En 2012, une association polynésienne fondée par d’anciens prisonniers et forte de centaines de membres à l’intérieur des murs saisit la justice pour faire constater l’indignité des conditions de détention imposées aux personnes détenues à Faa’a Nuutania. La mobilisation est massive, et les condamnations de l’État se multiplient. Un combat qui se poursuit encore aujourd’hui.
Avec un taux d’occupation de 450%, le centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, à Tahiti, est, en 2012, l’établissement le plus surpeuplé de France. Les conditions de détention qui en découlent sont inhumaines : des colonies de rats, des nuisibles, jusqu’à sept détenus dans une seule cellule, un cloisonnement entre l’espace de vie et les toilettes se limitant à un drap… Devant cette situation, Tamarii Nuutania, une association fondée en 2009 par d’anciens détenus pour défendre les droits des personnes incarcérées et prévenir la récidive, décide de porter le combat devant les tribunaux. S’inspirant notamment des actions entreprises à Rouen et Nouméa(1), ses membres choisissent de lancer une campagne de procédures indemnitaires pour conditions indignes de détention. Par ce biais, il s’agissait de « rappeler à l’État qu’un projet de construction de prison ne suffisait pas à mettre fin à la surpopulation et à l’insalubrité. Et de permettre aux détenus de se voir reconnaître victimes d’une situation illégale et illégitime », explique un membre de l’association.
Les démarches, juridiquement complexes, nécessitent de nouer des alliances. Tamarii Nuutania se tourne vers l’OIP, qui la met en lien avec Me Thibaud Millet, avocat au barreau de Papeete. Ce dernier accepte de déposer les requêtes. Réincarcéré, l’un des dirigeants de l’association – qui compte alors environ deux cents membres derrière les barreaux – en profite pour faire part de sa stratégie à ses codétenus. Tamarii Nuutania envoie une première salve de courriers à vingt détenus, détaillant les étapes de la procédure d’indemnisation accompagnés d’un questionnaire établi par l’OIP devant permettre une description précise de leurs conditions matérielles de détention, et d’un formulaire permettant de désigner Me Millet comme avocat devant le tribunal administratif. Mais, alors que l’association conseillait expressément de « préférer l’action judiciaire à toute forme de violence », les courriers, assimilés à une « incitation à la mutinerie », sont bloqués par l’administration pénitentiaire et transmis au parquet de Papeete, qui ouvre alors une enquête et fait perquisitionner le domicile de plusieurs membres de l’association. Parallèlement, le Ministère public saisit le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Papeete afin de dénoncer ce qu’il considère comme du « démarchage », pratique interdite aux avocats, remettant ainsi en cause le travail et la probité de l’avocat impliqué. En dépit de ces pressions, les recours sont déposés et l’État finalement condamné. Aujourd’hui, ce sont les prisonniers de Nuutania euxmêmes qui font vivre cette mobilisation juridique. « Les détenus se passent le mot. En dix ans, j’ai reçu près de 700 demandes de recours », rapporte Thibaud Millet. Si tous n’ont pas pu être déposés, au total, ce sont près de 450 procédures qui ont été lancées et gagnées, pour 1,2 million d’euros d’indemnisations.
Dix ans après le début de cette action, le bilan est pourtant mitigé. « D’un côté, le résultat est plutôt positif puisque les détenus ont fini par obtenir des indemnités intéressantes », note Thibaud Millet. Des travaux de rénovation ont en outre été engagés. Mais si le taux d’occupation de l’établissement a baissé, celui-ci reste aujourd’hui encore surpeuplé, et ce malgré l’ouverture d’une nouvelle prison en 2017. « Ça fait dix ans qu’on multiplie les recours, et il y a toujours autant de problèmes à Nuutania, se désole Me Millet. Avec ces actions contentieuses, l’association souhaitait mettre la pression sur l’État pour qu’il change sa politique pénale et rénove la prison en profondeur. Cet objectif est malheureusement manqué. »
Par Solal Dreyfus
(1) Dans ces établissements, des dizaines de recours ont été portés par Me Noël et Me Kaigre, faisant condamner l’État pour les conditions de détention.