Dans un arrêt du 28 juillet 2017 rendu à propos de la prison de Fresnes, le Conseil d’État confirme ne pas pouvoir agir pour faire cesser les mauvais traitements résultant de conditions de détention contraires à la dignité humaine dans les prisons vétustes et surpeuplées. Et ouvre la voie à une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.
À la suite du Contrôleur général des lieux de privation [1], du Comité européen de prévention de la torture du Conseil de l’Europe [2] et du tribunal administratif de Melun [3], le Conseil d’État constate dans un arrêt du 28 juillet 2017 que les conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de Fresnes « sont de nature tant à porter atteinte à la vie privée des détenus [ainsi] qu’à les exposer à un traitement inhumain et dégradant ».
En dépit de ce constat, il rejette la requête par laquelle la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) et plusieurs autres organisations [4] l’avaient saisi en référé pour réclamer la mise en œuvre un plan d’urgence au sein de l’établissement. Celles-ci réclamaient en effet l’adoption de mesures destinées à lutter contre la surpopulation alarmante qui affecte la maison d’arrêt, notamment par l’attribution aux services judiciaires et pénitentiaires de moyens humains, financiers et matériels supplémentaires permettant le développement des aménagements de peine. Mais aussi le lancement d’un vaste plan de rénovation afin de remédier à la vétusté et à la non-conformité des locaux. Un plan d’urgence que le juge des référés du tribunal administratif de Melun s’était refusé d’ordonner en première instance, se contentant de quelques mesures insuffisantes pour remédier à l’indignité des conditions de détention.
Un juge des référés aux pouvoirs entravés
Par le rejet de ces demandes, le Conseil d’État confirme sa lecture particulièrement restrictive de l’office du juge des référés en estimant que ce dernier ne peut prescrire que des mesures susceptibles d’agir très rapidement sur la situation. Ordonner les « lourds travaux » et les « mesures structurelles » réclamés par l’OIP ne rentrait donc pas, selon lui, dans le cadre de ses pouvoirs.
Par ailleurs, pour pouvoir agir, le juge doit être saisi d’une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Or pour le Conseil d’État, le caractère manifestement illégal de cette atteinte « en tenant compte des moyens de l’autorité administrative compétente et des mesures (…) déjà prises ». S’il constate des conditions de vie en cellule déplorables (« manque d’intimité », « promiscuité », « présence de nuisibles », « manque de luminosité », humidité », etc.), le Conseil d’État ne juge cependant pas que cette atteinte portée à la dignité des détenus soit manifestement illégale. En effet, l’administration pénitentiaire (AP), contrainte d’accueillir les personnes qui lui sont confiées, ne disposerait selon lui d’aucun moyen d’action contre la surpopulation. C’est cependant oublier que l’administration n’est pas totalement démunie pour agir sur le taux d’occupation d’un établissement puisqu’elle peut notamment favoriser les sorties en accordant plus de moyens aux aménagements de peine. Par ailleurs, le fait d’entasser 3 détenus dans des cellules de 10m² 22 heures sur 24 n’est donc pas considéré comme une atteinte manifestement illégale, puisque « les mesures prises ont permis d’éviter l’installation de matelas au sol en superposant trois lits ».
De même, « compte tenu des moyens dont dispose, à bref délai, le chef d’établissement et des mesures qu’il a déjà engagées » la situation indigne des parloirs ou des cours de promenades de la maison d’arrêt de Fresnes ne serait pas constitutive, elle non plus, d’une atteinte manifestement illégale à un droit fondamental.
La Cour européenne appelée à pallier l’impuissance de la justice française
Indiscutablement, l’approche adoptée par le Conseil d’État contrevient aux exigences du droit à un recours effectif garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Lorsqu’il y a surpopulation, en effet, la Cour européenne (CEDH) exige de la juridiction interne qu’elle puisse ordonner « des mesures plus générales propres à résoudre les problèmes de violations massives et simultanées de droits des détenus »[5]. Par ailleurs, l’État est « tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée », quels que soient les obstacles ou contraintes matériels et financiers qu’il rencontre[6]. Et les juges nationaux doivent contraindre l’administration au respect de cette obligation.
Prenant acte de la décision qui vient d’être rendue par le Conseil d’État, l’OIP incitera et aidera donc les personnes détenues à la maison d’arrêt de Fresnes à se tourner désormais vers la CEDH pour obtenir le respect de leurs droits fondamentaux. Des requêtes qui viendront s’ajouter aux dizaines de recours déjà déposés avec le soutien de l’association par des personnes détenues dans les prisons surpeuplées de Nîmes, Ducos, Nuutania ou Nice. Avec, comme objectif, l’obtention d’un arrêt-pilote par lequel la France pourrait être incitée à promouvoir les mesures alternatives à la détention, réorienter sa politique pénale vers un moindre recours à l’enfermement et mettre en place un recours effectif contre les mauvaises conditions de détention. Ainsi que la Cour l’a exigé ces dernières années de l’Italie, la Bulgarie, la Russie, la Pologne, la Roumanie et la Belgique.
Contact presse : Nicolas Ferran – 01 44 52 88 02 – 07 60 49 19 96
[1] Recommandations en urgence du 18 novembre 2016.
[2] Rapport au gouvernement français du 7 avril 2017.
[3] TA de Melun, 7 octobre 2016.
[4] Ordres des avocats des barreaux de Paris, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, des Yvelines et des Hauts-de-Seine ; Syndicat des avocats de France (SAF), Union des jeunes avocats du barreau du Val-de-Marne et de Paris ; Fédération nationale de l’Union des jeunes avocats (FNUJA) ; Association pour la défense des droits des détenu (A3D).
[5] 21 mai 2015, Yengo c/ France, req. n° 50494/12.
[6] Cour EDH, 1er juin 2006, Mamedova c. Russie, n° 7064/05.