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Soutenir la « désistance »

Les études sur la « désistance » (processus de sortie de la délinquance) apportent de nouveaux éclairages sur les méthodes d’accompagnement à privilégier auprès des auteurs d’infraction. Pour Fergus Mc Neill, la probation ne peut se contenter de travailler avec eux sur leurs problématiques personnelles, mais doit aussi trouver des « alliés » dans leur environnement social et relationnel, qui viendront soutenir au quotidien leur démarche de réinsertion.

Professeur de criminologie et travail social à l’Université de Glasgow (Ecosse), Fergus McNeill est l’un des principaux chercheurs du courant de la « désistance ».

Quels sont les principaux facteurs de sortie de délinquance, selon les études sur la désistance ?

Une première perspective issue de ces études s’appuie sur la relation entre âge et délinquance, la commission d’infractions répétées étant très majoritairement le fait d’individus jeunes [les faits débutent durant l’adolescence, avec un pic autour de 17-18 ans, puis ont tendance à se dissiper avant que la personne n’atteigne l’âge de 30 ans]. Ces théories suggèrent que la désistance peut surtout s’expliquer en termes d’âge et par la maturité croissante qu’il apporte généralement.

Une deuxième perspective suggère que la désistance ne s’explique pas par l’âge et la maturité en tant que tels, mais par les évolutions des liens sociaux qui viennent habituellement avec l’âge adulte. Elle met en évidence que la désistance est corrélée, par exemple, à l’acquisition d’un emploi stable, au développement de relations intimes satisfaisantes, au fait de s’investir dans le rôle de parent… En quelque sorte, les personnes se détournent de la délinquance parce qu’elles avancent sur le chemin du « conformisme ».

Une troisième approche pointe moins la dimension structurelle de ces événements que leur dimension subjective : une nouvelle relation amoureuse ou un nouveau travail sera susceptible de susciter ou d’appuyer la désistance si et seulement si la personne lui accorde plus de valeur qu’à ses relations ou activités « pro-délinquantes ». Cette dimension subjective nous amène à réfléchir sur les moyens d’abandonner une « identité » trouvée dans la délinquance – et comment de nouvelles identités, plus positives, peuvent être développées.

Est-ce que cela signifie que l’accompagnement par les éducateurs, agents de probation ou autres professionnels ne peut avoir qu’un effet mineur sur les trajectoires délinquantes ?

Non, je ne pense pas. Il est vrai que l’une des études les plus importantes, publiée en 20021, considère que la probation n’a que peu d’impact sur les trajectoires délinquantes, comparée aux facteurs de la motivation personnelle et du contexte social. L’auteur soutient néanmoins que la probation peut avoir des effets positifs indirects, par exemple en travaillant au renforcement de la « motivation au changement » et en répondant aux difficultés d’insertion sociale. Ajoutons que depuis 2002, Steve Farrall et son équipe ont mené des études de suivi des mêmes probationnaires, qui tendent à montrer que la probation a eu plus d’effets, en termes de « semer des graines » pour de futurs changements, que ce qu’ils pensaient initialement. Ce qui fait écho à ce que j’avais moi-même trouvé lors d’une étude portant sur des personnes qui avaient été probationnaires dans les années 1960. Avec 40 ans de recul, de nombreuses personnes interviewées reconnaissaient que la probation avait eu un impact positif et notable sur leur vie, mais pas toujours dans l’immédiat.

Quelle est l’importance de la qualité de la relation avec l’agent de probation ? Et quelles sont les méthodes d’accompagnement que celui-ci doit privilégier ?

L’ensemble des études conduites dans le champ de l’accompagnement des personnes concluent que la qualité de la relation entre l’auteur d’infraction et l’agent de probation est un facteur essentiel pour favoriser un processus de sortie de délinquance. Les individus sont plus à même d’entreprendre un processus exigeant d’évolution personnelle s’ils perçoivent que les professionnels chargés d’accompagner cet effort se préoccupent d’eux, leur accordent de la valeur et les respectent. Cela implique une posture professionnelle qui est en empathie, s’engage, co-analyse avec la personne sa situation, co-planifie le suivi, coordonne et co-évalue l’intervention. Il ne s’agit plus d’une intervention sur la personne, mais d’un processus engagé avec et pour elle.

Les méthodes d’accompagnement à privilégier diffèrent également selon les personnes, sur la base d’un examen attentif, avec le probationnaire lui-même, de là où il en est dans le processus de désistance, des obstacles auxquels il est confronté et de ce qui peut l’aider à enclencher ou poursuivre sa marche en avant. Dans la mesure où la désistance est un processus affecté par la subjectivité et des questions d’identité, il faut adopter une approche véritablement individualisée, adaptée aux besoins, aux points forts et aux dynamiques de changement de chaque individu. En revanche, tous auront besoin d’une forte motivation pour enclencher ces changements [ce qui implique de la part du professionnel un rôle de conseil pour renforcer la motivation], de développer des « capacités humaines » qui leur permettront de commencer à vivre différemment [rôle éducatif du professionnel, enseignement de méthodes cognitivo-comportementales], ainsi que d’accroître les opportunités sociales nécessaires à un changement durable [l’accompagnant joue un rôle de défenseur et de mise en réseau d’alliés autour de la personne dans son voisinage ou sa communauté].

Comment les agents de probation peuvent-ils travailler sur les questions liées au milieu social et relationnel des auteurs d’infractions, dit capital social ?

Le concept de « capital social » évoque les réseaux de relations et de réciprocités dont nous dépendons tous. La famille et les amis proches sont notre source habituelle de « capital social liant » (bonding). Les collègues de travail, d’études ou les autres personnes avec lesquelles nous partageons des intérêts ou des activités représentent le « capital social d’échanges » (bridging). Bien entendu, le capital social peut être licite ou illicite, il peut soutenir la désistance ou les activités délinquantes. Son rôle est essentiel, car avoir la motivation et les capacités d’agir autrement ne suffit pas s’il n’existe aucune opportunité pour maintenir durablement un tel changement.

La principale implication de ces constats est que la probation est vouée à l’échec si elle ne s’occupe que des seuls probationnaires, sans se soucier de leur environnement social et relationnel. La probation doit travailler avec les réseaux de la famille et des pairs, afin de repérer et renforcer des « alliés » qui viendront soutenir au quotidien le processus de désistance. Cela implique que les agents de probation sortent de leur bureau, pour connaître et comprendre le contexte social dans lequel vivent les probationnaires, pour construire des relations avec les familles, la communauté, les employeurs, les associations, de sorte que le changement puisse être appuyé et soutenu, les obstacles écartés et des perspectives ouvertes.

Le développement de « cercles de soutien et responsabilité » fournit un exemple prometteur de ce type de travail. Des auteurs d’infractions sexuelles, considérés comme présentant un risque élevé de récidive, sont associés à un « cercle » de bénévoles formés, qui reçoivent l’appui de professionnels de la justice. Ces bénévoles jouent un rôle semblable à celui des proches ou des amis pour des personnes très isolées, notamment en étant disponibles à tout moment pour un téléphone ou une rencontre. Les probationnaires doivent également rendre compte au cercle de bénévoles du respect de leurs obligations. Il s’agit donc en même temps d’apporter un soutien et une supervision.

Comment les chercheurs de la désistance préconisent-ils de travailler sur le « capital humain », à savoir les aptitudes personnelles nécessaires au changement ?

Réussir un processus de changement nécessite effectivement le développement du « capital humain », ou des « compétences humaines », ou à tout le moins la réorientation des compétences et points forts existants dans une direction plus positive. Les publications du “what works ?” ont bien montré que de nombreuses personnes impliquées dans la délinquance ont « appris » des attitudes et des comportements qu’il leur faudrait quasiment «désapprendre», et que les traitements cognitivo-comportementaux peuvent favoriser considérablement ce processus. Le “what works ?” tend à centrer son approche sur des « facteurs de risque dynamiques » très spécifiques, qui sont les plus fortement corrélés avec la probabilité d’une nouvelle condamnation, au premier rang desquels se placent les croyances et valeurs favorables à la délinquance, les problèmes d’agressivité et gestion de la colère et les troubles associés à la consommation de stupéfiants. Il me semble que lorsque ces problèmes existent, la probation doit en e et les prendre en compte. Je pense qu’il est toutefois erroné de penser qu’une fois ces problèmes résolus, la question de la délinquance sera durablement réglée.

La probation est vouée à l’échec si elle ne s’occupe que des seuls probationnaires, sans se soucier de leur environnement social et relationnel

Faut-il, selon vous, privilégier les entretiens individuels ou les groupes de parole, ou faire les deux ?

Des éléments de travail en groupe peuvent être intégrés sur des points précis (par exemple, le développement de « compétences humaines » évoqué ci-dessus). Mais ils doivent toujours, à mon avis, s’inscrire dans le cadre d’un suivi individualisé, avec pour toile de fond une bonne compréhension de ce qu’est la désistance [l’intervention judiciaire s’inscrit dans un processus de changement qui appartient à la personne et qu’il convient de soutenir, dans un objectif d’intégration dans la communauté]. Lorsque des besoins communs sont identifiés au sein de la population prise en charge, il peut s’avérer pertinent de rassembler les personnes pour y travailler ensemble et s’apporter un soutien mutuel dans le processus de changement. Les programmes du “what works ?” qui recourent au travail en groupe s’appuient beaucoup sur le soutien, mais aussi les défis, apportés par les pairs. En Écosse, nous proposons des programmes « à entrées permanentes » [les participants peuvent être intégrés au groupe à tout moment et la composition du groupe évolue continuellement, avec des arrivées et des départs]. Ces programmes sont composés de différents modules, les participants pouvant travailler sur des problématiques variées. Lors de chaque session, une ou deux personnes sont au centre des discussions du groupe, qui travaille sur leurs problématiques et valorise leurs progrès. Cette approche permet au travail en groupe d’être plus individualisé.

Pouvez-vous décrire le programme SSP, dont la conception est pour partie inspirée des recherches sur la désistance ?

Le «Programme structuré de supervision» (SSP, Structured Supervision Programme) a emprunté la structure, la formation préparatoire et les techniques cognitivo-comportementales issues des programmes du “what works ?”, ainsi que leurs procédures pour s’assurer qu’ils sont correctement conduits par les animateurs. Il s’est également inspiré des théories de la désistance et de « l’attachement » (qui porte sur les expériences précoces des personnes, et comment celles-ci modèlent leur capacité à entrer en contact avec les autres), ainsi que du “Good Lives Model”. Alors que les programmes du “what works ?” se déroulent essentiellement en groupe, le SSP prend la forme d’une supervision individuelle. Il comprend douze sessions d’entretiens individuels, qui correspondent à cinq modules traitant des thèmes suivants : la motivation [méthode de « l’entretien motivationnel », qui vise à aider la personne à identifier et renforcer sa propre motivation au changement tout au long de son parcours] ; développement de compétences en matière de « résolution de problèmes » et de « communication assurée » ; définition d’objectifs et travail sur le « cycle de changement » ; établir des perspectives [définition d’objectifs] ; travail sur la prévention de la récidive [identification des situations « à risque », les manières de les éviter ou d’y répondre autrement…].

Le programme SSP a été à l’origine conçu pour les services de probation de Roumanie, puis il a été adapté pour le service de probation de Londres. Il a partout été très bien reçu par les agents de probation, et par les probationnaires eux-mêmes. Il semble qu’il permette de prendre vraiment en compte les inquiétudes et les espoirs d’une personne, sans perdre la rigueur et la structure des programmes du “what works?”. Plus récemment, le SSP a servi au développement de SEED2 (« Compétences pour le développement d’un engagement e cace»), programme actuellement testé en Angleterre et au Pays de Galle. A l’instar du SSP, SEED est centré sur le développement des relations et de modèles « pro-sociaux », les entretiens motivationnels, l’application des techniques cognitivo-comportementales à des formes de suivi individuel structuré. Je fais partie d’une équipe universitaire qui évalue le SEED et il apparaît d’emblée que le personnel de probation estime ce programme très pertinent.

Il apparaît de plus en plus que les services de probation se décident à investir davantage dans la formation du personnel et l’amélioration des méthodes de suivi individuel, plutôt que de dépendre de programmes de travail en groupe tels qu’ils ont été développés au Canada, dont la mise en œuvre est complexe et coûteuse. Ces derniers programmes ne seront pas abandonnés, mais il est probable que leur nombre se réduise et qu’ils soient réservés, à terme, à certains publics spécifiques et considérés comme « à plus haut risque ».

Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras

1. Steve Farrall, Repenser le “what works”, 2002.


Qu’est-ce que la « désistance » ?

A la différence des études du “what works ?”, qui analysent les facteurs de risque de récidive et la manière dont le suivi ou le « traitement » parvient à les réduire, le courant de la « désistance » étudie les facteurs de sortie de délinquance, à savoir ce qui amène, même des délinquants « d’habitude » ou multi-récidivistes, à s’en détourner. « Les résultats démontrent que renoncer à une vie déviante n’est pas le résultat d’une décision unique et isolée, mais d’un processus de changement, caractérisé par des vacillations, des ambivalences et des rechutes temporaires mais de moins en moins fréquentes et graves1. » Les quatre principaux facteurs de sortie de délinquance s’avèrent liés à l’âge, aux événements de vie positifs (rencontre amoureuse, naissance d’un enfant, obtention d’un emploi…), au renforcement du « capital humain » (développement de capacités de communication, de gestion des émotions…), et au « capital social » (intégration dans des relations et réseaux sociaux non délinquants, permettant à la personne de développer des compétences personnelles et sa «responsabilité à l’égard des générations futures »…). De ces différentes recherches émanent, depuis quelques années, de nouvelles méthodes d’accompagnement des auteurs d’infraction placés sous probation (en milieu ouvert). Elles peuvent intégrer à la fois un travail motivationnel (entretiens « motivationnels » visant à aider la personne à trouver et renforcer sa propre motivation au changement), un travail sur le « capital humain » (enseignement de techniques aidant les personnes à mieux gérer leurs émotions, à repérer et répondre à leurs besoins autrement que par la délinquance…), et un travail sur le « capital social » (travail d’activation des réseaux favorisant une insertion sociale et le développement de relations non délinquantes). Les principaux auteurs du courant de recherche de la désistance sont Steve Farrel, Shadd Maruna et Fergus Mc Neill.

1. Sonja Snacken, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe, du visible à l’invisible », Ministère Justice/DAP, décembre 2008.