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Maison d’arrêt de Valenciennes (59) : un jeune schizophrène, déclaré irresponsable pénalement, maintenu en prison au détriment de sa santé

Pour deux faits délictuels commis à trois semaines d’intervalle en avril 2011, M.M a fait l’objet de deux procédures judiciaires distinctes. Une expertise a été ordonnée dans le cadre de la première procédure, qui a révélé que M.M souffrait de schizophrénie, et était, au moment des faits, dans un état de décompensation psychotique aigu abolissant son discernement. Il a donc été déclaré irresponsable pénalement. Mais en dépit de sa maladie, M.M, 26 ans, est aujourd'hui incarcéré. Jugé en comparution immédiate dans le cadre de la seconde procédure, sans qu'aucune expertise psychiatrique n'ait été réalisée, M. M. a été condamné à une peine d'emprisonnement. Bien que l'incarcération nuise à son état de santé, sa demande d’aménagement de peine lui a été refusée le 19 juin.

Le 5 avril 2011 vers 6h du matin, M.M. a brisé la vitre de la porte d’entrée du domicile de ses parents. Dans un état délirant, il a mis sa mère et ses frères et sœurs dehors en leur disant qu’il avait mal à la tête, qu’elle allait éclater. Les services de police ont été appelés et, à leur arrivée, M.M. a proféré des insultes. Vingt jours plus tard, le 26 avril, un nouvel incident a eu lieu au domicile des parents. M.M a commis des actes de violence à l’endroit de sa mère, puis des forces de l’ordre venues sur place. Deux procédures judiciaires distinctes ont été engagées à la suite de ces faits : des poursuites pour dégradation et outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique concernant l’épisode du 5 avril ; et des poursuites pour violences sur ascendant et personnes dépositaires de l’autorité publique concernant celui du 26 avril.

Ces derniers faits ont donné lieu à une procédure de jugement rapide sans qu’aucune expertise ne soit réalisée : le 28 avril 2011 M.M. était condamné en comparution immédiate à 12 mois d’emprisonnement ferme, et immédiatement incarcéré.

Pour les premiers faits, le tribunal a pris le temps de demander la réalisation d’une expertise psychiatrique qui a révélé que M.M. est atteint d’une schizophrénie et « était [au moment des faits] dans un état de décompensation psychotique aigu qui relèverait du 1er alinéa de l’article 122-1 du Code pénal », c’est à dire d’une abolition totale du discernement le rendant inaccessible à la sanction pénale. Par un jugement du 2 décembre 2011, le tribunal correctionnel de Valenciennes l’a ainsi relaxé et déclaré « irresponsable pénalement ».

Actuellement en prison depuis plus d’un an, l’état de santé de M.M. se détériore. Sa fin de peine est prévue le 17 mai 2013. Car se sont ajoutés à la peine d’un an plusieurs sursis concernant des peines antérieures qui ont été révoqués. La famille de M.M. est extrêmement inquiète. Celui-ci se serait renfermé dans le mutisme, sortirait rarement de sa cellule et accomplirait difficilement les gestes de la vie quotidienne, comme se laver et se changer. En outre, M.M ne bénéficie pas d’un suivi médical adapté à son état de santé, comme en atteste un courrier du service médical de la prison indiquant que le psychiatre s’efforce de voir M.M. « tous les mois », mais que « le nombre de patients et les diverses sollicitations ne permettent pas un suivi plus régulier». Par ailleurs, peu conscient de sa maladie, «M.M. refuse les consultations auprès du psychologue ».

Faisant valoir que son client est « dans état de souffrance et de désespoir alarmant », l’avocat de M.M. a déposé le 17 avril 2012 une demande d’aménagement de peine, à savoir un placement sous surveillance électronique, afin d’assurer une prise en charge plus adaptée à son état. A l’appui de sa demande, plusieurs membres de la famille se sont engagés à héberger M.M., au besoin dans un appartement loué spécialement pour lui depuis le mois d’avril, et « un rendez-vous a d’ores et déjà été pris auprès d’une structure spécialisée afin de prendre en charge le suivi dont M.M. a besoin ». Sollicités à de nombreuses reprises pour une orientation vers une structure d’hébergement qui offrirait un accompagnement médical et social plus structurant, le service médical et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) n’ont pas été en mesure de proposer une orientation adaptée.

Dans un jugement en date du 19 juin, le Juge d’application des peines du Tribunal de grande instance de Valenciennes a rejeté la demande d’aménagement de peine, malgré l’inadaptation du milieu carcéral à une prise en charge appropriée. Il estime qu’ « il n’est nullement établi que l’état de santé de M.M. soit incompatible avec son incarcération, même s’il est évident que la mise en place d’un suivi à l’extérieur serait plus adapté à sa situation ». Il relève par ailleurs que « le placement sous surveillance électronique ne semble pas adapté à la personnalité de M.M. » suggérant qu’il soit placé au service médico-psychologique régional du centre pénitentiaire de Lille. Autrement dit, qu’il reste en prison. Il suit en cela l’opposition du SPIP à tout aménagement de peine en raison du manque d’implication du jeune homme : « ses réponses inaudibles », « ses absences » ainsi que le fait qu’il n’ait pas été « possible de l’amener à réfléchir sur les actes de violences commis ».

Un nouvel expert psychiatre mandaté dans le cadre de la procédure d’aménagement de peine avait pourtant confirmé qu’ « il apparaît peu probable que le sujet soit en capacité de comprendre le sens de la sanction pénale dont il fait l’objet ». Et qu’il est « clair que ces conditions ne constituent pas un contexte favorable à la prise en charge de patient souffrant de troubles psychiatrique graves et notamment d’une schizophrénie non équilibrée d’un point de vue thérapeutique ».L’avocat de M.M. a fait appel de la décision devant la Chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Douai, afin qu’un aménagement de peine adapté soit prononcé.

L’OIP rappelle :

– L’article 122-1 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes »;

– L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Rivière c/ France du 11 juillet 2006 selon lequel le maintien en détention d’une personne souffrant de graves troubles psychiatriques constitue un traitement inhumain et dégradant;

– L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, De Donder et De Clippel c/ Belgique du 6 décembre 2011, qui estime que si l’« on ne peut déduire de l’article 3 de la CEDH une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, même s’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner », rappelle que « le manque de soins médicaux appropriés, et plus généralement la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire [aux droits garantis par la Convention] »;

– L’article 723-19 du code de procédure pénale : « Les personnes détenues condamnées à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est inférieur ou égal à deux ans ou condamnées à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est inférieur ou égal à cinq ans et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans bénéficient, sauf impossibilité matérielle et si leur personnalité et leur situation le permettent, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’un placement sous surveillance électronique ou d’une libération conditionnelle, conformément à la procédure prévue par le présent paragraphe. Les durées de deux ans prévues par le présent article sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale ».