Ce 4 avril, l’ancien sénateur Jean-René Lecerf (LR), président de la commission sur le Livre blanc pénitentiaire, a remis au garde des Sceaux son rapport. Une feuille de route censée, dans un grand esprit de consensus, guider la politique de demain.
Sans grande surprise, le ministre a félicité le président Lecerf du travail accompli, salué la richesse des échanges et la qualité des débats tenus, sans clivages partisans ; tandis que les membres de la commission découvraient, en même temps que la presse, le contenu du Livre blanc. Car, dans cette grande messe, les organisateurs n’ont pas jugé bon d’associer les membres à la rédaction et aux observations finales. Sans doute par crainte de remettre en question la belle unité affichée.
Car ce prétendu consensus porte en réalité des orientations que les uns et les autres décriaient en 2012, lorsque le gouvernement Fillon III avait tenté la même approche : programmer la construction de 20 000 places de prison avant l’élection présidentielle. A l’époque, en accord avec les recommandations du Conseil de l’Europe, Jean-René Lecerf et le groupe socialiste dénonçaient une fuite en avant. Et rappelaient qu’en augmentant le parc, on « inverse nécessairement les priorités, la quasi-totalité des moyens allant à l’investissement ; au détriment, bien évidemment, des conseillers d’insertion et de probation », alors que le développement des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine doit constituer « la clé de voûte » de la politique pénale.
Que font-ils aujourd’hui ? Ils valident la construction de plus de 17 000 places coûtant plus de 3,7 milliards d’euros (hors acquisitions foncières, dépenses de personnels et budget de fonctionnement), sans un mot sur les moyens à allouer aux alternatives et aux aménagements de peine. Et, dès lors, ils entérinent l’incarcération des personnes condamnées à de courtes peines – qui représentent près de la moitié de la population des maisons d’arrêt. Autant de personnes qui pourraient plus humainement et utilement bénéficier d’alternatives ou d’aménagements de peine. D’ailleurs, Jean-René Lecerf le reconnaît : « Il est acquis qu’il est socialement plus risqué de ne pas aménager une peine que de l’exécuter en milieu ouvert. » Et d’ajouter que, cependant, « il peut être médiatiquement plus dangereux pour l’institution judiciaire et pour les juges d’avoir le courage de prendre des décisions guidées par la raison ». C’est donc ainsi que l’on renonce. Et que l’on accepte de maintenir les personnes incarcérées dans des conditions attentatoires à la dignité.
« Face à un problème si grave et si ancien, la procrastination et le déni de réalité ne me [paraissent] désormais plus une option » déclare Jean-Jacques Urvoas. Pourtant, le ministre et le Livre blanc n’ouvrent des perspectives qu’à long terme : résorber la surpopulation carcérale et atteindre l’encellulement individuel à l’issue d’un nouveau programme de construction, soit dans huit ou dix ans. D’ici là, on enchaînera les moratoires sur l’application du droit fondamental à ne pas subir l’insoutenable promiscuité en cellule, alors qu’aménager les courtes peines et privilégier les alternatives permettraient, à moindre coût et à court terme, de mettre un terme à la surpopulation tout en favorisant la prévention de la récidive.
Pire, enfin : le garde des Sceaux et les auteurs du Livre blanc n’envisagent aucune piste concrète pour limiter l’inflation carcérale. En lieu et place d’une réforme de la politique pénale, des mesures incantatoires : « dynamiser la recherche d’alternatives à l’incarcération pour les personnes prévenues » et « réguler les flux d’incarcération afin de respecter les capacités d’accueil des nouveaux établissements ». Non seulement la perspective est limitée aux nouvelles maisons d’arrêt appelées à sortir de terre au plus tôt en 2025, mais rien n’est indiqué sur la manière d’y parvenir. Tout au plus le rapport évoque-t-il la nécessité de concertation entre les autorités judiciaires et pénitentiaires pour éviter un engorgement. Soit rien d’autre que ce qu’essayent d’impulser certaines directions d’établissement comme Villepinte face au record de surpopulation actuel. Sans succès évidemment, car sans mécanisme contraignant à un moindre recours à l’emprisonnement et sans signal politique fort, la machine ne s’arrêtera pas. Et encore moins si l’on ne met pas les moyens humains et financiers à disposition de solutions alternatives à l’incarcération.
Qualifiée d’« ambitieuse » par le ministre, la politique pénitentiaire de demain a tous les traits de celle d’hier. Une continuité qui ne permettra pas de sortir de l’impasse.
- Lire le point de vue d’André Valloton, expert au Conseil de l’Europe pour qui la seule réponse valable serait une nouvelle politique pénale.