À Toulouse, un prisonnier identifié comme « vulnérable » a été placé au quartier arrivants, utilisé comme quartier d’isolement par défaut. D’après un document transmis à l’OIP, le maintien dans ce quartier des personnes qui y sont envoyées pour assurer leur sécurité semble conditionné au respect d’une « charte de bon comportement ». Un outil para-disciplinaire qui échappe à tout cadre juridique.
En septembre 2018, la mère d’un détenu écrit à l’OIP : son fils, incarcéré à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses (Haute-Garonne) depuis 2015 et identifié comme « vulnérable », a été transféré au quartier arrivants. Visant à éviter le choc de l’incarcération, les quartiers arrivants sont destinés aux personnes qui viennent de recevoir leur numéro d’écrou. Pendant cette période d’ « observation » de quelques jours, voire quelques semaines, les nouveaux détenus sont placés dans un quartier spécifique où l’encellulement individuel est censé être la norme, et ils doivent bénéficier d’un accompagnement adapté. À Seysses cependant, ce quartier est en partie détourné de son usage premier pour pallier la surpopulation du quartier d’isolement et les problèmes de sécurité.
Plus étonnant : les détenus vulnérables envoyés au quartier arrivants doivent signer une « charte de bon comportement[1] ». On peut y lire une liste d’engagements auxquels il est demandé de souscrire tels que « adopter un comportement respectueux envers le personnel », « ne pas détenir d’objets et/ou substance prohibés ». Mais aussi « accepter d’être doublé ou triplé en cellule » ou « accepter un changement d’affectation du quartier arrivants vers le quartier sortants ou inversement ». La charte se conclut par un avertissement : « Tout manquement aux obligations ci-dessus entraînera mon affection aux quartiers maison d’arrêt hommes 1 ou 2 sans délai. » Autrement dit : un écart de conduite ou un refus de voir ses conditions de détention se dégrader peut entraîner, pour ces personnes pourtant identifiées comme vulnérables, une réaffectation en détention « normale » – et donc une mise en danger.
L’administration pénitentiaire entretient ici une confusion entre gestion de l’ordre et devoir de protection, ce dernier étant pourtant une obligation qui ne saurait être soumise à conditions. Difficile en outre de ne pas voir dans ce règlement ad hoc un outil disciplinaire qui échappe à tout cadre juridique et rend donc impossible tout recours pour les personnes qui y sont soumises. En 2018, la charte a d’ailleurs attiré l’attention du Contrôle des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui a interpellé la direction de la prison à ce sujet. À ce jour, cette dernière n’a pas répondu à ses sollicitations – ni à celles de l’OIP.
Doublement victimes
Lors de sa première visite de Seysses en 2010, le CGLPL avait déjà remarqué un usage détourné du quartier arrivants et l’affectation de détenus dans ce quartier « en raison de menaces pour leur sécurité qui les rendraient ‘’indésirables’’ en détention ou du fait de leur vulnérabilité liée à leur âge ou à la nature de l’infraction commise ». Cette pratique n’est pas isolée. Dans d’autres prisons, comme le centre pénitentiaire de Béziers[2], des quartiers spécifiques sont utilisés pour pallier la surpopulation du quartier d’isolement. On peut du reste questionner la mise à l’isolement, censée être exceptionnelle[3], des personnes victimes de violences. Qualifié de « prison dans la prison » par la Cour européenne des droits de l’homme, l’isolement est une mesure ayant pour objet la mise à l’écart complète d’une personne du reste des détenus[4] pour des raisons d’ordre ou de sécurité. Accès limité aux activités, exclusion de fait du travail, contacts interdits ou très limités avec le reste de la prison… Les personnes qui y sont affectées, parfois pendant des mois, voire des années, subissent une dégradation importante de leurs conditions de détention, mais aussi de leur état psychique.
Contact presse : Pauline De Smet · 01 44 52 88 00 · 07 60 49 19 96
[1] Charte de bon comportement des personnes détenues placées au quartier arrivants ou sortants et identifiées comme vulnérables.
[2] « Violences à Béziers : quand les portes se referment sur les victimes », Dedans Dehors n° 99, 15 mai 2018.
[3] La Cour européenne des droits de l’homme précise qu’il ne peut être recouru à cette mesure « qu’exceptionnellement et avec beaucoup de précautions ». Une circulaire de 2011 précise que « toute nécessité de séparation d’une personne détenue du reste de la population pénale ne justifie [donc] pas le placement à l’isolement. L’isolement ne constitue pas un mode de gestion de la population pénale. »
[4] Sur décision du directeur de la prison. L’isolement peut aussi être effectué sur décision judiciaire, à des fins d’instruction.