La Cour européenne des droits de l’homme impose à la Roumanie l’adoption de plusieurs mesures concrètes afin d’améliorer, dans un délai de six mois, les conditions de détention. Une décision qui laisse augurer une condamnation de la France.
Surpeuplement des cellules, manque et insalubrité des installations sanitaires, hygiène déplorable, trop courtes promenades, manque de lumière et ventilation insatisfaisante, mauvaise qualité de la nourriture, vétusté du matériel fourni, présence de nuisibles… Autant de motifs dont se sont plaint les requérants dans l’arrêt Rezmives et qui rappellent, à bien des égards, la situation de certains établissements français. Dans cet arrêt, rendu le 25 avril, la Cour de Strasbourg a suivi sa ligne habituelle (15 juil. 2002 Kalashnikov c. Russie), qui veut que « tout prisonnier [soit] détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier [soient] assurés de manière adéquate » (22 oct. 2009, Norbert Sikorski c. Pologne). S’appuyant sur les informations fournies par les requérants et sur les normes et rapports de visites du CPT, les juges strasbourgeois ont vu dans les conditions de détention dénoncées une « épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention » et violait donc l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme prohibant les traitements inhumains et dégradants. Elle a confirmé notamment son exigence de 3 m² de surface au sol par détenu comme norme de référence pour apprécier les conditions de détention en cellule collective (20 oct. 2016, Mursic c. Croatie, Dedans Dehors, n° 94, dec. 2016). Mais la méthode employée par l’arrêt Rezmives est particulière. Les situations dénoncées relevant d’un « problème structurel » (déjà identifié par la Cour dans son arrêt du 24 juil. 2012, Iacov Stanciu c/ Roumanie, et ayant entraîné 93 condamnations de la Roumanie entre 2007 et 2012), la Cour européenne a fait de l’arrêt du 25 avril 2017 un « arrêt pilote » : il s’agit d’indiquer à l’État quelles mesures il doit prendre, dans un délai préfixé, afin d’éviter la condamnation, mais surtout de nouvelles saisines et condamnations dans des affaires comparables. Déjà utilisée avec un certain succès à l’encontre de la Russie (2012), de l’Italie (2013), de la Bulgarie (2015), de la Hongrie (2015), de la Belgique (2016), cette technique est donc également mise en place à l’égard de la Roumanie. Très concrètement, cet État a six mois pour mettre en œuvre des mesures alternatives à la détention provisoire, pour renforcer l’accès aux mesures de libération conditionnelle et de semi-liberté, pour créer un système de probation efficace, pour rénover les lieux de détention existants, et pour mettre en place une voie de recours préventive permettant au juge de surveillance de l’exécution et aux tribunaux de mettre fin à la situation contraire à l’article 3 de la Convention, ainsi qu’une voie de recours compensatoire permettant d’obtenir une indemnisation adéquate en cas de mauvaises conditions matérielles de détention. L’arrêt est également l’occasion pour la Cour de rappeler que la construction de nouvelles places de prison n’est pas une solution durable pour remédier aux situations de surpeuplement carcéral. S’il existe bien en France des voies de recours devant le juge administratif permettant de dénoncer des conditions de détention dégradées, il n’en demeure pas moins que la surpopulation carcérale chronique que connaissent de nombreux établissements, alliée à des conditions de détention peu respectueuses de la dignité humaine, font planer la menace d’un futur arrêt pilote à l’égard de la France, qui contraindra les autorités nationales à prendre les mesures posées par la Cour de Strasbourg. Cette dernière doit en effet se prononcer prochainement sur une vingtaine de requêtes déposées par des personnes détenues à Ducos, Nîmes ou Nuutania, avec le soutien de l’OIP.
— CEDH, 25 avril 2017, Rezmiveș et autres c. Roumanie, n° 61467/12, 39516/13, 48231/13 et 68191/13
par Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université de Caen-Normandie