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Prisons pour femmes : la double peine

Bien que peu nombreuses en prison, les femmes subissent les conséquences de la surpopulation et de la vétusté touchant nombre d’établissements où elles sont incarcérées. Leur isolement en détention les expose par ailleurs à diverses discriminations : éloignement familial, accès au travail et aux activités limité, soins insuffisants… Autant de difficultés qui freinent leur réinsertion. Enquête.

Au 1er octobre 2019, 2 485 femmes étaient détenues dans les prisons françaises, pour un total de 2 543 places. Selon le ministère de la Justice, les conditions matérielles de détention des femmes seraient « souvent meilleures que celles des hommes essentiellement parce que la surpopulation y est moins fréquente ». Dans le détail, les chiffres cachent cependant des réalités extrêmement variables : au 1er octobre 2019, 40 % des quartiers maison d’arrêt pour femmes (MAF) présentent un taux d’occupation supérieur ou égal à 100 %. Le quartier MAF de Perpignan affiche une surpopulation de 200 %, Poitiers 187 %, Bordeaux- Gradignan et Saint-Denis-de-la-Réunion 182 % et Toulouse- Seysses 170 %. Début 2018, la directrice de la MAF de Versailles alertait le conseil d’évaluation qu’une surpopulation de 145 % l’avait amenée, « pour la première fois, à faire dormir neuf détenues sur des matelas posés au sol, faute de lits suffisants »(1). Une situation fréquente dans cette prison, comme en témoignait, en octobre 2019, une prévenue : « Dans une cellule de six, j’ai été la septième et j’ai dormi un mois par terre, puis même chose dans une cellule de quatre, où j’ai été la cinquième. Maintenant je suis dans une cellule de deux et on m’a mis avec une grosse fumeuse alors que j’ai arrêté il y a un an et que j’ai un certificat non-fumeur. » Une autre indiquait, en novembre 2019, avoir été contrainte de dormir sur un matelas au sol à la prison des Baumettes et à celle de Nîmes.

Outre les conséquences de la surpopulation, les femmes détenues subissent, comme les hommes, la vétusté et l’état dégradé d’un certain nombre de prisons. Près d’un tiers des établissements ou quartiers femmes ont de plus de cent ans : Agen a ainsi été mise en service en 1860, Mulhouse en 1870, Bourges en 1896, Nice en 1897 et Fresnes en 1898. À la MAF de Fresnes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) relevait en 2017 « l’état déplorable » des douches des premier et deuxième étages avec les murs recouverts de tartre, et des températures d’eau soit glacée, soit brûlante. Même problème à Saint- Denis, à La Réunion : « La douche de ma cellule est bipolaire : un coup c’est trop froid, un coup c’est trop chaud », ironise une détenue. Beaucoup se contentent de faire leur toilette au lavabo. Dans certains établissements, comme à Fleury-Mérogis, les systèmes électriques défectueux ne permettent pas de disposer de réfrigérateur ou de plaques chauffantes en cellule. À la maison d’arrêt de Mulhouse, les cellules sont tellement exiguës que les femmes prennent leurs repas assises sur leur lit, note le CGLPL en 2015. Quant à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, mise en service en 1969, inspections et témoignages faisant état de l’état déplorable des locaux se succèdent depuis de nombreuses années (voir témoignage page 24). Mais les plans de rénovation annoncés sont invariablement repoussés…

Une répartition hétérogène

Soixante-dix établissements ou quartiers spécifiques accueillent des femmes détenues(2). Seuls deux établissements leur sont entièrement dédiés : le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes et la maison d’arrêt pour femmes de Versailles – et encore : y est adossé un quartier semi-liberté pour hommes de 79 places, avec lequel la MAF partage certains équipements. Le plus souvent, les femmes sont donc détenues dans des quartiers au sein d’établissements pour hommes. En établissements pour peine, les treize quartiers centre de détention (CD) qui accueillent des femmes sont inégalement répartis sur le territoire, essentiellement dans la moitié nord de la France, et il n’en existe aucun dans les directions interrégionales (DI) de Toulouse et de Strasbourg. Quant aux mineures, à l’exception des DI de Lille, Lyon et Toulouse qui disposent de places en établissements pour mineurs, elles sont généralement réparties dans les quartiers maison d’arrêt pour femmes.

Cette répartition hétérogène renforce l’éloignement familial et social des femmes, en particulier celles condamnées à de longues peines. « Nombre de femmes du sud-ouest sont ainsi affectées à Rennes », explique la sociologue Corinne Rostaing, ce qui constitue « un véritable problème de distance par rapport à leur lieu de vie et leur famille ». « Pour une femme originaire de Mulhouse, explique une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) intervenant dans l’est de la France, le CD le plus proche est à Joux-La-Ville, à au moins quatre heures de trajet ». Cet isolement est aggravé par un effet de genre, souligne Corinne Rostaing. « Les maris qui maintiennent le lien avec leur épouse incarcérée, c’est très rare. Soit parce qu’ils sont eux-mêmes incarcérés, soit parce qu’ils préfèrent rompre, au contraire des épouses qui maintiennent longuement le lien avec des hommes incarcérés. » L’éloignement géographique imposé aux femmes détenues, conjugué à la rupture des liens sociaux et familiaux, constitue, selon la sociologue, « un frein supplémentaire à la réinsertion ». Par ailleurs, le Sénat notait en 2009 que le faible nombre d’établissements pour peines dédiés aux femmes a pour effet qu’elles sont maintenues plus longtemps en maison d’arrêt avant d’obtenir une place en CD, « alors même que le régime de détention et le travail de réinsertion qui peut y être effectué n’y est pas comparable »(3).

Une prohibition de la mixité génératrice de discriminations

Isolées sur le territoire, les femmes détenues sont aussi isolées en détention, en particulier dans les quartiers maison d’arrêt, qui consistent le plus souvent en de petits quartiers enclavés dans des établissements pour hommes ne disposant que d’un accès très restreint aux espaces collectifs. En effet, la mixité prévue par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 se résume encore à quelques actions certes positives et innovantes, mais extrêmement réduites. L’interdiction de toute communication ou contact entre femmes et hommes détenus demeure la règle(4), limitant l’accès des femmes aux équipements, leurs mouvements devant « s’intercaler entre ceux, plus fréquents, des hommes détenus »(5). L’accès des femmes aux structures communes telles que l’unité sanitaire, la zone socio-culturelle, le terrain de sport ou la bibliothèque se voit donc limité à quelques créneaux horaires dédiés. La prohibition de la mixité se traduit également par le fait que la surveillance des femmes ne peut être assurée que par du personnel féminin, à l’exception des personnels d’encadrement, ce qui peut constituer un frein supplémentaire à l’accès des femmes aux activités. Le CGLPL constate ainsi que « l’affectation d’un personnel masculin à un poste dédié, par exemple, à l’entrée d’une zone socioculturelle, crée un frein à l’accès des femmes à celle-ci et par conséquent aux activités qui s’y déroulent »(6).

Un accès au travail et à la formation insuffisant

Conséquence de cet isolement : de nombreux témoignages de femmes font état d’un manque d’activités et de travail. Selon la Direction de l’administration pénitentiaire, le taux d’activité de l’ensemble des personnes détenues était en 2018 de 28 % et pour les femmes de 23 %. Le taux de femmes travaillant au service général est de seulement 9 %, contre 15 % pour les hommes. Au centre pénitentiaire de Réau, « en raison de l’interdiction qui leur est faite de fréquenter certains équipements communs, les femmes n’ont pas la possibilité d’occuper un poste de travail au sein des services centraux tels que la cuisine, le vestiaire, la lingerie, la réserve des cantines, etc. »(7) Le taux de travail en atelier des femmes est annoncé comme « similaire à celui des hommes » (environ 14 %). Et comme chez les hommes, il s’agit de temps souvent partiels et d’activités de conditionnement peu gratifiantes. Une femme du centre pénitentiaire de Rennes témoigne ainsi n’arriver à travailler qu’« à peine deux semaines par mois », un travail payé à la pièce qui consiste à plier et coller des éphémérides et les insérer dans des enveloppes. Si, selon la Direction de l’administration pénitentiaire, les taux concernant la formation professionnelle des femmes sont en légère augmentation (de 23 % en 2018 à 24,45 % en 2019), ils restent insuffisants. En octobre 2019, une femme détenue au CD de Joux-la-Ville déplorait ainsi le peu d’offres de formation, limitées à quatorze places par an pour cent détenues. Une CPIP intervenant en maison d’arrêt pour femmes précise : « On propose trois formations à l’année aux hommes. Les femmes n’y ont pas accès, car ça serait trop compliqué de gérer ces formations en mixité. » Elle poursuit : « On a cependant réussi à faire financer une formation informatique pour les femmes, mais on a dû batailler, car pour le même prix, on aurait pu former dix, douze hommes, alors que les femmes ne seront que six ou sept à suivre la formation. »

Des activités limitées… et genrées

Cet accès « limité, voire totalement inexistant » aux espaces communs situés dans les quartiers hommes cantonne ainsi les femmes à des activités d’intérieur qui reproduisent des représentations genrées, indique le CGLPL. Qui précise : « Si les hommes ont accès à des activités professionnelles de production, pratiquent des sports en extérieur et exercent leur culte de manière collective », les femmes sont souvent limitées à « des activités de broderie, de couture, de peinture sur soie ou des ateliers “fleurs”», et contraintes de « pratiquer leur religion de manière individuelle »(8). Selon l’administration pénitentiaire, les activités socioculturelles et sportives proposées aux femmes seraient « en proportion nombreuses et plus importantes que celles proposées aux hommes »(9). Cependant, elles ne se passent souvent – excepté dans les grands établissements pour femmes dotés de locaux conséquents – « que dans une seule pièce, ce qui implique une rotation des activités et donc un accès limité. Alors que les hommes ont le choix entre plusieurs activités, elles n’ont généralement recours qu’à une seule », explique la sociologue Corinne Rostaing. Outre ces problèmes de locaux, les intervenants sont aussi moins nombreux et les équipements plus sommaires : bibliothèque moins bien dotée, salle de musculation moins bien équipée, terrain de badminton plutôt que terrain de football », relève le CGLPL à la maison d’arrêt d’Épinal. Résultat : « les femmes s’ennuient », note l’autorité.

Un accès aux soins insuffisant

Dans les quartiers où l’interdiction totale de se croiser est encore la règle, les difficultés d’accès à l’unité sanitaire freinent le recours au soin. Au centre pénitentiaire de Réau par exemple, si les femmes peuvent être reçues par une infirmière tous les matins dans la salle de soins de leur quartier, elles n’ont accès à l’unité sanitaire et donc au médecin, sauf urgence, que le jeudi matin, celle-ci étant alors fermée aux hommes(10). Un frein qui pourrait pourtant être aisément levé, comme cela se fait de manière exceptionnelle à Bordeaux-Gradignan ou à Brest, où les femmes sont simplement accompagnées à l’unité sanitaire par une surveillante, les mouvements des hommes détenus n’étant pas bloqués(11) Outre les difficultés d’accès aux soins spécialisés (dentaires, ophtalmologiques, dermatologiques, psychiatriques, etc.) communes à l’ensemble des personnes détenues du fait du manque de spécialistes intervenant en prison, les femmes détenues font face à une difficulté supplémentaire, qui leur est bien spécifique : la pénurie de gynécologues exerçant en détention (lire page 29). De plus, bien que largement insuffisant chez les hommes détenus, l’offre de soins psychiatriques est encore plus déficitaire chez les femmes, comme le relève le CGLPL(12) : si les UHSI et les UHSA accueillent indistinctement des hommes et des femmes, « tel n’est pas le cas pour les unités pour malades difficiles (UMD) et les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ». Seules deux UMD sur les dix existantes, Villejuif et Montfavet, accueillent des femmes – soit quarante places – et seul le SMPR de Fleury-Mérogis (sur les 26 existants) est susceptible de prendre en charge une dizaine de femmes en hospitalisation de jour. Or, les données épidémiologiques montrent que les femmes présentent des prévalences souvent plus fortes que les hommes pour nombre de pathologies, en particulier les troubles psychiatriques et les addictions(13).


Femmes transgenres : isolées chez les hommes

Isolement renforcé dans des locaux exigus n’offrant que des équipements limités, manque d’activités, privation de tout contact avec les personnes détenues non trans : les modalités de prise en charge des femmes transgenres « ne permettent pas de pallier l’inadaptation des établissements pénitentiaires à leur identité de genre », reconnaît l’administration pénitentiaire. La plupart de la trentaine des femmes transgenres incarcérées sont prévenues ou condamnées dans des affaires liées au travail du sexe, ou pour des faits de vol ou d’usurpation d’identité. L’affectation en détention est régie suivant l’identité sexuelle mentionnée à l’état civil. Aussi, lorsqu’elles n’ont pas pu procéder à ce changement, elles sont généralement placées en quartier d’isolement en établissement pour hommes –, essentiellement en Île-de-France et notamment au « quartier spécifique » de la maison d’arrêt des hommes de Fleury- Mérogis –, avec interdiction totale de côtoyer le reste de la détention. Selon les témoignages reçus à l’OIP, elles ont accès à la petite bibliothèque du quartier d’isolement et à quelques activités spécifiques telles que arts plastiques, yoga, médiation animale ou musculation, animées par l’association Acminop, et bénéficient de « deux promenades d’une heure par jour dans une pièce sans plafond au dernier étage, couverte de fientes de pigeons ». Difficultés d’accès aux soins – et notamment aux traitements hormonaux –, à des produits d’hygiène, de beauté ou aux vêtements féminins, et attitudes blessantes de la part de certains personnels sont le lot quotidien de ces femmes. Entorse positive de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis à la règle, certaines femmes trans peuvent, depuis quelques années et sous condition d’avoir subi l’opération de « réassignation sexuelle », obtenir leur affection à la maison d’arrêt des femmes. Peu appliquée encore, la loi de novembre 2016 permettant d’obtenir la modification de l’état civil sans avoir subi de chirurgie pourrait améliorer leur affectation en MAF, dans des conditions de détention équivalentes à celles des autres femmes détenues.


Des produits de soin et de beauté limités 

« On perd sa féminité en prison » déclarait une détenue au CGLPL qui, lors de sa visite en 2015 à la maison d’arrêt d’Épinal, notait l’absence de coiffeur, ou d’accès à des produits cosmétiques, de coloration pour les cheveux, ou de cantine spécifique. Selon la Direction de l’administration pénitentiaire, « 79 produits corporels » figurant sur la liste des produits cantinables « s’adressent majoritairement aux femmes (shampoing, gel douche, coloration pour les cheveux, produit démaquillant, déodorant, protection hygiénique, etc.) ». Si tous ces produits sont considérés comme cantinables, ils ne le sont pas forcément. De grandes disparités sont relevées d’un établissement pénitentiaire à l’autre. Les protections périodiques par exemple (lire page 34), ou un certain nombre de produits d’hygiène ou de beauté. Contrairement aux hommes qui peuvent se procurer l’essentiel des produits de base par le biais des cantines classiques, une brosse à cheveux par exemple n’est souvent accessible qu’en cantine exceptionnelle, relève le contrôleur*, qui déplore également « des motifs de sécurité » interdisant aux femmes détenues de se faire apporter des produits de beauté ou d’hygiène par leurs proches au parloir. À Saintes, les femmes se plaignent de ce que les limes à ongles et les lingettes ne soient plus cantinables, et de la limitation d’accès à des produits de beauté**. À Mulhouse sont interdits lisseuses et sèche-cheveux, pourtant autorisés ailleurs.
* CGLPL, Avis relatif à la situation des femmes privées de liberté, 22 janvier 2016.
** CGLPL, Rapport de visite de la maison d’arrêt de Saintes, octobre 2017.

Par François Bès

(1) Conseil d’évaluation de la MAF de Versailles, 31 mai 2018.
(2) Ces établissements sont de quatre catégories distinctes : 44 quartiers maisons d’arrêt (QMA), 13 établissements pour peine (QCD), 3 établissements pour mineurs (EPM) et 10 centres de semi-liberté.
(3) Sénat, « Les femmes dans les lieux de privation de liberté », 2009.
(4) Article R.57-6-18 du Code de procédure pénale.
(5) CGLPL, Avis relatif à la situation des femmes privées de liberté, 22 janvier 2016
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) 6,1 % des activités proposées en détention, alors que les femmes représentent 3,74 % de la population détenue.
(10) CGLPL, op. cit.
(11) Ibid.
(12) Ibid.
(13) IGAS-IGSJ, Évaluation du plan stratégique 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice, novembre 2015.