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Détenus fouillés à nu au centre de détention de Bapaume : la direction résiste à l’application de la loi pénitentiaire

Alors que la loi pénitentiaire limite le recours à la pratique humiliante de la fouille corporelle intégrale des détenus (à nu), le directeur de la prison de Bapaume avait édicté le 23 mai 2011 une note interne instituant des fouilles à nu systématiques dans certains secteurs de l'établissement. Sous la pression d'une procédure en référé engagée par l'OIP, l'administration pénitentiaire a abrogé cette note quelques jours avant l'audience qui s'est tenue le 11 août 2011 devant le tribunal administratif de Lille. Néanmoins, l'OIP s'inquiète d'une possible persistance de ces pratiques au sein de l'établissement .

Le 23 mai 2011, le directeur du centre de détention de Bapaume adoptait une note annonçant : « toute personne détenue ayant eu accès aux secteurs suivants fera l’objet d’une mesure de fouille individuelle intégrale […] en raison des incidents relevés sur ces secteurs : ateliers/formation; parloirs; vestiaire suite à un retour de permission de sortir ou dans le cadre d’une extraction judiciaire ou médicale ». D’après des témoignages adressés à l’OIP, cette note venait officialiser une pratique déjà en cours dans l’établissement depuis plusieurs mois.

Plusieurs personnes détenues ont manifesté leur incompréhension devant ce recours à des fouilles intégrales systématiques et demandé l’application des dispositions de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui en encadrent l’usage. Certaines d’entre elles ont même tenté de ne pas se déshabiller entièrement lors des fouilles : elles ont été menacées de sanctions disciplinaires, la note avertissant que « tout refus de se soumettre à une mesure de fouille constitue une faute disciplinaire ».

Pourtant ces demandes étaient fondées. En effet, comme l’a expliqué, le 27 avril 2010, Monsieur Jean-Baptiste Mattei, représentant permanent de la France auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à Genève, lors de son audition par le Comité contre la torture de l’ONU : depuis la loi pénitentiaire et « en application de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, leur caractère systématique est désormais proscrit et elles n’ont lieu qu’en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux ».

En effet, l’article 57 de cette loi pose un principe de proportionnalité qui exige que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux nécessités de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues ». En outre, il impose un principe de subsidiarité qui ne permet les fouilles intégrales que « si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». Ainsi, en prévoyant la mise à nu systématique de tous les détenus, au seul motif qu’ils ont eu accès à un lieu donné dans la détention, la note du directeur du centre de détention de Bapaume était manifestement illégale.

L’OIP a donc déposé un recours en référé-suspension contre cette note. Suite au dépôt de ce recours, l’administration pénitentiaire a pris la décision d’abroger, le 5 août 2011, la note litigieuse. Et logiquement, le juge des référés du Tribunal administratif de Lille a estimé dans son ordonnance du 16 août 2011, que la demande de suspension ne revêtait plus un caractère d’urgence dans la mesure où cette abrogation « a nécessairement mis fin à l’autorisation donnée aux agents du centre de détention de pratiquer des fouilles à nu systématiques de tous les détenus ».

Pour autant, l’OIP s’inquiète d’une possible poursuite des fouilles corporelles intégrales systématiques au centre de détention de Bapaume et restera sur cette question très vigilant.

En effet, tout en informant le juge des référés de l’abrogation de la note attaquée, le Ministre de la Justice affirmait dans le même temps, dans son mémoire en défense, la nécessité d’avoir recours à un régime de fouilles corporelles systématique et généralisé à l’ensemble des détenus sortant d’un parloir : « il serait illusoire de ne fouiller que certaines personnes détenues qu’on soupçonnerait plus spécifiquement de tenter de faire entrer des objets prohibés » au motif que les autres modalités de fouilles et de détection seraient insuffisants pour garantir la sécurité de l’établissement. Une conviction bien mal étayée par l’énumération de douze incidents survenus entre les mois de janvier et août 2011, au cours desquels ont été trouvés des objets d’une taille certaine (bouteille d’alcool, nourriture, appareil photo jetable, téléphone portable) et de surcroît pour la plupart en dehors d’une fouille à nu (portique de sécurité, fouille par palpation..)

Interrogée le 17 août 2011 par l’OIP sur la pratique actuelle et les consignes données au personnel s’agissant des fouilles à nu, la direction du centre de détention de Bapaume n’a pas souhaité répondre. Pourtant certaines familles ont fait part à l’OIP, après l’abrogation de la note, de la persistance de cette pratique à l’égard de leur proche détenu.

L’OIP rappelle :

– L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

– L’article 57 de la Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 qui dispose désormais que : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. »

– L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme EL SHENNAWY c/ FRANCE du 20 janvier 2011 : « des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associées et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui […], peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus. »