Par une décision du 10 novembre 2022, le Conseil d’Etat a rejeté, sans audience, la requête formée par l’OIP, l’Ordre des avocats du Barreaux de Bordeaux, le SAF et l’A3D à propos du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. En dépit des conditions de détention inhumaines et dégradantes dans cet établissement notoirement insalubre et surpeuplé, il écarte les demandes d’améliorations réclamées par ces organisations.
Dans des recommandations en urgence publiées le 13 juillet 2022, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait vivement dénoncé l’indignité des conditions de vie imposées aux personnes incarcérées à la prison vétuste et surpeuplée de Bordeaux Gradignan, et affirmé que « l’hébergement d’êtres humains devrait y être proscrit ». Saisi par l’OIP, l’Ordre des avocats du Barreaux de Bordeaux, le SAF et l’A3D, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux avait, dans une décision du 11 octobre 2022, constaté la violation des droits fondamentaux des personnes détenues dans cet établissement et ordonné quelques mesures d’amélioration des conditions d’incarcération. Estimant ces mesures très insuffisantes, les organisations avaient saisi le Conseil d’État en appel. Par une ordonnance du 10 novembre 2022, ce dernier a donc rejeté leur recours.
C’est la première fois que le Conseil d’État utilise la procédure de tri pour rejeter une requête de référé-liberté introduite contre les conditions de détention d’un établissement pénitentiaire visées par des recommandations en urgence de la CGLPL, c’est-à-dire dénoncées comme portant une atteinte grave et massive aux droits fondamentaux des personnes détenues. Cette procédure permet de rejeter sans audience des demandes qui apparaissent dénuées d’urgence ou sont manifestement infondées, sans que l’administration n’ait été préalablement invitée à s’expliquer. De manière particulièrement regrettable, le Conseil d’État n’a donc pas estimé utile, avant de se prononcer, d’organiser un débat, dans le cadre d’une audience, afin que la situation alarmante et dramatique de la prison bordelaise puisse faire l’objet d’un examen le plus approfondi et actualisé possible.
Sur le fond, la décision rendue par le Conseil d’État est également incompréhensible à de nombreux égards. Rappelant que le juge du référé-liberté est incompétent pour prononcer des mesures structurelles, c’est-à-dire trop importantes pour pouvoir être engagées rapidement, il a écarté plusieurs demandes pourtant réalisables à bref délai. Il en est par exemple ainsi des demandes qui tendaient à la convocation du conseil d’évaluation de la prison, à la mise aux normes de quelques cellules accueillant des personnes à mobilité réduite, ou à l’installation d’équipements légers dans la cour de promenade particulièrement anxiogène du quartier disciplinaire (banc, table, installation sportive, urinoir et point d’eau).
Sur d’autres sujets, la Haute Juridiction reproche aux organisations requérantes de ne pas apporter pas la preuve des manquements qu’elles dénoncent. Par exemple, s’agissant de la présence massive de nuisibles en détention, elle estime que la nécessité d’intensifier la lutte contre les nuisibles n’est pas démontée et relève que « l’administration a passé, le 22 décembre 2020 un contrat avec une société prévoyant une action de dératisation et de désinsectisation de l’établissement 4 fois par an et au cas par cas à chaque signalement par l’établissement de nuisibles ». Or, lors de sa visite de l’établissement, six mois après la signature de ce contrat, la CGLPL constatait une prolifération de rats, punaises de lits et cafards, ces derniers « s’introduisant dans les moindres recoins, détruisant les plaques chauffantes, les joints des réfrigérateurs et les installations téléphoniques. Des personnes détenues se sont présentées à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire les poches pleines de ces insectes qui déambulent sur leur corps la nuit ».
En outre le Conseil d’État adopte dans sa décision du 10 novembre 2022 une conception particulièrement restrictive des situations attentatoires à la dignité humaine des personnes incarcérées. Lors de sa visite, la CGLPL avait par exemple relevé que « les cours de promenade, équipées de douches utilisables bien que souillées, sont jonchées de détritus et ne disposent d’aucun WC. » Les organisations requérantes expliquaient qu’en l’absence de toilettes, les personnes se trouvant en cours de promenade font leurs besoins dans ces douches souillées, ce qui représente en outre un risque sanitaire évident. Il n’y a pourtant selon le Conseil d’Etat, dans cette situation absolument indigne, aucune atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes détenues qui exige qu’il y soit rapidement mis fin.
Il y a bientôt trois ans, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour l’état indigne de ses prisons, mais aussi en raison de l’absence de recours effectif permettant aux personnes incarcérées de faire cesser leurs conditions dégradantes de détention. Elle avait en particulier pointé les insuffisances de la procédure de référé-liberté. Alors que le comité des ministres du Conseil de l’Europe doit prochainement examiner l’exécution par la France de cet arrêt, cette nouvelle décision du Conseil d’État vient souligner une fois encore les carences des réponses apportées par la Justice française à l’indignité des conditions de détention.
Ce communiqué est co-signé par le SAF, l’ordre des avocats de Bordeaux, l’A3D et l’OIP
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