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Sexualité des femmes détenues : sous un voile de pudibonderie

Le contrôle de la sexualité des femmes incarcérées semble poussé à son paroxysme. Au point d’intervenir sur leur manière de s’habiller, qui ne doit pas « provoquer » ou « tenter » les quelques figures masculines qu’elles sont amenées à croiser.

La misère affective et sexuelle n’épargne pas les femmes détenues, au contraire. D’autant qu’elles sont souvent « très désocialisées lors de leur incarcération », délaissées par leur famille et leur conjoint, ou isolées car provenant d’un pays étranger (1). Pour celles qui auraient encore un partenaire à leur entrée en prison, « il est acquis que, lorsqu’elles sont incarcérées, les femmes sont davantage quittées par les hommes que les hommes ne le sont par les femmes »(2), confirme la sociologue Gwénola Ricordeau. « Notre relation n’a tenu qu’un an, témoigne une détenue, en couple à son arrivée en prison, en 2011. Mon ami s’est rapidement lassé des parloirs courts et sans aucune intimité. » « Je suis une femme qui n’a pas eu de relation sexuelle avec un homme depuis bientôt cinq ans, et je n’y pense presque plus, confie une autre. Le manque est plus d’ordre sentimental : flirter, plaire, être regardée… » Aussi, bon nombre de femmes attendent la fin de leur peine avec une certaine appréhension, celle de « ne plus être désirable » et de ne plus parvenir « à satisfaire le ou la partenaire ».

Pour faire face à la privation, les femmes déclarent moins que les hommes recourir à la masturbation, en conformité cependant avec les données en population générale (3). « Même dans la solitude de sa cellule, on ressent une vraie pression à se masturber, car les surveillantes peuvent à tout moment regarder par l’oeilleton », confie une détenue. Pour une autre, l’inhibition est totale : « Le plaisir solitaire est inexistant. Comme vous savez qu’à chaque instant, vous pouvez être vue par l’oeilleton et que les cancans circulent vite, vous ne tentez rien. » Et lorsqu’elles reconnaissent se masturber, les femmes « ont en commun avec les hommes détenus de rarement mobiliser les registres du désir et du plaisir » (4). D’autant que « tous les artifices de types sex-toys sont interdits, rapporte une détenue. Les plus accrocs utilisent des objets illicites, dans de mauvaises conditions d’hygiène ». Cette dernière a demandé à de nombreuses reprises le droit de pouvoir cantiner ce type d’accessoires. Requêtes rejetées par l’administration pénitentiaire. Certaines directions avaient déjà refusé à un site de vente en ligne l’autorisation de faire parvenir gratuitement des sex-toys aux femmes détenues, en février 2011 (5). Motif : l’administration « n’a pas vocation à proposer d’elle-même » ce type de produit.

Cachez-moi ce sexe…

Alors que l’administration pénitentiaire est souvent peu regardante sur la consommation de pornographie en prison pour hommes, elle se ferait pudibonde dès lors qu’il s’agit des femmes. « Le premier samedi de chaque mois, il y a un porno sur Canal +. Les détenus hommes peuvent le regarder, pas nous : à minuit, l’écran devient noir et muet dans le quartier femmes ! », rapporte une détenue. Le contrôle du corps et de la sexualité semble généralement plus serré à l’égard des femmes, le personnel pénitentiaire n’hésitant pas à s’ingérer jusque dans l’habillement des détenues, bien au-delà des considérations sécuritaires habituelles. « Nous, les détenues femmes, subissons un vrai harcèlement par rapport à nos vêtements. Par exemple : interdiction de montrer les épaules, même si la loi ne dit rien à ce sujet, interdiction de porter des vêtements transparents, des shorts, même en pleine canicule. Si la surveillante décide que c’est une tenue provoquante, tu n’as pas le droit de la porter. » En toile de fond, la crainte, pour l’administration, que des relations sexuelles s’engagent entre femmes détenues et membres du personnel, intervenants extérieurs, ou même des détenus hommes, à la faveur de « failles organisationnelles ». Aussi, dehors comme dedans, la responsabilité de ne pas susciter le désir masculin pèse sur les femmes. Et parce qu’elles contreviendraient à cette norme, les détenues qui soigneraient leur apparence sont rappelées à l’ordre par l’administration mais aussi par leurs codétenues, à grand renfort d’insultes (6). Si le fantasme de l’homme hyperviril est érigé en modèle absolu en détention hommes, chez les femmes, séduction et sensualité doivent s’éclipser. Autre illustration de cette pudibonderie, les préservatifs féminins sont distribués exceptionnellement, alors que la mise à disposition de préservatifs masculins dans les détentions hommes est courante.

Limiter les risques de grossesse, signe de défaillance institutionnelle

Pour la sociologue Corinne Rostaing, la surveillance accrue sur les femmes « vise surtout à contrôler les éventuelles relations hétérosexuelles, afin de limiter les risques de grossesse » (7). La « police de la sexualité » s’exerce dès lors surtout au parloir et elle y est « autrement sévère que celle qui s’observe dans les parloirs des détentions masculines », confirme Gwénola Ricordeau. Particulièrement redouté : le bébé parloir, symbole de la défaillance de l’institution. Une détenue raconte ainsi son premier parloir depuis deux ans avec son petit ami, lui-même incarcéré : « J’ai été empêchée d’y aller avec une jupe (même si le règlement ne dit rien à ce sujet) sous menace de perdre le parloir. Les deux surveillantes avaient l’ordre formel de nous empêcher tout rapport sexuel. Elles étaient postées de chaque côté du boxe. L’une des portes était en verre. Une surveillante nous regardait en permanence et hurlait : “Madame ! Qu’est-ce que vous faites avec votre main ? Séparez-vous !”, ou “si ça continue comme ça, on va mettre fin au parloir et faire un rapport pour vous interdire le prochain !” Après chaque parloir interne, je devais me soumettre à une fouille intégrale. J’ai dû supporter les commentaires dédaigneux de surveillantes pendant la fouille, qui se moquaient et me traitaient de “dégoûtante”, “sans-pudeur”, “effrontée”… Pouvez-vous imaginer la violence de cette situation ? » Les détenues bravant l’interdiction de sexualité au parloir seraient très marginales : « Peu de femmes nous ont confié avoir eu des rapports sexuels au parloir, mais beaucoup ont évoqué la honte qu’elles auraient éprouvée de tomber enceinte à la suite d’un rapport sexuel au parloir. C’est, à l’inverse, souvent un motif de fierté chez les hommes que d’avoir conçu un “bébé-parloir” », relève encore Gwénola Ricordeau.

Il faut dire aussi que pour certaines femmes, l’interdiction de la sexualité relève du « bénéfice secondaire » (8). Nombre d’entre elles ont été victimes de violences sexuelles, si bien que « la plupart ont un rapport très douloureux à la sexualité, et ne voient pas du tout cela comme un plaisir » (9), relève Myriam Joël-Lauf. Paradoxalement, le cadre strict des visites aux parloirs leur permettrait de reprendre le contrôle sur leur corps, en les aidant à imposer leur volonté auprès d’un conjoint dominateur.

Homosexualité, réellement tolérée ?

Quant à l’homosexualité féminine, elle est « appréciée diversement suivant les établissements », note Corinne Rostaing. Si l’homophobie revêt des formes moins spectaculaires qu’en détention hommes, elle est aussi présente et « s’exprime couramment au travers d’attitudes de rejet comme des réflexions désobligeantes, des menaces ou des conduites de délation auprès des agents pénitentiaires » (10).

Si la relation homosexuelle est souvent vécue très positivement par les détenues, « la partenaire étant présentée parfois comme la première personne leur renvoyant une image positive d’elles-mêmes » (11), elle peut aussi donner lieu à des violences. Myriam Joël-Lauf fait ainsi état de relations conjugales d’emprise, incluant « pressions sexuelles de longue durée », mais aussi « brimades, humiliations, agressions physiques et racket ». Il n’est alors pas rare que l’administration s’ingère dans ces relations problématiques, afin de protéger la personne sous emprise. Finalement, l’institution carcérale concoure à diffuser – voire imposer – à sa population un certain modèle de la sexualité féminine, le même qui prévaut au dehors : « une sexualité inscrite dans un couple hétérosexuel monogame, exclusif et de longue durée ; (…) qui soit rationalisée au travers de conduites responsables et autocontrôlées ; et qui occupe une place non prioritaire par rapport aux pratiques de care à destination des enfants. » (12)

Par Laure Anelli


« Ici, on parle très peu de sexualité, cela reste un sujet tabou, ou très personnel. Avec les codétenues, cela se fait de façon ironique. Les différents intervenants évitent d’aborder la question avec nous. Si deux détenues se rapprochent de trop près, on leur en fait la remarque. Ou alors il y a une interdiction de plus, en les envoyant séparément à la douche, par exemple. Le fait de simplement serrer une autre personne dans ses bras est mal vu, on vous en fait la réflexion.
À cela s’ajoute une protection individuelle pour survivre dans ce milieu, du coup j’évite au maximum les contacts. J’avais une vie sexuelle relativement développée dehors. Mais avec l’enfermement, il y a une perte de libido considérable. Même un courrier un peu chaud n’est pas ressenti comme tel, puisqu’on sait qu’il a déjà été lu, et que cela ne restera qu’au stade du virtuel. En plus, il arrive que des surveillantes racontent ce qu’elles ont lu dans le courrier d’une détenue, pour la mettre à mal. Ici, le stade adulte n’existe pas et le stade pubère est banni, on est en maternelle ! À part se tripoter seule… Vous perdez votre statut de femme, n’avez plus envie de plaire.
Sur la relation de couple, en dehors du fait que l’affaire et l’incarcération pèsent déjà lourd, le manque de sexualité déchire ce qu’il en reste. Avec le temps, on a l’impression de devenir deux étrangers l’un envers l’autre. Nous n’avons jamais pu avoir de relations au parloir, il y avait une surveillance accrue. Personnellement, mon mariage a explosé. Un minimum de relations serait vécu ici comme une bouffée de bien-être physique et psychologique. Ce qui est complètement banni, comme nous n’appartenons plus à la société, et sommes considérées comme des moins que rien. J’ai parlé une fois des UVF avec une surveillante, même s’il n’y en a pas en maison d’arrêt. Elle a répondu : « Baisodrome ». J’ai eu l’impression de revenir des siècles en arrière. »
—Femme détenue en maison d’arrêt, extraits des réponses à un questionnaire de l’OIP, nov. 2015.


1/ Sénat, Rapport d’activité pour l’année 2009 et compte rendu des travaux de la délégation aux droits des femmes sur le thème « Les femmes dans les lieux de privation de liberté », n° 156 (2009-2010) – 11 décembre 2009
2/ Les citations de Gwénola Ricordeau sont extraites de son article, « Sexualités féminines en prison : pratiques, discours et représentations », Genre, sexualité & société, 1 | Printemps 2009
3/ Nathalie BAJOS, Michel BOZON, Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, La Découverte, 2008.
4/ Gwénola ricordeau, op. cit.
5/ « Les directions pénitentiaires refusent la distribution de sex-toys aux prisonnières », 20 minutes, 14/02/2011
6/ Myriam Joël-Lauf, La sexualité en prison de femmes, thèse soutenue en novembre 2012
7/ Citations de Corinne Rostaing extraites de son ouvrage La relation carcérale, Identités et rapports sociaux dans les prisons de femmes, Puf, 1997.
8/ Gwénola Ricordeau, op.cit.
9/ Citation extraite d’une conférence tenue à Précy-le-Sec, en février 2013.
10/ Citations de Myriam Joël-Lauf extraites du résumé de sa thèse, La sexualité en prison de femmes, soutenue en novembre 2012. 11/ Gwénola Ricordeau, op.cit.
12/ Myriam Joël-Lauf, op.cit.

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