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Salaires : l’État hors la loi

D’après la loi, les détenus devraient percevoir au minimum 45 % du SMIC horaire pour les activités de productions à l’atelier, 20 à 33 % pour les activités de service général. Des conditions de rémunération bien en deçà de celles fixées par le droit commun… que l’administration pénitentiaire ne respecte pas. Sylvain Gauché, avocat, défend certains de ces travailleurs-détenus lésés qui osent réclamer leurs droits. Pour lui, cette politique est délibérée, car économiquement rentable.

Quelles violations du droit avez-vous pu constater ?

Sylvain Gauché : La moitié des recours que j’engage pour des personnes détenues concernent des problèmes de rémunération du travail. Le seuil minimal de rémunération horaire (1) n’est tout simplement pas respecté. Dans les ateliers, les détenus sont souvent payés à la pièce, ce qui est parfaitement illégal. Dans les cas que je défends, l’acte d’engagement ne précise souvent pas les conditions de rémunération, qui devraient pourtant l’être. Elles devraient aussi être affichées sur le lieu de travail, ce qui est rarement le cas.

Quelles décisions parvenez-vous à obtenir ?

C’est un contentieux bon pour le moral car on gagne à tous les coups ! L’administration se fait systématiquement condamner. C’est rare, en matière pénitentiaire… C’est pour le travail aux ateliers que l’on obtient les plus grosses réparations, puisque c’est là que l’écart entre la rémunération théorique et la somme effectivement perçue est le plus important. J’ai par exemple récupéré 4 400 euros pour un client qui était payé à la pièce. En revanche, les bulletins de salaire ne sont pas corrigés et le montant des cotisations n’est donc pas mis à jour. Cela entraîne des pertes de droits pour les détenus, par exemple pour l’assurance vieillesse. Il faudrait que les tribunaux condamnent l’administration à produire de nouveaux bulletins de salaire, afin d’entraîner un nouveau calcul des cotisations sociales ; on a eu quelques décisions en ce sens, mais pour le moment, je n’ai encore jamais vu de bulletins corrigés.

Quelle est la défense de l’administration ?

Elle plaide généralement l’erreur. C’était une défense acceptable en 2012 ou en 2013, mais six ans après l’adoption du décret d’application de la loi pénitentiaire (2) et des dizaines, voire des centaines de condamnations plus tard, cet argument ne peut plus tenir, d’autant plus que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a rendu deux avis sur ce problème et que la Cour des comptes a initié une procédure en référé.

Comment expliquez-vous que l’administration ne se mette pas en conformité avec la loi ?

Je suppose que c’est par pur calcul économique : la juridiction administrative reconnaît difficilement un préjudice moral, si bien que l’administration se contente de payer ce qu’elle aurait dû payer au salarié, avec les intérêts. Cela doit coûter moins cher à l’administration de se faire condamner de temps en temps – une minorité des personnes détenues concernées engageant des recours – que de respecter les textes. Actuellement, un quart des personnes détenues travaillent. Le jour où tous les travailleurs pénitentiaires, soit plus de 20 000 personnes lésées, feront un recours, les choses seront sûrement différentes.

Qu’est-ce qui à votre avis retient les détenus d’engager des recours ?

Ils ont peur d’être perçus comme procéduriers et de s’exposer à des représailles insidieuses mais extrêmement pesantes : le rapport du CGLPL de 2012 dénonce des remarques de la part de surveillants, des fouilles de cellule plus fréquentes. On n’ouvre pas leur porte lorsqu’ils devraient se rendre aux activités ou aux parloirs, on lit ou retient leur courrier…

N’y-a-t-il aucun autre moyen de contraindre l’administration à respecter la loi ?

Il faudrait passer par une procédure au fond, à savoir un recours pour excès de pouvoir, mais à l’échelle d’un établissement. Lors de recours individuels, le juge refuse l’urgence et la longueur de ce type de procédure fait que le requérant est souvent libéré ou transféré avant que la décision ne soit rendue. Il faudrait pouvoir mener un contentieux collectif, au niveau d’un établissement. Avec deux cents personnes concernées, l’urgence pourrait être reconnue. C’est le prochain combat à mener.

Propos recueillis par Laure Anelli

(1) Fixé par l’article 432-1 du Code de procédure pénale.
(2) Décret n°2010-1635 du 23 décembre 2010 – art. 36.