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« Vous trouvez ça normal de violenter un détenu ? »

Vendredi 27 mai à Avignon, un surveillant a été condamné pour violences à l’encontre d’une personne détenue, faux et usage de faux. A bien des égards, cette affaire illustre les rouages qui permettent aux violences de surveillants pénitentiaires de se perpétuer en détention. Récit d’audience.

Sur le banc des accusés ce 27 mai, deux surveillants du centre pénitentiaire d’Avignon-le-Pontet : Monsieur M. comparaît pour violences sur personne détenue, ainsi que pour faux et usage de faux ; sa collègue, Madame O., également pour faux et usage de faux. La personne détenue en question, Monsieur C., est également poursuivie, pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Dans ce dossier, deux versions s’opposent : celle du surveillant – corroborée par sa collègue – qui affirme avoir été tiré par Monsieur C. dans sa cellule avant que celui-ci ne l’agresse, et celle du détenu, qui affirme s’être seulement défendu après que monsieur M. s’est engouffré dans sa cellule muni d’un bâton pour l’attaquer.

« Vous trouvez ça normal d’abuser de votre pouvoir pour violenter un détenu ? », tonne le président du tribunal d’Avignon. D’emblée, il pointe les déclarations mensongères des surveillants. « On constate une différence énorme entre la vidéo et le contenu des CRI [comptes-rendus d’incident]. » Les images de vidéosurveillance ne pouvant être visionnées lors de l’audience, c’est sur leur description détaillée par les enquêteurs que se baseront les débats.

Tout commence à 7h25, lors de l’appel. Monsieur M. et Madame O. ouvrent toutes les portes de la coursive – toutes, sauf celle de Monsieur C. « Pourquoi ?, interroge le président.
— J’ai vu en passant devant la porte que le détenu était debout au fond de sa cellule avec une serviette à la main. J’ai pensé qu’il dissimulait une arme. Il m’a insulté à ce moment-là aussi donc j’ai décidé de ne pas lui ouvrir pour ne pas prendre de risque, répond le surveillant.
— Aucun élément matériel ne permet d’attester la présence d’une arme dans la cellule de Monsieur C. De plus, sur la vidéo de surveillance, on voit que vous ne marquez aucun temps d’arrêt devant sa cellule. » Silence du surveillant.
« Donc vous n’ouvrez pas sa cellule et vous redescendez dans le bureau de surveillance et vous validez l’appel. Malgré le fait que vous n’ayez pas ouvert à Monsieur C., vous le marquez comme présent ? Malgré le fait que vous pensiez qu’il dissimule une arme dans sa cellule et qu’il vient de vous insulter, vous ne déclarez l’incident à personne ? » Le surveillant acquiesce.

« Vous vous êtes relevé pour repartir au combat »

Les vidéos montrent ensuite le surveillant rejoindre la coursive, toujours accompagné de sa collègue. « Est-ce que vous voyez au moment de remonter que votre collègue prend une barre de 50cm et la cache sous son gilet pare-balle ? » demande le président à Madame O. « Je vois dépasser un objet dissimulé sous son gilet, il y a un pas de vis en métal qui dépasse », admet cette dernière.

Le surveillant ouvre alors la cellule du détenu. « Il m’a tiré à l’intérieur. Il m’a attrapé par le bas du gilet », affirme-t-il face au tribunal. « Les gendarmes, quand ils décrivent la vidéosurveillance, vous voient entrer de vous-même dans la cellule », rétorque le président, avant de s’adresser à Madame O. « Madame, vous êtes restée devant, un peu comme pour protéger la cellule. »

Monsieur C. décrit alors la scène de l’agression. « Le surveillant est rentré, la porte s’est refermée derrière lui, il est arrivé sur moi. J’étais au fond de ma cellule. Il m’a demandé ce que je cachais sous ma serviette au bras, je lui ai dit que je ne cachais rien et j’ai lâché ma serviette. Puis j’ai vu qu’il avait coincé une barre avec un bout en métal qui dépassait sous son gilet. Il est venu vers moi et m’a étranglé. Ça a duré longtemps, j’ai commencé à voir plein de petits points blancs, j’allais perdre connaissance. Moi ce qui m’a fait le plus de mal, c’est qu’ils rigolaient derrière la porte. J’avais l’impression d’être dans un combat de rue. Je devais me défendre face à un agresseur, pas un surveillant à ce moment-là, explique le détenu. Je me suis débattu et je l’ai repoussé. On est tombé sur la porte de cellule, qui s’est ouverte, et on s’est retrouvé sur la coursive. » Les images de vidéosurveillances de la coursive montrent alors que le détenu, qui a pris le dessus, en profite pour asséner deux coups de pieds au surveillant à terre. Au tour du premier assesseur d’interroger le principal mis en cause.

« Monsieur M., pourquoi être remonté armé ?
— Je n’ai pas su gérer la situation. Il a insulté ma mère, c’était l’insulte de trop, trop forte », justifie le surveillant. Monsieur C., s’il reconnaît avoir insulté le surveillant la veille, nie toute insulte le jour même. L’assesseur reprend : « Quel est le protocole quand vous subissez des insultes ?
— On le signale au chef de bâtiment.
— Pourquoi n’avez-vous pas fait ça alors ?
— Le stress, le cumul des heures, le profil du détenu aussi. J’ai mal agi », reconnaît enfin l’agent.
« Sur la caméra, on voit que vous êtes relevé par votre collègue et d’autres détenus. Vous vous êtes relevé pour repartir au combat. On voit sur la vidéo que vous avez les yeux exorbités », reprend le président. « Oui, parce qu’il m’a tiré la langue à ce moment-là, donc je ne pouvais pas me calmer », répond le surveillant. « Quand on lit le dossier objectivement on a vraiment l’impression d’un règlement de compte », résume le président.
Alors que le surveillant se défend d’avoir prémédité son acte, le magistrat s’emporte : « Quand on se saisit d’une barre rigide, ce n’est pas pour aller offrir des fleurs, Monsieur ! De plus quand on lit les CRI, aucun ne correspond à la réalité » souligne-t-il, avant de s’adresser à Madame O. « Vous dites en garde à vue que si c’était à refaire, vous le referiez.
— C’est comme ça, on se soutient entre nous, sinon on ne tiendrait pas. J’ai écrit mon CRI de manière à ne pas enfoncer mon collègue. Je reconnais que je n’aurai pas dû faire ça. »

Dans sa plaidoirie, l’avocate de Monsieur C. insiste sur le caractère prémédité de ces violences, « gravissimes ». Cette affaire « est une atteinte à ce qui fait de notre État un État de droit, assène-t-elle. On voit un surveillant arriver avec une barre rigide, et un autre surveillant rester et regarder cela. Ils se sont saisis de leur pouvoir pour commettre des violences ». Elle dénoncera les obstacles rencontrés par Monsieur C. pour faire valoir ses droits, soulignant que ce dernier n’avait pu voir un médecin que dix-huit jours après les faits, l’empêchant de faire constater les éventuelles traces des violences subies. « S’il n’y avait pas eu la vidéo, mon client aurait été le seul à comparaître aujourd’hui ! », souligne- t-elle. Dénonçant le caractère systémique des comptes-rendus d’incident frauduleux rédigés par les agents, elle s’attarde sur le poids de ces écrits professionnels dans les procédures disciplinaires et leurs suites pénales, et tente de convaincre le tribunal de qualifier ces faux de faux en écriture publique.

Un argument balayé par le tribunal, qui condamnera finalement Monsieur M. à dix-huit mois de prison avec sursis pour violence aggravée et faux en écriture et Madame O. à huit mois avec sursis pour faux en écriture, avec dispense d’inscription au casier judiciaire B2. Monsieur C., lui, écopera de six mois de prison, ferme pour celui-ci.

Par Charline Becker, Zélie M. et Laure Anelli

Publié dans Dedans Dehors n°115, juin 2022.