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Aux Baumettes, un mouvement collectif réprimé dans la violence

Fin janvier, un mouvement de protestation collectif a été sévèrement réprimé à la prison des Baumettes. Commissions disciplinaires expéditives, droits de la défense non respectés, recours à la violence à l’encontre de personnes détenues… les dérives sont nombreuses.

Samedi 28 janvier, plusieurs dizaines de personnes détenues ont entamé un mouvement de protestation à la maison d’arrêt des Baumettes, bloquant les cours de promenade et refusant de réintégrer leurs cellules. Elles dénonçaient d’abord les conditions de détention, et notamment la surpopulation – qui atteint 173% au quartier hommes – ainsi que l’absence de chauffage dans les cellules. Les délais excessifs de livraison des cantines, « de trois semaines » selon une personne détenue, comme le manque de viande, notamment hallal, faisaient aussi partie des motifs de protestation. Outre l’augmentation du niveau de brouillage des téléphones portables, les personnes détenues dénonçaient le coût, très élevé, des communications téléphoniques depuis les cabines.

Les équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris) ont rapidement été dépêchées sur place. Deux détenus ont été immédiatement transférés et huit autres placés de manière préventive au quartier disciplinaire. Les commissions de discipline se sont tenues dès le lundi suivant, dans des conditions portant atteinte aux droits de la défense.
En effet, certains dossiers n’auraient tout d’abord pas été communiqués en avance aux avocats. « Faute de temps, la commission de discipline était mal préparée, personne n’avait vu les dossiers en amont », confirme une source. En dépit des demandes répétées des personnes détenues comme de leurs conseils, aucun enregistrement vidéo n’aurait de plus été visionné durant ces commissions. « Un surveillant les avait vus et les décrivait, mais malgré nos demandes, l’administration ne les a jamais produits », dénonce un avocat. « Tous les détenus déférés en commission de discipline niaient être à l’origine du blocage, certains affirmaient avoir été en retrait dans les cours, mais rien n’a été pris en compte », complète un autre. « Ils disaient avoir été pris au hasard, certains expliquant qu’ils avaient participé à ce mouvement un peu contraints parce qu’il n’était pas envisageable de refuser de bloquer avec les autres », confirme à ce propos une source médicale.

In fine, les huit personnes convoquées en commission de discipline ont toutes été condamnées à vingt jours de quartier disciplinaire, « sans aucune précision sur les responsabilités de chacun et les agissements qui leur étaient reprochés, poursuit un avocat. Ces sanctions apparaissent comme collectives, au mépris du principe d’individualisation des peines, elles ne reposent sur aucun élément de preuve, et sont en tout état de cause disproportionnées ».

Plus inquiétant encore, plusieurs faits de violences commis par des surveillants pénitentiaires semblent avoir accompagné la répression de ce mouvement collectif. D’après une source médicale, un détenu a eu le bras en attelle à la suite de l’intervention des Eris. En outre, « un détenu que je défendais a été frappé par des surveillants, sous mes yeux, juste avant la commission de discipline, rapporte par ailleurs un avocat. Il s’emportait pour qu’on lui rende ses chaussures avant la commission, et il a été frappé à plusieurs reprises, avant d’être reconduit de force dans sa cellule, où les coups ont selon lui continué. Il avait de nombreuses plaies au visage lorsqu’il a finalement comparu devant la commission de discipline ! » Les faits, dénoncés par l’avocat, n’ont semble-t-il pas été pris au sérieux par le président de la commission, ce dernier s’étant contenté d’indiquer que le détenu s’était jeté à terre. « Ce qui est au demeurant exact mais qui ne change rien au fait qu’il a aussi été frappé », s’exclame son avocat. Compte-tenu du climat de tension dans lequel cette audience s’est déroulée, la personne détenue n’aurait par ailleurs pas été autorisée à entrer dans la salle et aurait comparu depuis le couloir, dans l’encadrement de la porte. Son avocat a immédiatement demandé à l’établissement de conserver les enregistrements vidéo en vue d’une plainte contre les surveillants – une demande réitérée quelques jours plus tard par l’Observatoire international des prisons. Aucune réponse n’y a à ce jour été apportée, et le prisonnier a entre-temps été transféré à la prison de Grasse.

Par Charline Becker

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ?