« Je suis actuellement détenu au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. Par chance, je vais pouvoir bénéficier d’un transfert et j’espère trouver, dans cette nouvelle prison, de meilleures conditions de détention. Cependant, je ne vous parlerai pas de mon cas, mais plutôt des dysfonctionnements qui me semblent dramatiques pour certains détenus en raison des règles applicables et appliquées. Mon propos n’est pas de dénoncer l’administration pénitentiaire, elle-même prisonnière d’un système et qui me semble totalement démunie faute de moyens humains adaptés.
Le quartier d’isolement est composé de dix cellules. Sur les dix, actuellement, six sont occupées par des détenus dont le comportement relève de la psychiatrie. La proportion est la même au sein du quartier disciplinaire, soit six à sept sur dix – c’est plus variable car il y a plus de mouvements. Certains de ces détenus sont suivis par des psychologues, la psychiatre et des infirmiers du service psychologique de l’établissement nommé le SMPR. Certains détenus prennent des médicaments, d’autres les refusent, mais leur comportement relève de la psychiatrie. Ce sont, à titre d’exemple, des hurlements toute la journée et pour certains toute la nuit. Des appels constants aux surveillants, qui ne cessent que lorsque ces derniers parviennent à répondre à leurs demandes souvent futiles – et ils recommencent à appeler et à hurler sitôt que les surveillants sont partis. Certains parlent tout seul toute la journée, et parfois la nuit. J’ai oublié de préciser que pour appeler les surveillants, ces détenus frappent avec violence sur la porte de leur cellule. Pas plus tard qu’hier, l’un d’entre eux a tenté de se pendre et seule l’intervention d’un surveillant a permis de l’empêcher. Il y a eu une tentative identique au quartier disciplinaire, appelé « le cachot ». D’autres passent leur temps à insulter, voire menacer, les surveillants. D’autres essayent de limer les barreaux de leur cellule avec un canif.
D’après les informations communiquées par les surveillants, les SMPR où ils devraient être soignés – voire l’hôpital psychiatrique – les refuse, arguant le manque d’équipement adapté ou leur caractère trop dangereux. D’après les surveillants, c’est la crainte d’être agressé qui effraie les infirmiers, et on peut les comprendre. La conséquence, c’est que ces détenus, malades, ne sont pas soignés mais traités par l’administration selon les règles disciplinaires. Ces hommes ont besoin de soins et on les punit, ils ont besoin d’éducateurs et ils ont affaire à des agents de surveillance qui leur passent des menottes, faute de mieux. L’isolement, le quartier disciplinaire ou le quartier pour détenus dangereux aggravent leur cas car certains ne supportent pas la solitude ou les restrictions (télé, cantines, promenades, etc.).
J’ai pu constater de visu l’aggravation de la situation d’un jeune homme, affecté directement au quartier pour détenus dangereux. Au cours d’une promenade, il était dans le local qui jouxtait le mien. C’était un garçon agréable, poli, en bonne santé. Je l’ai revu trois mois après : il était en colère, furieux, injurieux, la peau couverte d’eczéma, et subissant de plus en plus les restrictions. Le système est en train de faire de ce jeune homme de vingt ans un fou furieux irrécupérable.
Le jour-même où je vous écris ce témoignage, mon voisin de cellule, très fragile sur le plan psychiatrique et toxicomane, a eu une crise qui lui a fait démolir sa cellule et se barricader en proférant des menaces envers les surveillants. Je lui ai parlé et l’ai calmé. Il n’a vu personne depuis ce matin et on lui a coupé l’électricité et l’eau. Je comprends que l’on prenne des précautions, mais lui couper l’eau, je trouve cela inhumain. Il n’a rien à boire et ne peut ni se laver ni aller aux toilettes ! Ce jeune homme a besoin de soins en hôpital psychiatrique, pas de nouvelles sanctions… tout cela me désole. J’apprends le soir-même qu’il s’est calmé et, sur mes conseils, a débarricadé sa cellule. Toujours pas d’électricité, mais on lui a remis l’eau et apporté à manger. Il a ensuite été transporté à l’hôpital psy où il avait déjà été soigné et d’où il n’aurait jamais dû sortir.
[Quelques jours plus tard] Je n’ai malheureusement pas été transféré à la date prévue et je subis à nouveau le retour de mon voisin déséquilibré qui, après huit jours à l’hôpital, a été remis en cellule. Et ça recommence, deux nuits à délirer et à déblatérer tout seul. Ce matin, il avait l’air normal, mais au cours de la promenade, il a déchiré ses vêtements et de nouveau il commence à taper sur tout ce qu’il trouve et à appeler les surveillants. Pendant que j’écris, il continue sa litanie de réclamations diverses, il veut ses vêtements, son tabac, ses affaires de toilette qu’il accuse les surveillants de lui avoir pris. (…) on laisse la fureur s’installer, je crains qu’il ne recommence à tout casser, et je me prépare à ma troisième nuit sans sommeil. Ce jeune garçon de 22 ans est laissé sans armoire, sans radio, sans télé, sans livre, sans serviette et sans draps de peur qu’il ne se pende. Cette situation accentue son délire et sa colère… »
Lettre adressée en juin 2022 à l’OIP-SF.