Continuité des soins, prévention du « choc de la libération » mais aussi réadaptation sociale et familiale : l’équipe de la consultation extra-carcérale du centre hospitalier Sainte-Anne propose une prise en charge globale aux personnes sortant de prison.
C’est l’une des seules du genre en France : une consultation spécifique pour personnes sortant de prison, assurée par le service médico-psychologique régional (SMPR) de l’ancienne maison d’arrêt de Paris-La Santé, au centre hospitalier Sainte- Anne. Malgré la fermeture de la prison en 2014, l’équipe soignante a maintenu son activité afin de poursuivre l’une des missions des SMPR : la continuité des soins psychologiques et psychiatriques pour les sortants de prison.
Éviter les ruptures de soins d’un public stigmatisé
Selon le responsable de la consultation, le psychiatre Cyrille Canetti, si les ruptures de soin sont fréquentes à la sortie de prison, c’est parce qu’il est difficile pour les ex-détenus de trouver un relais. « Les centres médico-psychologiques (CMP) sont souvent surchargés et ne permettent pas de proposer à ces personnes des rendez-vous dans un délai court après leur sortie. » Un problème compliqué par la réticence de certaines structures à prendre en charge ce public : « Dès qu’on appelle d’une prison, cela effraie un peu les soignants », qui ne se sentent pas toujours « formés » pour s’occuper de cette population. L’équipe de la consultation extra-carcérale est pour sa part composée principalement de soignants qui avaient déjà travaillé en milieu carcéral : « On sait ce que signifie « cantiner », ce qu’est une fouille. » La consultation apparaît comme « un endroit où l’on peut venir poser sa souffrance, ses maux, un endroit privilégié où l’on n’a pas cette crainte d’être jugé », commente Isabelle Boisier, ancienne cadre de santé de la structure. Mais cette prise en charge n’est que provisoire : la finalité ultime de la consultation est d’être une passerelle vers des soins de droit commun. « Nous allons présenter le patient pour montrer à l’équipe qu’on n’amène pas Jack l’Éventreur ». L’objectif n’est donc pas de créer une filière ségrégative pour anciens détenus, mais au contraire de « travailler à leur déstigmatisation ». De même, l’équipe soignante n’a pas vocation à prendre en charge des patients aux pathologies trop lourdes, « puisqu’ils ont besoin d’un secteur, avec une équipe, un hôpital de jour, un CMP, etc. ».
Des troubles renforcés par le « choc de la libération »
La consultation extra-carcérale est ouverte aussi bien aux hommes qu’aux femmes, mineurs et majeurs. Une population provenant principalement des établissements pénitentiaires de la région parisienne et se déclarant vivre à Paris. Les personnes accueillies sont atteintes de troubles schizophréniques ou bipolaires, ou dans des « états limites » se traduisant par exemple par des conduites antisociales, des addictions ou par une angoisse de l’abandon. Des états nécessairement accentués par l’emprisonnement, puisque « la rupture des liens renforce le sentiment d’insécurité totale », commente le psychiatre de la structure. Mais les bouleversements qui accompagnent la sortie de prison peuvent également accroître les effets néfastes de ces troubles. Ce passage délicat du dedans au dehors peut en effet être vécu de façon extrêmement perturbante et constituer ce que les soignants appellent le « choc de la libération ».
Les personnes sortant de prison sont d’abord confrontées à une soudaine transformation du temps et de l’espace. « Quand on sort de prison, on a une notion du temps et du respect des rendez-vous assez approximative. D’autant que l’ordre des priorités s’inverse : il faut manger, s’habiller, avoir un toit au-dessus de la tête. Le soin passe au second plan », explique Cyrille Canetti. Les sens aussi sont transformés : « En prison, il y a toujours un mur qui arrête le regard. On sait qu’après, ça donne des vertiges et des pertes d’équilibre », commente Isabelle Boisier. De même pour l’ouïe, l’odorat ou le toucher, « qui sont sur-stimulés » à la sortie, selon l’ergothérapeute de la structure. Cette dernière travaille donc sur la « réappropriation du corps », mais également sur « le contrôle des angoisses liées à la peur de la foule et du vide ».
« Globalement, les personnes sortent fatiguées psychiquement », remarque Isabelle Boisier. Et ce, alors qu’ils doivent relever un défi de taille : se responsabiliser de nouveau et de façon immédiate après une longue période de passivité contrainte. « Comment faire pour se réadapter lorsque l’on a été complètement infantilisé pendant des mois, voire des années ? », questionne Isabelle Boisier. « En prison, ils sont toujours dépendants de quelqu’un d’autre et dans l’impuissance pour tout. » Cette perte de responsabilité au quotidien influence le comportement à la sortie : « L’exemple typique, c’est le cas du sortant de prison qui attend qu’on lui ouvre la porte alors qu’elle n’est pas fermée à clé. »
Parallèlement aux suivis individuels, la consultation propose des thérapies de groupe sous forme d’ateliers, qui permettent aussi aux sortants d’échanger sur les difficultés communes qu’ils rencontrent. Selon les cas, une orientation vers l’assistante sociale peut-être proposée pour un bilan lié à l’accès aux soins et à l’ouverture des droits.
Au-delà du soin, aider les personnes à se réadapter socialement
« À la sortie, j’avais des problèmes de logement, des problèmes pour me déplacer dans le métro. Ça a été difficile. Ici, je veux retrouver une santé, une stabilité », explique Benoît *, qui vient à la consultation depuis trois mois sous le régime de l’obligation de soins. « Je ne voulais pas ne rien faire, boire toute la journée et replonger », confie pour sa part Adam, qui fréquente la consultation depuis un an. « Alors je viens ici et on m’aide à m’adapter dans la société. Je suis devenu une personne pour moi », poursuit-il. L’accompagnement proposé par l’équipe va en effet au-delà du soin, pour permettre aux personnes de se réadapter à la vie dehors. Certains doivent réapprendre des actes de la vie quotidienne, « comme cette personne qui ne sait plus comment traverser une rue », raconte Cyrille Canetti. D’autres doivent expérimenter une multitude de situations auxquelles elles n’ont jamais été confrontées, comme « acheter un ticket de métro aux bornes automatiques » par exemple. Une réadaptation particulièrement difficile après une longue peine. Isabelle Boisier évoque ainsi le cas d’un détenu incarcéré pendant plus de vingt ans qui, à sa sortie, découvre l’euro comme nouvelle monnaie ; doit se déplacer à divers endroits pour effectuer ses démarches et poursuivre ses soins, sans avoir aucun repère dans les rues ou le métro. Autant de difficultés qui donnent aux personnes « le sentiment d’une exclusion totale », analyse la soignante.
Des consultations ouvertes aux proches
Un sentiment d’exclusion jusque dans la famille, où il peut être compliqué de retrouver une place, « comme le père de famille qui revient chez lui mais n’a plus sa place à table ». Les ex-détenus découvrent que la vie a continué sans eux, que leur famille a aussi souffert de l’incarcération et que leurs proches ne peuvent pas toujours être les interlocuteurs privilégiés de leurs maux. Cyrille Canetti rapporte le cas d’une femme de détenu qui appréhendait le retour de son mari. « Je me suis habituée à vivre seule donc ça va être compliqué. Il me dit qu’il devient fou, mais il ne sait pas que je deviens folle aussi », lui avait-elle confié. La consultation extra-carcérale propose donc également un accompagnement pour les proches de détenus.
L’offre proposée par la consultation extra-carcérale, très complète, reste malheureusement très exceptionnelle. « On est une petite goutte dans l’océan, il faudrait des centaines d’équipes comme ça… », souffle Cyrille Canetti.
Par Anaïs Le Breton
Pour joindre la consultation : 01 45 65 62 31 (du lundi au vendredi de 9h30 à 18h).
* Les prénoms ont été modifiés.