Dans une récente décision, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour l’indignité de ses conditions de détention. Il revient désormais au nouveau ministre de la Justice d’en tirer les conséquences, pour que les prisons cessent, enfin, d’être la honte de la République.
C’est un immense défi qui attend le nouveau gouvernement et son garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Il prend ses fonctions alors que la France vient d’être condamnée pour ses conditions de détention inhumaines et dégradantes par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans cette décision historique, la Cour demande que les pouvoirs publics prennent des mesures pour permettre « la résorption de manière définitive » de la surpopulation carcérale et garantir aux personnes détenues le respect de leur dignité.
Les autorités judiciaires ont déjà pris acte de cette condamnation : hier, la Cour de cassation a considéré qu’ « il appart[enait] au juge national, chargé d’appliquer la convention, de tenir compte de [cette] décision » et jugé qu’une personne placée en détention provisoire dans des conditions qui portent atteinte à sa dignité devait être remise en liberté (lire notre communiqué). Elle rappelle cependant que « les recommandations générales que contient cette décision s’adressent, par leur nature même, au Gouvernement et au Parlement »… qui doivent désormais en tirer les conséquences.
Ils bénéficient pour cela d’un contexte inédit : à la faveur de la crise sanitaire des derniers mois, le taux d’occupation des prisons est passé, pour la première fois depuis près de vingt ans, en dessous du seuil des 100%. C’est là une occasion historique et le nouveau locataire de la place Vendôme en est conscient : début juin, l’avocat qu’il était encore a co-signé une lettre ouverte au président de la République pour demander « qu’à la gestion de l’urgence succède une véritable politique de déflation carcérale à même de garantir l’encellulement individuel et des conditions de détention dignes et de favoriser la prise en charge en milieu libre de ceux qui peuvent ou doivent l’être ».
Des mesures pour agir sur la surpopulation carcérale
Alors que le nombre de prisonniers repart déjà à la hausse, il y a urgence à agir. De nombreuses propositions sont sur la table : loi d’amnistie pour les courtes peines, grâce présidentielle, mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale… elles doivent toutes être envisagées. Mais elles n’y suffiront pas. Tandis que le volet pénal de la loi de programmation pour la justice vient d’entrer en vigueur, il est nécessaire de revenir sur certaines de ses dispositions, notamment celle supprimant la possibilité pour les juges de l’application des peines d’aménager les peines de prison comprises entre un an et deux ans, qui risque d’entraîner un afflux massif de nouvelles incarcérations. Il faut aussi renoncer au dispendieux programme de construction de nouvelles prisons annoncé par le précédent gouvernement, au profit de la rénovation des infrastructures existantes et du renforcement des alternatives à l’emprisonnement.
Au-delà de ces mesures à court terme, le constat – désormais partagé – de la faillite du système carcéral français requiert de poser les bases d’une profonde refonte des politiques pénales. Pour cela, il faut agir dans deux directions. Intervenir, d’abord, sur les facteurs qui concourent à l’inflation carcérale exponentielle de ces quinze dernières années : l’augmentation continue du périmètre de la justice pénale, la banalisation du recours à la détention provisoire, l’allongement des peines, ou encore le développement de procédures de jugement rapide particulièrement pourvoyeuses d’incarcérations. Il faut, par ailleurs, construire une nouvelle culture pénale, déconnectée de la référence permanente à la prison. Cela nécessite de renforcer la portée et la crédibilité du socle des peines alternatives, de revoir leur contenu et les moyens qui leur sont alloués, et de faire de certaines d’entre elles la peine maximale encourue pour les délits les moins graves.
Ce changement de culture pose une double exigence : sortir du populisme pénal qui a trop souvent dominé les discours des dernières années, et rester fermement attaché au respect des droits fondamentaux et des règles de droit. Autant de principes incompatibles avec la proposition de loi portée par l’actuelle majorité concernant la mise en place de mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes, qui introduit une peine après la peine et entretient une confusion dangereuse entre la sanction d’un comportement délictueux et la prévention d’un danger présumé et non identifié.
En prison, garantir le respect des droits
En matière de politique pénitentiaire également, les chantiers sont nombreux tant la peine de prison est aujourd’hui dépourvue de sens et de contenu. Parmi eux, l’instauration d’un régime juridique du travailleur détenu, promis et encore attendu. Alors que « le lien qui unit l’administration pénitentiaire et le détenu travaillant en son sein » est « un acte unilatéral avec la négation de tous les droits », comme le reconnaissait le président Macron en mars 2018, il est aujourd’hui urgent d’envisager une réforme d’envergure qui associe édiction d’un droit social pénitentiaire et politique de revalorisation du travail proposé en prison.
D’autres mesures devraient être prises pour que la vie en détention soit autant que possible alignée sur les conditions de vie à l’extérieur, comme le préconise le Conseil de l’Europe. Certaines questions se sont posées avec acuité pendant la crise sanitaire, qui invitent à réfléchir dans ce sens : celle de l’accès aux moyens modernes de communication, et notamment à Internet ; celle relative à la gestion des tensions et mouvements collectifs en détention ; ou encore celle de la mise en place d’espaces d’expression et de discussions partagés.
Enfin, le respect des droits par l’administration pénitentiaire exige le respect de l’intégrité physique des personnes dont elle a la garde. Il y a un an, l’OIP publiait un rapport sur les violences perpétrées par des personnels pénitentiaires sur les personnes détenues et formulait un certain nombre de recommandations pour enrayer ce phénomène. Ces propositions attendent toujours d’être entendues. Il en va de la crédibilité même de la justice.
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