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« Refondation » pénale : des paroles et des actes à contre-sens

Le 6 mars dernier, le président de la République a prononcé des mots importants sur la pénalité. Devant les élèves de l’École nationale de l’administration pénitentiaire, il a reconnu que, trop centré sur la prison, le système pénal était à bout de souffle et source d’importantes atteintes à la dignité en détention. Cependant, entre incohérences et duplicité, la réforme qu’il propose risque surtout d’alimenter le mal qu’il dénonce.

La parole d’un Président sur la prison et la pénalité est rare. Surtout lorsqu’il s’agit de se démarquer du populisme pénal, cette vision « politico-médiatique » de la peine déplorée par Emmanuel Macron dans son discours d’Agen – vision où l’enfermement est brandi « pour répondre à une émotion », sans s’interroger sur son sens, ni sur son impact. Il a posé alors un constat lucide : « L’emprisonnement ne cesse d’augmenter parce qu’au fond, cela reste la solution qui contente symboliquement le plus de monde. » Reconnaissant de fait l’« impasse » d’un système qui coûte « extrêmement cher » à la collectivité sans pour autant la protéger, car il « empêche ceux qui le pourraient de se réinsérer et de sortir de la délinquance ».

Étrillant l’univers carcéral, le Président a rappelé qu’être condamné à une peine de prison ne devrait pas signifier être condamné à « perdre tous ses droits, sa dignité ou à vivre à trois dans 9m2 ». Il a ainsi annoncé qu’il reconnaîtrait enfin aux personnes incarcérées un droit du travail adapté et un droit de vote effectif. Mais aussi qu’il augmenterait de manière significative les budgets alloués aux activités – dont la formation – pour que les détenus ne soient plus cloîtrés l’essentiel de la journée, ce qui constitue « une insulte à l’idée que nous nous faisons de la dignité ». Enfin, il a promis le déploiement de fonds pour rénover les établissements vétustes et insalubres, pour que les personnes détenues n’aient plus à « vivre en compagnie de rats et de punaises de lit ». Ces engagements sont importants. Encore faudrait-il qu’ils soient traduits en actes.

Prisons : incohérence et faux-semblants

Or, pour l’heure, les actes n’y sont pas. Et rien ne laisse présager que la future loi de programmation fasse de ces engagements une priorité. Le dossier « Chantiers de la Justice » présenté par le ministère n’en contient d’ailleurs aucune trace. Ainsi, alors qu’Emmanuel Macron déplore que la prison soit synonyme d’« annihilation sociale et morale », le dossier détaille la création de structures ultra-sécuritaires, étanches du reste de la détention et censées regrouper les détenus considérés comme radicalisés et/ou violents. Il faudrait au contraire quitter cette logique et consacrer le principe de normalisation promu par le Conseil de l’Europe en alignant « aussi étroitement que possible » la vie en prison sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur. Cela supposerait de limiter les dispositifs de sécurité coercitifs pour privilégier le renforcement de relations « positives » entre personnel et détenus, responsabiliser ces derniers en leur permettant une plus grande autonomie, développer les échanges avec l’extérieur, etc. Or cette approche, qui devrait donc être la règle pour tous quel que soit le régime de détention, le gouvernement entend en fait la réserver à quelques-uns seulement – notamment aux personnes incarcérées dans les établissements dits à « sécurité adaptée » – pour ne pas dire allégée.

Il joue sur deux tableaux – dont l’un est nécessairement perdant : la déflation carcérale.

Ces établissements auront vocation à accueillir certains détenus en fin de peine, mais aussi des personnes condamnées à de courtes peines de prison. Ces mêmes courtes peines que le Président comme le ministère affirment vouloir éviter. On le sait pourtant, augmenter le nombre de places de prison – et a fortiori pour de courtes peines d’emprisonnement – produit un appel d’air. C’est surtout faire « d’un problème politique, social et moral un problème immobilier » – Emmanuel Macron l’a dit dans son discours, comme s’il prenait enfin conscience de la fuite en avant que représente l’objectif de 15 000 nouvelles places. Mais, en dépit de ces mots, en dépit de l’appel à un « examen de conscience collectif » sur le système pénal, le réflexe populiste persiste. Les 15 000 places dont il n’a pas fait mention à Agen sont bien maintenues dans les « Chantiers de la Justice » comme dans l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État : 7 000 places construites durant le quinquennat et 8 000 autres programmées, en laissant la facture au prochain gouvernement. Tout en dénonçant la sur-incarcération, le Président l’accompagne. Il joue sur deux tableaux – dont l’un est nécessairement perdant : la déflation carcérale.

Réductionnisme pénal : le compte n’y est pas

Réduire le recours à l’emprisonnement suppose de s’attaquer aux facteurs de l’inflation du nombre de détenus et de donner une traduction législative au scepticisme affiché vis-à-vis des vertus de la prison. Et donc de conduire une réforme volontariste de la politique pénale : limiter l’usage et la durée de la détention provisoire, diminuer le périmètre de la justice pénale en confiant à d’autres formes de régulation (civile ou administrative) certains conflits et à d’autres instances – telle que la santé publique – la prise en charge de problématiques comme l’addiction aux stupéfiants. Mais encore, réduire l’échelle des peines, développer les sorties de détention anticipées – avec encadrement et accompagnement adaptés, et ne plus faire de la prison le référentiel unique des sanctions.

Or, la « refondation pénale » d’Emmanuel Macron ne contient pas cela. La détention provisoire, qui ne cesse de croître (+20 % en trois ans) (1), est laissée de côté. Il n’est pas prévu de réduire sa durée, ni de redéfinir les critères permettant d’y recourir, comme l’avait suggéré le rapport Cotte- Minkowski sur « le sens et l’efficacité des peines » qui devait pourtant orienter la réforme. Toute forme de dépénalisation est aussi écartée. Si le gouvernement entretient l’idée d’un allègement de la répression concernant l’usage de drogues ou la délivrance d’alcool à des mineurs, il n’en est rien dans les faits. Cela reste des délits passibles de prison. Seule la possibilité d’éviter des poursuites par le paiement d’une amende forfaitaire est prévue – pour ceux qui le peuvent (2). Quelques pas sont certes franchis pour favoriser les sorties de détention : l’avant-projet de loi harmonise à la mi-peine l’accessibilité à la libération conditionnelle (sauf période de sureté) et pose le principe d’une libération sous contrainte d’office aux deux-tiers de peine pour celles inférieures ou égales à cinq ans. Mais les critères pouvant justifier un refus du juge sont tellement larges (3) qu’il est à craindre que cela ne modifie pas substantiellement les pratiques. Les magistrats n’en accordent en moyenne que 4 000 par an, quand près de 50 000 personnes détenues pourraient en bénéficier (4). En dépit de l’invitation du rapport Cotte-Minkowski à se saisir de la question des peines les plus longues, la réforme la néglige. Laissant intacte la verrue que constitue dans notre droit la rétention de sûreté.

La prison toujours en référence

Surtout, le Président qui déplore un système « prison-centré » ne parvient pas à s’en émanciper lui-même. Jusqu’à valider le raisonnement de nombreux magistrats qui, plutôt que d’envisager la prison comme dernier recours, se demandent d’abord, face à un délit, combien de temps de détention les faits méritent avant de réfléchir à la possibilité d’une alternative. Cette logique de conversion, qu’il s’agissait de combattre, se retrouve en fait au cœur des propositions de réforme. En effet, le message envoyé aux magistrats pourrait concrètement être résumé ainsi : « Ne changez pas votre référentiel prison. Mais lorsque vous envisagez une peine de moins d’un an, des alternatives doivent être plus ou moins recherchées. De manière systématique quand vous songez à moins d’un mois de prison (5) ; par principe quand vous vous arrêtez sur une peine inférieure ou égale à six mois ferme (l’aménagement (6) est la règle, mais le tribunal peut le refuser (7)) ; de manière facultative quand la peine est comprise entre six mois et un an ferme, assortie ou non d’un sursis simple ou probatoire (la partie ferme peut être aménagée, le bracelet électronique privilégié). Au-delà d’un an, plus d’aménagement à rechercher, la peine doit être exécutée en prison. »

Par ailleurs, la réforme fait disparaître la contrainte pénale de l’échelle des peines et revient ainsi sur un symbole important acquis par la réforme Taubira de 2014 : la reconnaissance d’une existence propre à la probation, en tant que peine permettant d’agir sur les facteurs de passage à l’acte par un suivi individualisé tout en évitant la désocialisation carcérale. Si la contrainte pénale n’était pas pleinement déconnectée de la prison (le non-respect des obligations pouvant conduire en détention), elle avait toutefois le mérite d’exister comme peine autonome : une peine pouvant se substituer à l’emprisonnement, et non une déclinaison de celui-ci, à l’instar du sursis avec mise à l’épreuve (SME). Ici, le gouvernement propose de fusionner le SME avec la contrainte pénale et avec le sursis-TIG (travail d’intérêt général). Cette proposition a le mérite d’en faire une mesure unique, plus lisible, aux contenu et contraintes modulables selon la situation des personnes et selon leur évolution. Mais, plutôt que de la conserver comme peine autonome – et même de l’ériger en peine maximale encourue pour certains délits afin de lui donner une véritable portée, la réforme la rattache à l’emprisonnement au point de la fondre dedans sous l’appellation « peine d’emprisonnement avec sursis probatoire ». Et à nouveau, la prison est au premier plan.

Surtout, le président qui déplore un système « prison-centré » ne parvient pas à s’en émanciper lui-même.

À la place de la contrainte pénale, le gouvernement introduit une nouvelle peine, le bracelet électronique (8). En lui donnant au passage un nom plus carcéral : la « détention à domicile sous surveillance électronique ». Dans l’échelle des peines, la principale alternative à la prison prend donc la forme d’une surveillance accrue. D’autant que l’avant-projet de loi prévoit que cette peine puisse n’être qu’une assignation à résidence, avec autorisations d’absence réduites, sans mesure d’aide, ni d’assistance : en somme, la prison chez soi, avec possibilité d’envoi en établissement pénitentiaire en cas d’écart. Cette approche risque d’accroître et de banaliser le contrôle et la contrainte en milieu libre, sans pour autant faire diminuer le recours à l’emprisonnement ni favoriser la prévention de la récidive.

En réalité, en consolidant le prison-centrisme et sans modifier en profondeur les conditions dans lesquelles les personnes sont jugées, cette réforme qui est présentée comme une avancée et un moyen d’éviter la prison à des milliers de personnes risque grandement de produire l’effet inverse : mener à un nombre toujours croissant de détenus.

Vers une augmentation de la population carcérale ?

La réforme supprime la possibilité d’aménager les peines comprises entre un et deux ans de prison ainsi que la saisine obligatoire du juge de l’application des peines pour celles de six mois à un an. D’après le Président, limiter les possibilités d’aménagement des peines permettra de confronter les tribunaux au poids de leurs décisions. À ses yeux, autoriser qu’une peine d’emprisonnement prononcée en audience publique puisse être aménagée « par un autre juge, dans son cabinet, déresponsabilise toute la chaîne judiciaire ». Cela s’entend. Mais c’est ignorer les raisons pour lesquelles ce dispositif a été créé : pallier le manque de temps qu’ont les tribunaux pour comprendre les parcours des personnes qu’ils jugent, s’intéresser à leurs problématiques, étudier les mesures qui pourraient être mises en place en milieu ouvert pour y remédier. C’est aussi et surtout faire fi du recours croissant à la comparution immédiate et des dangers que cette procédure présente. Symbole d’une justice expéditive, le temps d’audience y dépasse rarement une demi-heure, dont six minutes de plaidoirie pour la défense. Les seules informations dont disposent les juges proviennent d’enquêtes sociales rapides réalisées en quelques dizaines de minutes par des associations, qui ne peuvent mener de vérifications poussées. À en croire le gouvernement, la situation pourra s’améliorer, d’une part, par le recrutement de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Hélas, le nombre de recrutements envisagés (1 500, contre 750 annoncées initialement), s’il traduit un effort, reste bien insuffisant par rapport aux besoins : il aurait fallu doubler ce chiffre pour atteindre le quota de 40 dossiers par agent (contre souvent plus de 100 actuellement) et ainsi permettre aux conseillers ne seraient-ce que de suivre, dans des conditions convenables, les personnes dont ils ont déjà la charge. Il mise aussi sur la procédure de césure du procès pénal : on se prononce sur la culpabilité, puis on prend le temps de mener des investigations plus approfondies avant de déterminer la peine. Cette procédure, qui nécessite plusieurs audiences, suppose cependant des moyens que la justice n’a pas. Il y a, dès lors, peu de perspectives réelles de transformer les modalités de jugement. Et le risque d’aboutir, par défaut ou par réflexe, à des peines d’emprisonnement est, quant à lui, accru.

Pour les peines de moins de six mois, le gouvernement admet d’ores et déjà que l’aménagement – posé comme règle – ne sera pas pleinement respecté et que, dans 40 % des cas, les personnes continueront d’être envoyées en prison, à la suite notamment d’une comparution immédiate. Quant à la suppression des peines de moins d’un mois de prison – mesure avant tout symbolique, elle n’aura quasiment pas d’impact. Car si, aujourd’hui, des sanctions de ce type sont effectivement prononcées, très peu sont mises à exécution sans aménagement. En revanche, le durcissement pour les peines supérieures à six mois va avoir des effets désastreux. Pour le Syndicat national des directeurs de prison, une telle réforme aura pour conséquence une « augmentation de la population carcérale de l’ordre de 8 000 détenus à brève échéance » (9). Et la tendance sera d’autant plus lourde si le gouvernement met en place, comme annoncé, un mandat de dépôt différé pour les peines de moins d’un an, c’est-à-dire la possibilité de laisser quelques jours ou quelques semaines entre le prononcé de la peine et l’incarcération : la prise de corps se passera en coulisses, et les magistrats ne seront plus confrontés aux conséquences de leurs décisions. Facilitant ainsi le détachement et la déresponsabilisation des juges, pourtant pointés comme au cœur du problème. Pour une juge de l’application des peines de l’Union syndicale des magistrats, le bilan est clair : avec une telle réforme, teintée « de durcissement et d’incohérence », le risque est grand que, plus qu’hier encore, « les juges deviennent des machines à incarcérer » (10).

Par Marie Crétenot

(1) Les prévenus représentent près d’un tiers de la population détenue (31 % au 1er février 2018).
(2) 250, 300 ou 600 euros selon que l’amende est payée immédiatement, dans le délai imparti (45 jours) ou hors délai.
(3) Il suffit par exemple d’alléguer que le risque de renouvellement d’infraction n’est pas levé.
(4) IGAS, IGSJ, IGF, Rapport sur l’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire, juillet 2016.
(5) Le gouvernement veut proscrire ce type de peine pour les remplacer par du travail d’intérêt général, des jours-amende, voire de la détention à domicile.
(6) Bracelet électronique, semi-liberté ou placement à l’extérieur.
(7) Par une décision spécialement motivée.
(8) Qui n’existait jusque-là qu’en aménagement d’une peine de prison ou en alternative à la détention provisoire.
(9) SNDP, communiqué du 8 décembre 2017.
(10) Le Parisien, 8 mars 2018.

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