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Restrictions sanitaires en prison : enfin l’embellie ?

Fin de la distanciation physique au parloir, levée des mesures d’isolement préventif : jamais les détenus n’ont connu, depuis le début de l’épidémie, un allègement des restrictions sanitaires tel que celui annoncé le 18 mars 2022. Car depuis mars 2020, le vase-clos de la prison les a soumis à un régime d’exception.

Après deux ans de restrictions sanitaires, la France « libre » connaît depuis le 14 mars un retour à la vie normale. Cet allègement a été annoncé le 3 mars à la population générale. Mais en prison, il aura fallu attendre le 18 mars pour que les mesures soient adaptées et communiquées. Bien que ces dernières restent assorties d’un principe de réversibilité et peuvent faire l’objet d’une application territorialisée en fonction de la situation sanitaire locale, elles n’ont jamais été autant assouplies[1] : suppression de l’obligation du port du masque en espace clos, des règles de distanciation physique, des mesures d’isolement sanitaire préventif, du délai de stockage des sacs de linge avant remise aux personnes détenues. Un véritable soulagement pour celles et ceux qui ont supporté en détention un régime d’exception. En effet, si les dispositions en vigueur en prison ont évolué ces deux dernières années suivant la circulation du virus, elles ont toujours été d’un degré de contrainte supérieur, compte tenu des spécificités de ces lieux fermés, marqués notamment par la promiscuité et la faible couverture vaccinale.

À l’extérieur, les mesures d’isolement avaient été allégées le 3 janvier dernier, pour ne concerner plus que les personnes testées positives (sept à dix jours selon le schéma vaccinal) et les cas-contact non-vaccinés (sept jours). Mais la doctrine alors en vigueur dans les établissements[2] a maintenu en plus un isolement de dix jours pour les arrivants et les personnes revenant d’une permission de sortir, d’une unité de vie familiale (UVF) ou d’un parloir familial. Les gestes barrières étaient en outre de mise aux parloirs, interdisant tout contact physique entre les personnes détenues et leurs proches. En principe, les détenus présentant un schéma vaccinal complet pouvaient être affranchis des mesures d’isolement sanitaire, sauf décision contraire de l’unité sanitaire au regard de la situation locale.

Les adaptations locales, rendues possibles par le principe de réversibilité qui accompagnait déjà cette doctrine, ont néanmoins donné lieu, à partir du mois de novembre 2021, à des situations très variées d’un établissement à l’autre[3]. Dans un contexte de surpopulation, la mise en œuvre d’une gestion individualisée des mesures préventives et des contaminations s’est en outre révélée compliquée et vaine. Pour freiner la circulation du virus, certaines directions locales ont, en concertation avec les unités sanitaires, choisi de renforcer et généraliser les contraintes.

Mesures drastiques et indifférenciées

Le centre de détention de Lille-Annœullin, dont le taux d’occupation s’élève à 132 %[4], a appliqué par exemple des règles identiques d’isolement aux détenus vaccinés ou non, à l’issue d’une UVF et au retour d’une permission de sortir (sept jours), ou en cas de test positif au Covid-19 (dix jours).

En outre, un peu partout l’isolement des détenus positifs est rapidement devenu problématique, comme l’indiquait un soignant : « Quand on en isole un dans une cellule, ils passent potentiellement à trois dans une autre. » Difficile, dans ce contexte, de casser les chaines de contaminations : dès novembre 2021, les clusters se sont multipliés. Plusieurs établissements ont mis en place des confinements par étage ou par bâtiment, et ce, que les détenus soient vaccinés ou non, testés positifs ou pas. « Je suis complètement vacciné et négatif au Covid. Pourtant, je suis confiné comme tous les autres détenus du bâtiment C », rapportait en janvier dernier un homme incarcéré au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin. Certaines prisons ont adopté des mesures non prévues par l’administration pénitentiaire. Le centre de détention de Moulins a ainsi conditionné l’accès des détenus aux ateliers à la présentation d’un schéma vaccinal complet.

La pénibilité de ces contraintes a été accentuée par un manque de visibilité quant à leur durée. Ainsi, les détenus semblaient peu informés de l’évolution des mesures de confinement dont ils faisaient l’objet, tout comme des résultats des tests auxquels ils étaient soumis. En janvier, un détenu de Melun, confiné depuis trois semaines témoignait : « Nous sommes toujours confinés 23h/24 et testés régulièrement, mais on ne nous donne pas les résultats. » Un autre détenu, à Réau, indiquait de même : « Deux bâtiments sont confinés depuis dix jours. On a tous été testés il y a cinq jours, mais on n’a aucune information depuis. »

Le manque d’informations s’est également ressenti chez les proches des détenus. L’incertitude et la fluctuation des mesures concernant les dépôts de linge et de colis de Noël, mais surtout la tenue des parloirs, ont généré de la colère et nombre d’inquiétudes : « Cela fait trois semaines que l’on me prive de voir mon mari sans raison, est-ce que la prison est en droit de nous annuler nos parloirs sans prévenir ? », interrogeait en janvier la compagne d’un homme écroué Tarascon. « Nous n’avons pas été prévenus de l’annulation de notre parloir, on a fait le déplacement pour rien », s’énervait une autre.

Deux ans de distanciation physique

Ces tensions étaient d’autant plus exacerbées que les détenus et leurs familles ont été soumis, depuis le 11 mai 2020 – date de la réouverture progressive des parloirs après le premier confinement – à des contraintes très strictes de distanciation aux parloirs : port du masque obligatoire, respect impératif des gestes barrières interdisant tout contact physique, distanciation matérialisée par une table et des marquages au sol. Ces mesures se sont accompagnées, dès le premier déconfinement, de l’installation de parois de plexiglas séparant les détenus de leurs visiteurs, qui a doublé l’interdiction de se toucher de difficultés à s’entendre[5]. Ces parois furent retirées au compte-goutte à partir de juillet 2021, avant de faire leur retour en novembre dernier. « Au parloir il y a les vitres, les masques. Quand mes enfants viennent, je ne comprends rien à ce qu’ils racontent, ils ne comprennent rien à ce que je raconte, à quoi ça sert qu’ils viennent me voir ? », interrogeait une femme incarcérée à Fleury-Mérogis. Détenue à Saint-Denis de la Réunion, une autre faisait part d’une expérience identique : « La plupart des personnes incarcérées se plaignent des difficultés de communication, du mal à entendre leurs proches. Deux ans sans se toucher, sans se faire de câlin, c’est inadmissible. » Plexiglas ou pas, l’interdiction de se toucher n’avait jamais été levée : « Il n’y a plus de relations affectives, expliquait une femme. Depuis deux ans je ne peux plus sentir l’odeur de mes enfants, leurs faire des câlins. »

En cas de non-respect des gestes barrières, les détenus s’exposaient à des sanctions. « Il nous est impossible d’embrasser notre famille, sous peine de partir à l’isolement, parfois d’être suspendu de parloir plusieurs semaines, sans oublier la rédaction des comptes rendus d’incident », écrivait en février 2022 une personne détenue à Villeneuve-lès-Maguelone. En novembre dernier, un détenu du centre de détention de Neuvic raconte avoir été envoyé à l’isolement après avoir serré sa compagne dans ses bras pendant un parloir.

Les conséquences psychiques ont été lourdes pour les personnes incarcérées. « Qui pourrait supporter d’être privé d’enlacer et d’embrasser femme et enfant autant de temps ? », interpellait un homme. « Il y a des femmes en promenade qui pleurent parce qu’elles ne peuvent plus avoir de contact physique avec leurs petits copains, leurs maris ou leurs amants. Elles ont peur qu’on les quitte, elles parlent de suicide. Ces femmes souffrent terriblement », rapportait une femme détenue à Fleury-Mérogis. Fréquemment, les détenus ont témoigné de leur incompréhension devant un régime à deux vitesses : « Les surveillants entrent et sortent, sont en contact avec leurs proches, mais quand il s’agit de détenus, immédiatement on emploie les grands moyens », s’insurgeait une femme en décembre dernier. Une colère largement compréhensible, quand la responsabilité en matière de prévention sanitaire a, pendant deux années, essentiellement pesé sur les épaules des personnes incarcérées.

par Pauline Petitot

[1] Note du 18 mars relative à la gestion de la crise sanitaire – actualisation des mesures de protection dans le contexte de la gestion de sortie de crise sanitaire.
[2] Note du 22 juin 2021 relative à l’actualisation des mesures de protection dans le contexte sanitaire et poursuite du déconfinement.
[3] Note du 30 décembre 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire – vigilance et mobilisation dans un contexte de flambée de l’épidémie sur le territoire national.
[4] Au 1er janvier 2022.
[5] « Parloirs : à quand la fin des séparations en plexiglas ? », communiqué de l’OIP, 10 juin 2021.