Alors qu'une commission préfectorale de l'Isère chargée de la sécurité incendie recommandait la fermeture du bâtiment principal de détention de la maison d'arrêt de Varces en mai 2007, celui-ci continue de fonctionner. Pourtant, plusieurs sinistres ont confirmé la réalité des risques pointés par cette commission. L'OIP a demandé au préfet la fermeture immédiate du bâtiment en attendant sa remise aux normes.
Demain, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble statuera sur la demande des proches de Mourad M., décédé le 25 décembre 2009 des suites de l’incendie de sa cellule de la maison d’arrêt de Varces. Ces derniers demandent l’ouverture d’une information judiciaire pour faire toute la lumière sur les circonstances de sa mort. En l’absence de tout système de détection incendie dans ce quartier qui venait pourtant d’être entièrement refait, l’incendie de la cellule n’avait été découvert que par l’agent en poste au mirador, lequel avait ensuite répercuté l’alerte. Les personnels pénitentiaires n’avaient pu eux-mêmes extraire la victime de sa cellule, la fumée ayant rapidement « envahi le couloir » comme l’a relevé un témoin de la scène, entendu dans le cadre de l’enquête, précisant que « sans masque cela était impossible d’accéder à l’extrémité du couloir où se trouvait la cellule ». Deux personnels avaient tenté d’intervenir, équipés d’appareils respiratoires individuels, mais avaient dû reculer, l’un des deux appareils ayant épuisé son autonomie. C’est finalement les pompiers, dépêchés sur les lieux, qui avaient extrait la victime de sa cellule. Selon l’hypothèse « la plus probable » d’après l’autopsie, l’intéressé est décédé d’une « intoxication au monoxyde de carbone et/ou acide cyanhydrique et autres toxiques présents dans le foyer d’incendie ».
Les défaillances de la détection des incendies et l’absence de tout moyen de désenfumage, mis en lumière dans le cadre de l’enquête sur ce décès, avaient déjà été pointés du doigt plus de deux ans avant les faits. En mai 2007, suite à une visite de la maison d’arrêt de Varces, la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques incendie et de panique dans les établissements recevant du public, dépendant de la préfecture de l’Isère, avait donné un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation du bâtiment principal de la maison d’arrêt, dans lequel se trouvent la plupart des cellules. L’OIP a récemment pris connaissance de ce document, qui fondait cette recommandation sur l’absence d’isolement des ateliers et cuisines du reste du bâtiment, sur l’« absence d’encloisonnement des cages d’escaliers et cages d’ascenseurs » et sur la « non conformité des conduits et des gaines », préconisant en outre la « réalisation d’une étude de faisabilité » sur l’extension « partielle ou généralisée » de la « détection automatique d’incendie » et la mise en place de moyens de « désenfumage des circulations horizontales ».
Dans un courrier adressé en juillet 2010 à deux parlementaires qui la questionnaient sur ce point, la direction de l’établissement indiquait que les travaux consistant à « isoler les gaines techniques » ont été réalisés à l’ été 2007. Du reste, plusieurs personnels et intervenants contactés par l’OIP ont confirmé que ni les cloisonnements des cages d’escaliers et d’ascenseurs, ni ceux des ateliers et des cuisines, ni l’installation des extracteurs de fumées n’ont été réalisés. Et dans l’attente de l’exécution des mesures recommandées, le préfet avait décidé de passer outre l’avis de la commission et de ne pas fermer le bâtiment concerné. Contactés par l’OIP le 14 février, les services de la préfecture expliquent que l’objet de ce type d’avis préfectoraux « n’est pas de faire fermer les établissements » mais plutôt d’apporter « un regard extérieur » sur la sécurité incendie. Et de conclure que suite à l’avis, le préfet avait estimé que les défaillances pointées par la commission n’étaient « pas suffisamment graves pour fermer la prison ».Pourtant, pour étayer ses préconisations, la commission estimait que les défaillances de la sécurité étaient suffisamment lourdes pour l’amener « à redouter l’enchaînement des étapes suivantes en cas d’incendie » : « possibilité de développement rapide du sinistre du fait de l’existence de zones à fort potentiel calorifique non isolées », « propagation rapide et généralisée des fumées et gaz de combustion dans les étages via les cages d’escaliers, d’ascenseurs et les gaines techniques », « difficulté à enrayer la propagation du sinistre du fait du sous-dimensionnement et de la vulnérabilité des moyens de secours » et pour finir, « impossibilité de transférer les détenus vers une zone de mise à l’abri du fait de l’absence de tout désenfumage et de protection des volumes de dégagement ».
La crainte d’un tel scenario devait d’ailleurs s’avérer pleinement justifiée. Le 28 septembre 2008, suite au meurtre d’un détenu tué par balle depuis l’extérieur de la prison, les ateliers avaient été incendiés et les fumées s’étaient propagées aux bâtiments de détention, situés au-dessus des ateliers, par l’extérieur via les fenêtres , mais aussi par l’intérieur même du bâtiment. L’absence totale de dispositif d’évacuation des fumées avait entravé et retardé le travail des secours : selon un compte-rendu de l’incident rédigé par le direction de la maison d’arrêt après les faits, « un agent de l’établissement chargé de couper le circuit électrique aux ateliers en accédant par la détention n’y parvenait pas en raison de l’absence totale de visibilité ». Plus grave : selon le même document, c’est en raison de l’ « épaisseur » et de la « toxicité » des fumées que « l’hypothèse de l’évacuation de l’ensemble des détenus » envisagée par la cellule de crise mise en place, avait été « abandonnée ». Au total, les détenus avaient été maintenus dans leurs cellules enfumées de 19 heures, heure approximative du départ du sinistre, jusqu’à 23 heures, heure à laquelle étaient effectuées des mesures de contrôle de chaque cellule après extinction de l’incendie.
Plusieurs intervenants confirment que, plusieurs jours après les faits, l’intérieur des cellules était encore couvert d’une suie noire épaisse et ce jusqu’au quatrième étage de détention. Le rapport d’activités de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) relève que « l’incendie des ateliers a été à l’origine entre autres d’une fumée abondante, diffusée massivement dans la coursive du premier étage. Les détenus que nous avons rencontrés se sont plaints de crachats noirs pendant deux jours ». Au total, « trois patients ont reçu un traitement pour bronchite aiguë ». Les nombreux courriers de personnes détenues, reçus par l’OIP, témoignent de la violence du sinistre. Une personne, alors détenue au premier étage de la prison, rapporte : « vers 20 heures et des poussières, j’aperçois une épaisse fumée noire envahir ma cellule ». Rapidement, « je ne voyais plus rien, je me suis allongé au sol près de la fenêtre pour pouvoir respirer. Je commençais à prier, je ne pensais pas pouvoir m’en sortir vivant ». Un autre insiste sur le fait qu’aucune information n’a été donnée sur ce qui se passait, précisant que c’est seulement « tard dans la soirée » qu’une « annonce avec haut parleur nous disait de nous mettre à la fenêtre pour respirer ». Confirmant d’autres témoignages, un détenu explique qu’alors qu’il avait « essayé de casser la porte [de la cellule] avec le frigo », il a « entendu des clefs dans le couloir » et se croyait « sauvé ». En fait, « ils passaient à chaque cellule pour fermer les loquets ». Un autre conclut : « on pensait qu’on allait tous mourir mais le pire c’est qu’on ne pouvait rien faire » : « ne pas pouvoir se battre pour sa survie est une chose très blessante mentalement ».
Depuis ce sinistre, en l’absence de réalisation des principaux travaux nécessaires, la régularité des départs d’incendie au sein de l’établissement menace concrètement la sécurité des personnes. Encore récemment, le 4 février dernier, un incendie s’est déclaré en milieu de journée au sein du quartier disciplinaire de l’établissement, suite à la mise à feu de la literie d’une cellule par la personne qui y était détenue, ne dégageant pas de flammes mais des fumées épaisses dans l’ensemble du quartier. La progression des personnels de surveillance intervenus sur place pour évacuer les 6 personnes qui occupaient ce quartier s’était avérée difficile parce qu’ « on n’y voyait pas à un mètre » comme l’a indiqué un témoin des faits. Au total, l’auteur de l’incendie avait dû être hospitalisé au cours de l’après-midi suite à son intoxication, et les 5 autres détenus avaient été pris en charge au sein de l’infirmerie de la prison par le personnel médical de l’établissement et les nombreux pompiers dépêchés sur les lieux. Un des surveillants ayant participé à l’opération avait dû, lui aussi, être pris en charge après une légère intoxication aux fumées. Un agent pénitentiaire, contacté par l’OIP, explique que les interventions des personnels seraient « plus rapides » si les fumées pouvaient être évacuées. Ce que confirme un autre personnel : elles seraient « moins risquées » et « facilitées » si l’établissement disposait d’extracteurs de fumées, « surtout au quartier disciplinaire » où « il y a souvent des incendies ».
Dans un courrier adressé à la préfecture de l’Isère le 15 février, l’OIP a demandé la fermeture du bâtiment de détention principal dans l’attente de sa remise aux normes. L’association a également saisi la direction de l’établissement pour qu’elle mette en œuvre les recommandations de la commission préfectorale.
L’OIP rappelle :
– que le Conseil d’État considère que, « eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis à vis de l’administration, il appartient tout particulièrement à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la justice et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie » (CE, 17 décembre 2008, Section française de l’OIP, n°305594) ;
– qu’aux termes de l’article 10 de l’arrêté du 18 juillet 2006 portant approbation des règles de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements pénitentiaires, « au regard de l’avis de la commission de sécurité compétente, le préfet décide, le cas échéant, de la fermeture totale ou partielle de l’établissement pénitentiaire ».