Au mois de septembre 2016, trente-quatre détenus de Châteaudun (Eure-et-Loir) étaient en attente de consultations et de soins en ophtalmologie depuis des mois, voire des années. En cause : l’absence d’intervention de médecin ophtalmologiste au centre de détention ou à son hôpital de rattachement, une pénurie de soignants dans le département et l’impossibilité de pallier cette carence par des permissions de sortir pour raison médicale. Une situation parfaitement connue des autorités, mais qui semble loin d’être réglée.
« Je demande, en vain depuis vingt-sept mois, un rendez-vous avec un ophtalmologue. Je ne vois plus assez pour lire et pour écrire », signale à l’OIP au mois de juin 2016 Manuel, détenu au centre de détention (CD) de Châteaudun. Saisie par l’OIP, l’unité sanitaire confirme le 23 août 2016 avoir « une liste de trente-quatre personnes en attente de consultations », dont « certains depuis janvier 2014 ». Parmi ces patients en attente, « quatre diabétiques » pour lesquels un fond d’œil doit être pratiqué « tous les ans ou tous les deux ans». Manuel « va devoir encore attendre malheureusement », conclut l’unité sanitaire. En effet, aucune consultation ophtalmologique n’est assurée par l’hôpital de Châteaudun auquel l’unité sanitaire de la prison est rattachée. A l’hôpital de Chartres, seul un ophtalmologue intervient, « à mi-temps ». Et hors du département, à Orléans, où « les praticiens ne sont pas nombreux » les consultations s’obtiennent « au goutte à goutte : deux consultations en 2015 et quatre consultations depuis début 2016 ». Les besoins ne sont pourtant pas immenses. L’unité sanitaire estime qu’« un quota d’une consultation par mois aurait déjà permis de diminuer la file d’attente depuis 2014 », et que, pour le fonctionnement courant du service, « deux consultations par mois » seraient « l’idéal ».
« L’ARS [(Agence régionale de santé)] est prévenue, les préfets sont prévenus, nous sommes toujours à la recherche d’une solution » explique l’unité sanitaire. Contactée par l’OIP, l’ARS confirme être au courant d’une situation « à laquelle il est très compliqué de remédier » car le département « connait une grave pénurie médicale » en généralistes et spécialistes. Certaines pistes sont explorées, comme la possibilité de faire intervenir une orthoptiste, pouvant réaliser les bilans d’acuité visuelle. Une solution toujours pas effective en septembre 2016, et qui ne résoudrait en rien la question « des soins en cas de maladie ophtalmique », précise l’ARS, mais permettrait de régler une bonne partie du problème, 80% des patients en attente présentant, selon l’unité sanitaire, « des diminutions d’acuité visuelle simples ». Un « projet de télémédecine dans quelques spécialités dont l’ophtalmologie », concernant « certains établissements pénitentiaires du Centre Val-de-Loire » dont Châteaudun, n’a à ce jour, selon l’unité sanitaire, « toujours pas abouti ».
La solution de la permission de sortir pour raison médicale, si elle ne concerne que les détenus qui y sont éligibles[1], permettrait à ceux-ci de se rendre à des consultations de ville ou dans des hôpitaux des départements voisins, désengorgeant ainsi la liste d’attente au sein de la prison. Sollicité fin septembre 2016 par l’OIP, la vice-présidente chargée de l’application des peines du TGI de Chartres, dont dépend le CD de Châteaudun, répond ne pas avoir été saisie de demandes de permissions « ayant pour motif médical la nécessité de bénéficier de soins ou de consultations ophtalmologiques », ni avoir été saisie par des détenus « faisant état de cette difficulté ». Pourtant, il y a une dizaine d’années, le service de l’application des peines accordait régulièrement ce type de permissions. L’unité sanitaire explique avoir cessé de le solliciter, les juges précédents n’étant « malheureusement pas favorables » à cette mesure. Une rencontre entre unité sanitaire et service de l’application des peines devrait être prochainement organisée.
Dans un rapport conjoint rendu public en mai dernier, les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ), dressent un état des lieux accablant de la prise en charge sanitaire des personnes détenues. Elles pointent notamment une « offre de soins est très disparate et encore insuffisante » et recommandent une utilisation plus large des permissions de sortie pour raison médicale d’une journée ainsi que « de modifier la norme pour permettre l’octroi par le juge de permissions de sortie de plusieurs jours pour suivre des soins ».
[1] Seules les personnes condamnées peuvent bénéficier d’une permission de sortir, sous certaines conditions. Cf. Articles 723-3 et D.142 à 147 du Code de procédure pénale