Remis le 20 février, le rapport du jury de la conférence de consensus a le mérite d’affirmer au-delà d’un cercle d’initiés la nécessité de sortir de la « référence prison ». Il était illusoire d’attendre davantage d’un processus rapide réunissant des participants d’horizons divers, alors que les « experts » et « professionnels » français ne parviennent pas à s’accorder sur les réponses et méthodes les mieux à même de prévenir la récidive. Il reste au gouvernement à confirmer ce revirement culturel par des mesures concrètes, en vue d’un réel basculement de l’emprisonnement vers une probation consolidée.
Le revirement culturel était attendu depuis 15 ans. Le jury de la conférence de consensus conforme avant toute chose la nécessité de sortir de la « référence prison ». estimant disposer « d’éléments ables pour remettre en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive », il recommande de la concevoir « non plus comme une peine de référence, mais comme une peine parmi d’autres », prononcée « seulement lorsqu’il est établi qu’elle est indispensable à la sécurité de la société ».
Une série de mesures visant à réduire le champ d’intervention de la justice pénale est ainsi préconisée, tels la réduction du nombre d’incriminations passibles d’une peine d’emprisonnement (sans préciser lesquelles), la n de la « création de délits nouveaux » et la contraventionnalisation de certains contentieux. Sans se prononcer sur la dépénalisation de certains délits, le jury encourage le législateur à « reconsidérer la place que notre société doit attribuer à l’intervention pénale et à d’autres modes de régulations civile ou administrative ». Il recommande d’en finir avec la quête d’un taux de réponse pénale toujours plus élevé comme « indicateur de performance » des parquets, alors qu’il leur revient d’effectuer un tri sur l’opportunité des poursuites. Autant de pistes d’ordre général qui devront être traduites en mesures concrètes par le Gouvernement dans la loi annoncée pour juin, afin de sortir de l’illusion d’une justice pénale ayant pour fonction de régler l’ensemble des litiges et conflits, au risque d’être surtout nocive et stigmatisante.
Le jury recommande une amélioration de l’accès aux dispositifs sociaux et sanitaires de droit commun pour les personnes sous main de justice, qui en sont « fréquemment exclues ».
En finir avec un « droit spécial » pour récidivistes ?
Contestant la politique de la précédente législature ayant aggravé systématiquement la répression à l’égard des récidivistes, le jury estime qu’elle se fonde sur des postulats erronés, étant « conçue principalement en fonction des cas les plus extrêmes, qui sont pourtant les cas les plus rares ». Au nom du principe d’individualisation des peines, il considère « nécessaire d’abandonner les peines plancher », sans effet « scientifiquement évalué sur la récidive » alors qu’elles ont « contribué notablement à la surpopulation carcérale». Le jury demande également la suppression des restrictions d’accès aux aménagements de peine pour les récidivistes, car ce sont « précisément les personnes les plus fragiles au regard de la récidive qui se trouvent ainsi écartées de l’application des mesures les plus susceptibles de répondre efficacement à leurs problématiques ».
Un nouveau système de libération conditionnelle (LC) est préconisé comme « mode normal de libération des détenus ». Cette mesure, considérée comme l’une des plus « efficaces et constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale » par le Conseil de l’Europe ne concerne en France qu’une minorité de sortants de prison. Le jury se prononce de manière un peu floue en faveur d’un système mixte, la LC devenant « d’office » pour la plupart des condamnés, mais restant « discrétionnaire » (sur décision de la juridiction de l’application des peines) pour les « longues peines, en particulier les peines de réclusion criminelle », semble-t-il en fonction de la nature des faits et du reliquat de peine. d’autres ont avancé des propositions plus précises, tel le député Dominique Raimbourg dans son rapport sur la surpopulation carcérale.
Consolider la probation ?
Si le jury de consensus propose à son tour la création d’une « peine de probation », dans l’optique de « diminuer » le prononcé de courtes peines de prison, le rapport reste relativement pauvre sur son contenu. Elle viendrait remplacer l’ensemble des peines non privatives de liberté, en premier lieu le sursis avec mise à l’épreuve (SME), sans qu’il ne soit précisé si le sursis simple serait aussi supprimé, avec un risque de basculement sur une peine de probation plus contraignante pour de nombreux condamnés n’ayant pas nécessairement besoin d’être suivis.
Sur « l’évaluation des personnes », qui devrait être en réalité l’évaluation de la « situation » des personnes et des facteurs de récidive, le jury de consensus préconise de « ne pas s’interdire l’étude d’outils déjà évalués à l’étranger et de conduire une réflexion sur les conditions de leur adaptation en France ». Il apparaît en effet indispensable d’améliorer le repérage avec les probationnaires de l’intensité et de la nature du suivi dont ils ont besoin. Sur le contenu de la prise en charge, le jury se contente d’avancer quelques pistes, tels des « modes de réparation » (médiation, réparation du préjudice, travail d’intérêt général, rencontre auteur-victime) ou un « travail sur les facteurs de réinsertion » (accès logement, recherche d’emploi, formation, accès aux soins). Il recommande une amélioration de l’accès aux dispositifs sociaux et sanitaires de droit commun pour les personnes sous main de justice, qui en sont « fréquemment exclues ». Il s’agirait d’organiser en détention la présence d’assistants de service social et des permanences des différents services publics. Et aussi d’inscrire la prise en charge des « publics justice » dans les dispositifs locaux et départementaux.
Le jury omet cependant de préciser ce qui devrait être développé par les SPIP, écartant tout un pan de la recherche sur les méthodes de prise en charge évaluées comme les plus pertinentes à l’étranger (entretien motivationnel, programmes éducatifs, good lives model…). Il semble dès lors opter pour une sorte de « protectionnisme français », se contentant de préconiser un « guide des bonnes pratiques » et un référentiel des méthodes déjà appliquées. Tout en relevant que les méthodes développées en France « souffrent d’un manque de structuration et de rigueur ». Pour faire de la peine de probation autre chose qu’un nouvel habillage de l’existant, il apparaît pourtant indispensable de renforcer la crédibilité et la qualité du suivi en milieu ouvert. Cela nécessite non seulement une augmentation massive du nombre de personnels d’insertion et de probation, « dont les effectifs devront se rapprocher des normes européennes » selon le jury, sans précision supplémentaire. Une condition préalable pour que les probationnaires puissent bénéficier d’un suivi immédiat et de rendez-vous réguliers autant que de besoin. Cela implique également d’introduire des outils d’évaluation et méthodes d’accompagnement à l’efficacité éprouvée, ainsi que de développer une recherche visant à évaluer ce qui marche et ne marche pas. Comment en effet convaincre les juges de remplacer des peines de prison par des peines de probation sans améliorer considérablement la qualité et la densité du suivi hors milieu carcéral ? La question est laissée sans réponse par la conférence de consensus et il faudra compter sur le gouvernement pour y remédier.
En matière de recherche, le jury se contente de recommander un regroupement des différentes unités statistiques du ministère de la Justice dans une structure qui serait également chargée de construire des « analyses de parcours » et d’évaluer l’impact des politiques publiques. Il n’insiste pas suffisamment sur la nécessité de développer, outre les études déjà réalisées, un autre type d’évaluation développé par les anglo-saxons permettant d’avancer des résultats sur les méthodes d’accompagnement qui « marchent » le mieux.
L’enjeu est de taille : afin de contrer durablement la force symbolique de la peine de prison comme seule à même d’incarner la « réprobation sociale », la probation doit pouvoir avancer des résultats. Les pratiques des professionnels de la probation doivent également être guidées et améliorées au vu des indications apportées par la recherche. A défaut, dès la prochaine récidive grave d’un probationnaire, la facilité du « tout carcéral » risque de reprendre les rênes de la politique pénale. une éventualité face à laquelle le jury invite « les pouvoirs publics au plus haut niveau » à assurer une communication pédagogique auprès de « tous les acteurs concernés, notamment les services de police et de gendarmerie » ainsi qu’auprès du « public en général », y compris « à l’occasion d’accidents dans la prise en charge des personnes sous main de justice ». Est également préconisée « une plus grande liberté » des personnels « dans leurs contacts avec les médias », notamment pour sensibiliser « aux réalités de la détention et de la probation ».
La condition du prisonnier ré-envisagée à minima
une certaine timidité se retrouve également sur le contenu de la peine de prison, à propos de laquelle le jury demande pourtant une « réforme profonde ». Il s’accorde sur « la nécessité de respecter la dignité de la personne détenue et d’aller dans le sens d’une citoyenneté renforcée ». Mais les mesures préconisées restent en deçà d’un tel objectif (droit d’expression collective, rencontres détenus-victimes, adaptation du droit du travail « dans la mesure du possible »). Plusieurs pays ont déjà développés des régimes « ouverts » de détention et de respect des droits beaucoup plus progressistes dont il ne semble, là encore, pas vraiment question de s’inspirer. Portes des cellules ouvertes jusqu’à 23 heures, circulation libre à l’intérieur de l’unité, salles d’activités en libre accès, cuisines communes, droit de réunion et d’association, comité de détenus chargés de négocier des avancées avec l’administration, système des « pairs aidants » (anciens détenus venant aider les condamnés à préparer leur sortie), travail, formation ou programme pour chaque détenu, accès à internet et autorisation des téléphones portables… autant de mesures permettant d’envisager la prison tout autrement, comme un espace public le plus normalisé possible.
Sarah Dindo