que le bracelet électronique, qui reste largement un outil de contrôle[2]», souligne Pierre Jourdin, secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap). Ce qui n’en fait pas pour autant une peine facile à vivre, loin de là : la personne condamnée, censée limiter ses déplacements sans que rien ne l’y contraigne physiquement, est elle-même tenue de prendre en charge le respect de ses obligations (voir p. 20). « Avec cette mesure, la personne travaille sur sa capacité à s’auto-contraindre », décrypte Stéphanie Lassalle, conseillère technique du réseau Citoyens et Justice, qui regroupe 150 associations socio-judiciaires.
Pour permettre la confiance et la fluidité nécessaires, le placement à l’extérieur suppose le plus souvent une collaboration étroite entre le juge qui prononce la mesure et peut la révoquer, le Cpip qui suit la personne dans le cadre de la sanction, et l’association qui l’accompagne au quotidien. Dans certains cas, ce partenariat est étendu à la juridiction de jugement, au parquet et à l’avocat de la personne condamnée. Une concertation indispensable à l’individualisation de la mesure, à la densité de l’accompagnement et à la réactivité en cas d’incident, mais qui présente de sérieux défis : « Il est très difficile de collaborer dans le contexte actuel, où le temps et les moyens manquent de toute part, sans parler du turn-over, des vacances… D’autant qu’au-delà des différences de cultures professionnelles, les relations sont parfois empreintes de rivalités », note Stéphanie Lassalle.
Un horizon constamment repoussé
Selon le code pénal, « la peine a pour fonctions : de sanctionner l’auteur de l’infraction ; de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion »[3]. Mais si le second objectif est omniprésent dans les discours, « l’incapacité du système pénitentiaire à remplir sa mission de réinsertion […] est également identifiée par tous », rappelait le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans un avis de septembre 2023[4]. De nombreuses études démontrent en effet qu’il reproduit les inégalités de tous ordres, aggrave les fragilités des personnes condamnées et y ajoute de nouvelles ruptures, ce qui ne fait qu’augmenter les risques de récidive[5].
Si ce constat est bien connu et documenté, l’alternative fait tout aussi consensus : douze ans après le Conseil de l’Europe[6], les États généraux de la justice soulignaient en 2022 l’importance d’un « suivi individualisé et pluridisciplinaire » pour « favoriser la réinsertion de l’auteur [d’infraction] et réduire les risques de récidive ». Une individualisation de la peine qui implique le droit de construire « un projet solide d’alternative incluant en particulier des éléments sur la solution d’hébergement, les soins, des droits essentiels effectifs [et] l’inscription dans un projet de formation et/ou d’insertion professionnelle », rappelait encore récemment le Conseil économique, social et environnemental[7]. Cet horizon constamment repoussé ressemble pourtant fortement au contenu de dispositifs inscrits en droit français depuis des décennies – dont le placement à l’extérieur. « D’après ma pratique, c’est la mesure qui donne les meilleurs résultats pour ceux qui sortent d’une longue détention et n’ont aucun soutien dehors : elle les aide à retrouver progressivement leur place en liberté », avance Amélie Laguet, juge de l’application des peines (Jap) à Châteauroux et déléguée de l’Union syndicale des magistrats (USM).
Une étude menée en 2018 parmi les associations membres du réseau Citoyens et Justice[8] semble confirmer ces effets à court terme, aux antipodes d’une « sortie sèche » de prison : plus de 51 % des personnes arrivées au terme de leur placement à l’extérieur étaient en situation d’emploi, 75 % de ceux qui avaient besoin d’un traitement médical l’avaient mis en place, et la part de personnes sans ressources était tombée à 11 %. Par ailleurs, 77 % estimaient que la mesure leur avait été utile en termes d’accès au logement et 60 % disaient se sentir capables de se projeter dans l’avenir. Seuls 16 % des personnes suivies avaient vu leur placement à l’extérieur révoqué, 4 % avaient commis de nouvelles infractions au cours de la mesure, et 0,5 % s’étaient évadés.
Toujours plus marginal
Pourtant, le placement à l’extérieur occupe une part toujours plus marginale au sein du système pénal. L’explosion des aménagements de peine, ces quinze dernières années, a essentiellement profité au bracelet électronique, contribuant à l’extension du filet pénal au lieu de rogner sur les incarcérations[9]. La part des placements à l’extérieur au sein des aménagements sous écrou a même diminué de moitié en une douzaine d’années, pour atteindre 5,5 % au 1er septembre 2023. Si le nombre des placements « non hébergés » par l’administration pénitentiaire amorce une remontée ces dernières années (+16 % en deux ans), celle-ci est pour l’heure largement grignotée par l’érosion des placements « hébergés » (-29 %)[10].
Au 31 décembre 2022, le ministère de la Justice répertoriait 369 structures de placement à l’extérieur agréées en France, pour 2 195 places[11]. Mais ces chiffres masquent d’importantes disparités : d’après les acteurs locaux de la mesure, certains départements, comme la Loire-Atlantique, sont mieux dotés que d’autres, comme l’Indre ou les Landes. En 2020, le géographe Franck Ollivon notait qu’au sein même de la région Auvergne-Rhône-Alpes, « les placements extérieurs représentent 24 % des aménagements sous écrou au centre pénitentiaire de Riom, 19,4 % de celui de Grenoble et 15,3 % de celui de Bourg-en-Bresse, alors qu’il n’apparaît que de façon très marginale dans les […] autres lieux d’écrou[12] ». Dans chaque juridiction, le recours à cette mesure est en effet tributaire du dynamisme du tissu associatif, du volontarisme des magistrats et des Cpip, mais aussi de l’état de leurs relations, des moyens dont ils disposent et de la conception qu’ils se font de leurs métiers.
Un récent regain d’attention
Le constat de la sous-utilisation du placement à l’extérieur n’est pas nouveau : dès 2001, la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) commandait une étude au sociologue Patrick Castel pour identifier les freins entravant son développement[13]. Depuis lors, divers travaux se penchent de temps à autre au chevet de la mesure : en juillet 2023, une mission d’information parlementaire bipartisane préconisait encore de « sécuriser et pérenniser ce système qui a fait ses preuves »[14]. Mais l’explosion de la surpopulation carcérale met désormais l’administration pénitentiaire sous pression – d’autant que le gouvernement refuse d’en traiter les causes structurelles comme de mettre en œuvre des solutions d’urgence (voir p.4). Tout en misant prioritairement sur la construction de nouvelles prisons, le ministère de la Justice fait feu de tout bois pour favoriser l’aménagement des peines les plus courtes ou les plus proches de leur terme. Mais « la surveillance électronique a pris une place si importante que les services sont saturés, observe Romain Emelina, chef du département des parcours de peines de la Dap. Il nous semble donc nécessaire de redévelopper des mesures plus anciennes, dont le placement à l’extérieur, que les professionnels s’accordent à trouver utile et qui s’adapte à tous les publics ».
Depuis 2020, la Dap a ainsi renoué le dialogue avec les principales fédérations nationales d’associations qui mettent en œuvre la mesure[15], pour tenter de poser un diagnostic partagé et de lever les obstacles à son développement. Un regain d’attention qui suscite de fortes attentes : « Pour sortir des incantations, il va falloir créer de l’appétence pour le placement à l’extérieur, qui pour l’instant fait plutôt fuir », souligne une responsable associative, citant pêle-mêle le financement précaire de la mesure (voir p. 24) et les effets pervers de la réforme des réductions de peine, qui peut brutalement précipiter la fin de l’accompagnement des personnes suivie.
Dans l’immédiat, cette impulsion s’est traduite par une augmentation de 67 % du budget dédié au placement à l’extérieur en 2023. Porté de 8,3 à 13,9 millions d’euros, puis stable en 2024, il reste cependant trois fois inférieur à celui de la surveillance électronique (38 millions d’euros)[16]. Cette hausse a permis de revaloriser l’indemnisation journalière versée aux structures d’accueil, dont le plafond est passé de 40 à 45 euros après dix-sept ans de stagnation. Dans plusieurs régions, Cpip et associations témoignent que l’administration pénitentiaire a fait savoir que de nouvelles places de placements à l’extérieur pouvaient être financées. Mais le problème est plus profond : c’est surtout le mode de financement de la mesure qui décourage de nombreuses structures d’accueil. L’administration pénitentiaire ne les indemnise en effet que partiellement, et seulement lorsqu’une personne est effectivement accueillie ; or, cet accueil est conditionné par des décisions judiciaires aux délais peu prévisibles, pendant lesquels des places sont réservées mais restent inoccupées. Déjà tributaires de négociations locales avec l’administration pénitentiaire pour fixer le montant de cette indemnité journalière, les structures d’accueil doivent donc aussi trouver d’importants financements complémentaires pour rentrer dans leurs frais.
À la demande des fédérations d’associations, une nouvelle plateforme numérique, PE360, doit par ailleurs permettre de cartographier en temps réel les offres de placement à l’extérieur disponibles. L’idée est à la fois de fluidifier la prospection, y compris sur d’autres territoires, et de rendre la mesure plus visible pour inciter à en prononcer davantage. Ouverte progressivement aux magistrats, aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), aux avocats et aux structures d’accueil courant 2023, elle est encore en phase de fiabilisation. Pourra-t-elle contribuer à donner un nouvel élan au placement à l’extérieur, jusqu’à présent tributaire d’initiatives individuelles et locales ? L’enjeu est de taille : « Nous sommes toujours saisis par les mêmes établissements pénitentiaires. Une poignée de Cpip, qui nous connaissent et ont pu constater que tout se passait bien chez nous, est toujours à la manœuvre », témoigne Justine Baranger du Casp-Arapej, une association qui encadre des placements à l’extérieur en Île-de-France.
Pouvoir dégager du temps
Une fois la mesure connue et le contact établi, construire la confiance entre partenaires et suivre au quotidien une personne placée à l’extérieur supposent toutefois de pouvoir dégager du temps. Entre les responsables associatifs et les Cpip, le contact est quasi-quotidien. Les magistrats sont souvent d’autant plus confiants qu’ils ont visité les structures d’accueil, et à l’inverse, les associations impliquées sont rassurées quand elles peuvent compter sur la réactivité de la justice. « Avec le Spip, nous rencontrons fréquemment nos partenaires associatifs, nous sommes joignables par téléphone et nous recevons régulièrement les personnes suivies, témoigne la Jap Amélie Laguet. C’est très important que l’association ne se sente pas seule et que le dialogue soit facile pour pouvoir réajuster le suivi et sauver les placements qui déraillent. »
Une disponibilité qui est loin d’aller de soi, dans un contexte où les moyens sont comptés. De nombreux responsables associatifs évoquent leur frustration face au renouvellement incessant de leurs interlocuteurs judiciaires et pénitentiaires, qui implique de tout reprendre à zéro régulièrement. Des Cpip rapportent suivre plus d’une centaine de personnes à la fois et disposer d’un temps d’autant plus réduit pour les accompagner que les tâches administratives, notamment liées à la gestion des bracelets électroniques, prennent toujours plus de place. « Aujourd’hui, la charge de travail des juridictions est telle que la masse écrase tout effort d’individualisation, lâche l’ancienne Jap Samra Lambert, du Syndicat de la magistrature (SM – lire « Ce travail partenarial est essentiel à une justice de qualité, Dedans Dehors 120). L’urgence fait qu’on voit souvent [les personnes détenues] le temps d’une audience, sans prendre le temps de travailler sur leur parcours. »
Les nouvelles possibilités d’aménagement de peine créées ces dernières années, concentrées sur les plus courtes détentions, viennent encore exacerber ce manque de temps : si elles permettent d’ouvrir le placement à l’extérieur à un nouveau public, elles exigent aussi davantage de rapidité, au risque d’orienter les personnes vers des solutions inadaptées ou de ne pouvoir mener l’accompagnement jusqu’à son terme (Lire « Le place à l’extérieur à l’épreuve d’une justice accélérée » Dedans Dehors 120). Utilisé comme un outil de régulation carcérale qui ne dit pas son nom, le placement à l’extérieur atteint ses limites, au détriment de l’accompagnement global et individualisé qui fait tout son sens. Et pour l’heure, il n’est pas vraiment prononcé davantage pour autant.
Le laboratoire d’une autre sanction ?
Si la marginalité du placement à l’extérieur peut partiellement s’expliquer par la complexité de sa mise en œuvre et le manque de moyens dédiés au suivi des personnes condamnées, c’est aussi le produit d’une culture pénale obsédée par le contrôle et tétanisée par la prise de risque, réelle ou supposée. « Parce qu’il est dénué de contrôle physique et qu’il repose sur des relations humaines, le placement à l’extérieur peut susciter de l’inquiétude », note Stéphanie Lassalle, qui souligne pourtant les faibles taux d’incidents graves rapportés au cours de la mesure. Dans un système pénal qui continue à percevoir la prison comme la peine de référence, et non comme le « dernier recours » défini par les textes, beaucoup témoignent des réticences de certains magistrats, craignant de prononcer des placements à l’extérieur ou imposant toujours plus de contraintes aux structures d’accueil et aux personnes suivies. Au-delà même de ces craintes, « l’idée que la peine doit faire mal est très ancrée », ajoute la magistrate Samra Lambert. Et pas seulement dans les tribunaux : « Le contexte politique et médiatique actuel n’est guère porteur pour une mesure qui repose sur la confiance et la responsabilisation », relève Marion Moulin, déléguée générale de l’association Possible et longtemps impliquée dans le développement des fermes d’insertion Emmaüs.
Même si beaucoup appellent de leurs vœux un changement de paradigme, les professionnels qui accompagnent au quotidien des personnes placées à l’extérieur ne l’attendent pas pour agir. « Nous sommes en train de démontrer qu’il y a d’autres façons de gérer la sanction, estime Gabriel Mouesca, fondateur de la ferme d’insertion Emmaüs de Baudonne. Rien ici n’est pensé pour générer de la douleur ou de la force, comme en prison. Et cela marche. »
par Johann Bihr
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine
[1] Source : Dap, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, septembre 2023.
[2] Surveillance électronique : une mesure qui n’a de sens que dans sa dimension punitive, Dedans Dehors n°111, juin 2021.
[3] Article 130-1 du code pénal.
[4] Avis relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, CGLPL, 14 septembre 2023.
[5] « La prison permet-elle de prévenir la récidive ? », OIP, février 2020.
[6] Conseil de l’Europe, Recommandation CM/Rec (2010) sur les règles relatives à la probation, 2010.
[7] Le sens de la peine, Cese, septembre 2023.
[8] Impact de la mesure du placement à l’extérieur sur le parcours des justiciables, Citoyens et Justice, 2018.
[9] « Le quinquennat côté prisons : beaucoup de bruit pour rien », OIP, avril 2022.
[10] Soit une hausse globale de 2% des placements à l’extérieur exécutés entre septembre 2021 et septembre 2023. Dans le même temps, le nombre des DDSE augmentait de 12% et celui des semi-libertés de 31%. (Source : Dap, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, septembre 2023.)
[11] Cité dans le Rapport d’information parlementaire sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, publié le 19 juillet 2023 au nom de la commission des Lois.
[12] « Aménager la peine, penser son territoire : les territorialités du droit et des peines de probation en France », Franck Ollivon, Annales de géographie 2020/3 (n°733-734).
[13] Patrick Castel, « La diversité du placement à l’extérieur : étude sur une mesure d’aménagement de peine », Déviance et société, 2001/1 (vol.25).
[14] Rapport d’information parlementaire…, op. cit.
[15]Citoyens et Justice, Emmaüs France, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et la Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice (FARAPEJ).
[16] Source : Projet annuel de performances – Budget général du programme 107 « Administration pénitentiaire », annexé au projet de loi de finances pour 2024. Le budget consacré aux bracelets anti-rapprochement est intégré à celui de la surveillance électronique.