Après une dizaine de tentatives de suicide, Malek, détenu au centre pénitentiaire de Maubeuge, est admis en hôpital psychiatrique le 16 juin 2010, suite à une ingestion de médicaments. Il y décèdera deux mois plus tard. Sa soeur Souad demande des explications sur une succession de négligences judiciaires, pénitentiaires et sanitaires.
Malek a été incarcéré en Novembre 2009 pour trafic de stupéfiants. Toxicomane et dépressif, il a, dès le début de sa détention au centre pénitentiaire de Maubeuge, manifesté une souffrance psychique extrême, tant auprès de l’équipe médicale, du personnel pénitentiaire que de sa famille. En sept mois, pas moins de dix tentatives de suicide ont été relevées par l’administration pénitentiaire : par ingestion de médicaments, auto-mutilation, tentative de pendaison… Un jour, Malek est retrouvé par les surveillants « avec un lien à nœud coulant confectionné avec une bande de housse de taie d’oreiller relié au plafonnier de la cellule », un autre « la tête recouverte d’un sachet plastique et attaché par le cou ».
Cocktail de médicaments
La réponse des services sanitaires a été principalement médicamenteuse. Malek reçoit un traitement extrêmement lourd avec plus de sept médicaments différents, qu’il ingurgite régulièrement de manière anarchique et compulsive. La pénurie de soignants (un seul psychiatre présent cinq demijournées par semaine et un psychologue cinq jours, pour 440 détenus) empêche d’assurer un suivi de l’intensité requise.
Malek ne bénéficie que d’une consultation psychiatrique par mois et dans le mois précédent son décès, de deux entretiens avec un psychologue.
De son côté, l’administration pénitentiaire s’est contentée de mettre en œuvre des mesures de surveillance supplémentaires.
Elle n’a pas fait droit, le 19 avril 2010, à la demande de Malek de quitter le régime dit « fermé », imposant aux détenus de rester confinés en cellule la majeure partie de la journée, pour le régime dit « ouvert », qui lui aurait donné davantage de liberté de mouvement, un meilleur accès aux activités et réduit son sentiment d’enfermement. La direction de la prison a préféré placer dans la même cellule son frère Nassim, lui aussi détenu dans cet établissement. Nassim était ainsi chargé de surveiller et soutenir son frère. Une expérience traumatisante, alors qu’il n’a été ni formé ni accompagné pour ce type de mission et qu’il a lui-même été diagnostiqué comme souffrant de troubles schizophréniques.
« Je vous en supplie, il est en train de mourir »
Pendant des mois, l’entourage de Malek a assisté impuissant à la dégradation de son état psychique et à son amaigrissement continu. Le 27 avril 2010, son avocat interpelle la direction du centre pénitentiaire, estimant « important d’interroger le service médical sur l’éventualité d’une hospitalisation ». Dans le même temps, la mère de Malek sollicite son placement « dans un établissement de santé pénitentiaire afin de le protéger contre lui-même ». Le 6 mai, sa compagne adresse un nouvel appel au secours à plusieurs autorités en faisant état d’une énième tentative de suicide : « On a frappé à toutes les portes et aucune ne s’est ouverte », s’alarme-t-elle. Le 3 juin, la mère de Malek s’adresse directement au procureur de la République : « On vous demande de faire le nécessaire pour qu’il soit hospitalisé et surveillé. Je vous en supplie, faites quelque chose car il est en train de mourir. Aidez-nous. » Il faudra encore deux tentatives de suicide pour que Malek soit pris en charge à l’hôpital. Le 14 juin, il tente de se pendre et sera réanimé par son frère. Le 15 juin, un surveillant le trouve en train de confectionner une nouvelle corde avec un T-shirt. Le service médical se décide enfin à demander son hospitalisation d’office en raison d’« une fragilité psychologique extrême » et de « plusieurs tentatives de pendaison sur deux à trois jours ».
Ultime tentative de suicide
L’hospitalisation d’office est prononcée par le préfet le 15 juin, jour de la demande. Malek ne sera transporté à l’hôpital que le lendemain en début d’après-midi. Entre temps, il a de nouveau ingéré de façon massive des médicaments, le 16 juin vers midi. Une nouvelle tentative de suicide dont il a informé sa famille par téléphone. Celle-ci alerte immédiatement le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui confirme avoir reçu « deux appels émanant de [sa] femme » et transmis l’information au personnel de surveillance. Selon les services médicaux, cette information n’a été transmise ni à l’unité médicale de la prison ni à l’hôpital psychiatrique.
A son arrivée à l’hôpital vers 15 heures, Malek, « somnolant », est transporté sur un brancard. Pour autant, l’équipe soignante ne réalise pas de bilan sanguin. En revanche, il est décidé de le placer en chambre d’isolement où il est maintenu attaché à son lit par des moyens de contention.
Ses constantes médicales sont prises une heure plus tard. A 18 heures, il est toujours endormi et ne peut pas prendre son repas. Ses constantes sont à nouveau prises deux fois. Mais à aucun moment, une analyse sanguine n’est effectuée pour connaître les causes de son état.
A 20 h 30, soit plus de cinq heures après son admission, dix heures après son ingestion, il est retrouvé sans activité cardiaque ni respiratoire. Les premiers soins de réanimation sont réalisés sur place, le SMUR arrive quelques minutes plus tard et le conduit au service de réanimation. Une activité cardiaque est retrouvée après plusieurs chocs électriques, mais Malek, victime d’une « souffrance cérébrale anoxique majeure », sombre dans un « coma neurovégétatif » irréversible. Il décédera à l’hôpital deux mois plus tard, le 27 août 2010. L’instruction établira bien après que l’état de sédation et de somnolence de Malek était la conséquence d’une imprégnation à dose « potentiellement toxique de benzodiazépines telles que le Xanax, pouvant entraîner un coma toxique qui pouvait avoir l’apparence d’un sommeil profond avant d’aboutir à un arrêt cardio-respiratoire ».
La disparition du dossier médical
Deux mois plus tôt, la sœur de Malek, Souad, avait déposé une première plainte auprès du procureur de la République pour « non assistance à personne en danger » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Sans nouvelle de cette procédure au bout de deux ans et demi, son avocat dépose, en septembre 2012, un complément de plainte et demande la communication de la totalité des pièces du dossier.
Après plusieurs courriers et relances téléphoniques auprès du parquet, un document de quatre pages lui est remis en juillet 2013, soit plus de trois ans après le dépôt de plainte : il s’agit des « réquisitions aux fins de clôture du dossier d’information ». Souad apprend alors
que sa plainte a été classée sans suite dès avril 2011 et que l’instruction pour recherche des
causes de la mort a été clôturée dans le même temps, concluant à « l’absence d’éléments suspects dans les circonstances entourant le décès de Malek ».
Ce n’est qu’en janvier 2014 que son avocat parvient à obtenir les pièces du dossier d’instruction.
Souad découvre alors que le juge d’instruction n’a pas estimé nécessaire de faire procéder à l’audition du personnel de surveillance, du personnel médical, ni du frère de la victime qui ont pu être témoins de la tentative de suicide. Elle constate également que ne figure pas dans la procédure le dossier médical de Malek, dont la communication lui a pourtant été refusée par le centre hospitalier en 2010 en invoquant sa saisine pour les besoins de l’enquête.
Nouvelles plaintes
Ne figure pas non plus au dossier d’instruction un rapport d’inspection sanitaire réalisée à l’hôpital psychiatrique de Maubeuge par l’Agence régionale de santé suite au décès de Malek. Un document que Souad demande à consulter depuis octobre 2011, dont l’accès lui est refusé en vertu d’un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs de décembre 2012. Motif ? Elle n’est pas l’héritière effective du défunt, celui-ci ayant trois enfants mineurs. L’article L.1110- 4 du Code de santé publique permet pourtant la communication d’informations médicales aux ayants droit d’une personne décédée, sans distinction entre ayants droit effectifs ou potentiels.
Le seul espoir pour Souad d’avoir accès à ce document réside maintenant dans l’éventualité que le juge d’instruction en demande communication dans le cadre d’une réouverture du dossier, demandée par son avocat en raison du caractère incomplet de l’enquête. En parallèle, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée.
Anne Chereul