Dans un jugement du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Nancy censure la décision du directeur du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville de ne plus faire siéger Alain G., assesseur extérieur, en commission de discipline, jugeant cette mise à l’écart arbitraire. Par cette décision, il apporte des garanties à l’indépendance de la fonction d’assesseur extérieur qui, si elle permet un regard de la société civile sur l’exercice du pouvoir disciplinaire en prison, ne suffit cependant pas à corriger le manque d’impartialité de l’instance disciplinaire.
Siégeant en qualité d’assesseur extérieur au sein des commissions de discipline de plusieurs établissements pénitentiaires, Alain G. n’était plus sollicité pour assurer cette fonction à Nancy-Maxéville depuis septembre 2012. Il ne recevait plus les calendriers l’informant de la tenue des commissions, sans pour autant avoir été averti par la direction d’une décision de suspension le concernant. S’étonnant de cette situation, Alain G. s’était adressé, fin 2013, au directeur de l’établissement et à la directrice interrégionale des services pénitentiaires afin de comprendre les raisons de sa mise à l’écart. Ce n’est que six mois plus tard, en juillet 2014, après avoir demandé une nouvelle fois sa réinscription sur les tableaux de roulement des assesseurs extérieurs qu’il avait reçu une réponse du directeur. Dans un courrier, ce dernier expliquait que le choix, parmi les assesseurs habilités par l’autorité judiciaire, de ceux appelés à siéger en commission de discipline relevait de son pouvoir discrétionnaire. Et qu’il n’avait pas à communiquer à celui-ci les motifs pour lesquels il ne l’avait pas invité à siéger depuis 18 mois. Estimant qu’en agissant ainsi, le chef d’établissement portait atteinte à l’indépendance attachée à la fonction d’assesseur extérieur, Alain G. a saisi le tribunal administratif avec le soutien de l’OIP. Dans une décision du 12 mai 2015, le tribunal a donc prononcé l’annulation de la décision du directeur d’écarter M. G. de la commission de discipline, soulignant que l’administration « ne justifie pas en défense des raisons qui auraient conduit le chef d’établissement à ne plus avoir recours à ses service » et que, dans ces conditions, le refus de faire siéger l’intéressé en commission de discipline était « discriminatoire ».
Les commissions de discipline décident des sanctions applicables aux personnes détenues qui ont commis une faute disciplinaire pendant leur détention. Elles sont composées du directeur de la prison, qui les préside, et de deux membres assesseurs, dont « au moins un doit être un membre extérieur à l’administration pénitentiaire » comme le précise la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. La fonction d’assesseur est ainsi accessible aux citoyens « qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires », afin de permettre un « regard de la société civile » sur les procédures disciplinaires, d’après une circulaire du 9 juin 2011. Afin de garantir l’indépendance des assesseurs vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, leur habilitation pour siéger en commission de discipline a été confiée au président du tribunal de grande instance. Le jugement du tribunal administratif de Nancy vient ainsi rappeler opportunément que l’administration ne peut pas, sans motif valable, refuser que certains assesseurs extérieurs habilités siègent en commission de discipline. Et le rappel est loin d’être inutile. Quelques mois après l’entrée en fonction des premiers assesseurs extérieurs, certains d’entre eux se plaignaient déjà dans la presse du pouvoir discrétionnaire dont disposait les directeurs d’établissement dans le choix des assesseurs appelés à siéger en commission.
L’OIP-SF entend cependant préciser que les garanties ainsi apportées au principe d’indépendance des assesseurs extérieurs ne sauraient prémunir la procédure disciplinaire des critiques qui la visent depuis des années, s’agissant notamment de son défaut d’impartialité. Déjà, dans un rapport paru en 2000, la commission Canivet soulignait que « sous l’angle de la procédure, les limites de ce ‘‘régime disciplinaire’’ apparaissent plus évidentes encore, en ce qu’elles méconnaissent les règles du procès équitable, de l’indépendance et de l’impartialité de l’instance disciplinaire ». A cet égard, la création d’un assesseur extérieur, dont la voix n’est d’ailleurs que consultative, n’a pas changé la donne. Comme le relève le Professeur Martine Herzog-Evans, « la partialité présumée de la commission est de plus en plus couramment invoquée dans les recours », au regard notamment de ce que le directeur d’établissement « réunit une série assez stupéfiante de fonctions antagonistes » : c’est lui qui décide des poursuites, qui prononce la sanction au sein d’une commission dont il a désigné les membres, qui dispose du pouvoir d’aménager la sanction prononcée et qui, en tant que membre de droit de la Commission d’application des peines, peut influencer les décisions du juge d’application des peines en matière de crédits de réduction de peine. Le directeur peut en outre être juge et partie, par exemple lorsqu’une personne détenue fait l’objet de poursuites disciplinaires pour avoir proféré des insultes à son encontre. Ce manque d’impartialité structurel de la procédure disciplinaire est d’autant plus critiquable que doit être soulignée la gravité des sanctions encourues qui peuvent aller jusqu’à 30 jours de quartier disciplinaire, dans des conditions matérielles très difficiles dans la plupart des établissements pénitentiaires français.