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Avec Marie, dont le fils est incarcéré depuis dix ans

Depuis dix ans, Marie vit au rythme de la prison. Son fils Damien a été placé en détention provisoire en 2004. Condamné pour crime aggravé en 2008, il purge une peine de trente ans de réclusion, assortie d’une période de sûreté de 20 ans.

Comment viviez-vous avant d’avoir affaire à la justice ?

Mon mari et moi avons deux enfants que nous avons adoptés : Damien en 1986 et Sophie en 1988. Damien, c’est sa mère de 17 ans qui l’a déposé dans mes bras. J’ai eu un peu l’impression de lui voler son fils. Pour Sophie, une amie avait fait l’intermédiaire avec la famille. Je garde des adoptions un sentiment d’injustice. Contrairement à leurs familles, j’avais les moyens de m’occuper d’enfants. J’étais cadre de santé. Quelques mois après l’adoption de Damien, mon mari s’est retrouvé au chômage. Notre situation financière devenant difficile, nous avons quitté notre appartement en ville et avons déménagé dans notre résidence secondaire, pratiquement sans revenus puisque j’avais arrêté le travail à la crèche. L’adoption n’était pas encore finalisée, et j’avais peur qu’on nous reprenne Damien. La DDASS nous a mis la pression : « Vous n’avez plus les moyens de vous occuper de cet enfant. » A la différence des autres parents, nous n’avions pas le droit d’avoir des problèmes financiers. Heureusement, j’ai trouvé un poste de puéricultrice. Après une année difficile, ça allait bien dans notre famille. Les gens disaient : « C’est merveilleux, vous avez sauvé un enfant. » Moi je répondais « non, j’ai fondé une famille ». Quand Sophie est arrivée, Damien avait trois ans. Au début, il était mort de jalousie. Il était odieux avec moi. Puis en grandissant, il est devenu très protecteur avec sa sœur.

Pensiez-vous qu’un tel drame risquait d’arriver un jour ?

A l’école maternelle et en primaire, Damien a été un enfant brillant. En 6e, on l’a mis dans une école privée très chic, pensant lui offrir ce qu’il y avait de mieux. Et ça s’est très mal passé. Adopté, d’origine étrangère, il était considéré par certains comme venant du caniveau. Quelques professeurs ont été terribles. L’un d’eux lui a dit un jour qu’il n’y avait pas de place pour lui en France. Il a dévissé en 5e, et on n’est plus jamais arrivés à le rattraper. Je suis allée voir la psychologue du collège pour essayer d’arranger les choses, mais j’ai été reçue comme une emmerdeuse. La situation s’est dégradée très vite. Damien ne voulait plus aller à l’école. Je me battais tous les matins pour qu’il se lève. Il s’est fait virer et s’est enfermé dans un mutisme vis-à-vis de nous, il ne nous disait jamais ce qui n’allait pas. Il esquivait, nous envoyait balader. Je n’ai pas dû avoir l’attitude qu’il fallait. Je l’obligeais à se bouger. Il s’est éloigné de plus en plus de nous. Durant sa troisième, je n’arrivais plus à le faire se lever le matin. Il a loupé son BEPC. A 15 ans, il est entré en lycée professionnel. Comme il était trop jeune, personne n’a voulu de lui en stage, et il a raté son année. En 2004, Damien a eu 18 ans. Il vivait dans la « maison d’amis » à côté de la nôtre, avec sa copine. A son retour des vacances d’été, il a trouvé un travail dans un supermarché. Ça a duré 15 jours, au terme desquels des policiers sont venus l’arrêter dans la galerie marchande. Mon mari et moi étions à la maison ce jour-là. Vers 6 h 30, on a entendu la cloche sonner. Je n’ai pas bougé. Quelqu’un a tapé dans les volets. C’était un gendarme, qui nous a dit que notre fils avait été arrêté. Mon mari a demandé si c’était un problème de drogue, le gendarme a répondu que c’était beaucoup plus grave, et il est remonté dans sa voiture. Je suis descendue, il y avait des flics partout, avec des chiens. Ils ont fouillé la maison d’amis. J’ai vu sortir la copine entre deux gendarmes. Ils avaient ramené Damien, qu’ils ont fait entrer dans la petite maison. Par une porte entrouverte, je le voyais, assis sur un tabouret, menotté. Au bout de trois heures, ils l’ont emmené et nous ont dit qu’il était suspecté du meurtre d’un jeune d’un village voisin. Je n’y croyais pas. Ça ne lui ressemblait tellement pas. Quand ils avaient trouvé ce jeune mort dans la région, je m’étais demandé comment des parents pouvaient se remettre d’un tel drame. Et Damien n’avait rien manifesté. De mon côté, je croyais qu’il allait mieux, il avait trouvé du travail, les choses reprenaient un cours normal. On ne peut jamais dire que ça va bien, en fait.

Que s’est-il passé ensuite ?

L’après-midi de son arrestation, on a été convoqués à la gendarmerie, mon mari d’un côté, moi de l’autre. Je n’arrivais pas à parler. Je ne pouvais toujours pas y croire. Le gendarme n’a pas été désagréable, il a fait son boulot. A un moment, il a semblé réaliser qu’il aurait pu se retrouver à ma place, en tant que parent. Ensuite, on a rencontré l’avocate. Elle en savait plus que nous visiblement, et ne nous disait pas tout. Damien a rencontré la juge le vendredi. Elle nous a laissé le voir un moment avant qu’il soit incarcéré. Il était complètement déshydraté, il n’avait plus de lèvres. Il est parti en maison d’arrêt, où il est resté trois ans, jusqu’au jugement.

Vous avez assisté au procès ?

Oui, il a duré quatre jours. Dès le début, Damien s’est fermé comme une huître, ce que la Présidente a très mal pris. Au moment de parler des faits, il a demandé que je sorte. Mon mari ne m’a jamais raconté et je ne suis jamais arrivée à lui poser des questions. Au tribunal, on a été présentés comme des bons bourgeois, et ils disaient que Damien avait eu une grande chance de tomber dans un milieu aisé. Comme si ça le rendait encore plus coupable. Il a été considéré et jugé comme un monstre. L’avocat général a demandé la perpétuité, disant que Damien avait certainement prévu d’autres crimes. Pourtant, rien de concret ne montrait qu’il s’était organisé pour faire d’autres choses terribles. Il a pris trente ans avec vingt ans de sûreté. Sa copine a été jugée avec plus d’indulgence. Il l’a toujours beaucoup protégée, même pendant le procès. Elle a pris huit ans, elle est sortie à présent.

Qu’avez-vous ressenti après le procès ?

Juste après son incarcération, Damien m’a écrit : « Maman, ce n’est pas de ta faute, tu m’as appris tout ce qu’il fallait, tu n’es pas responsable. » Je conserve précieusement sa lettre, mais je culpabilise quand même énormément. La première fois que je l’ai vu au parloir, il m’a dit : « Il ne faut pas t’en faire, j’étais mal parti, j’ai fait ce que j’ai fait, il fallait que j’aille en prison. » J’ai dû rester avec ça. Je sais qu’on a eu des périodes difficiles dans notre famille et qu’il les a vécues aussi. Mais je n’arrive pas à m’expliquer ce qu’il a fait.

Votre entourage est-il au courant de son incarcération ?

La médiatisation de l’a aire nous a fait très peur. Heureusement, c’est resté à un niveau régional, mais ça a été difficile. Après l’arrestation de Damien, on est tout de suite partis se réfugier dans un hôtel au bord de la mer, on avait trop peur de la meute journalistes devant la maison. Puis il a fallu reprendre le cours de la vie. Il y avait Sophie, qu’il ne fallait pas oublier. Elle était en quatrième. J’ai appelé le directeur du collège, lui ai demandé comment je pouvais faire. Je ne me voyais pas déposer ma fille au collège comme si de rien n’était. Il m’a proposé d’attendre que les élèves soient rentrés en classe, puis d’amener Sophie dans son bureau. Il l’a ensuite accompagnée dans sa classe puis a fait le tour du collège pour bien poser les limites. Et elle n’a jamais eu de soucis avec ses camarades. Seul un enseignant, un jour, lui a dit devant tout le monde : « Ton frère, il aurait peut-être pu s’abstenir. » La période a été très dure pour elle, mais elle a tenu. Tout comme mon mari et moi. Nous avons tous les deux pensé démissionner de notre travail, mais notre entourage professionnel nous en a dissuadés. Ce qui était arrivé n’enlevait rien de leur confiance en nous. Ils nous ont beaucoup aidés, tout comme nos amis.

Ma mère habitait dans une maison de retraite à côté de chez nous, j’allais la voir tous les soirs. Après avoir hésité à lui en parler, j’ai fini par le faire. Elle a été vraiment gentille avec Damien. C’est une femme très croyante, elle l’a beaucoup aidé. Avec ma sœur en revanche, ça a été rude. Avant le procès, elle a témoigné auprès des gendarmes que je ne m’étais jamais occupée de Damien. Comme je pensais que nous avions de bonnes relations, ça m’a fait très mal. Elle ne m’a jamais demandé de nouvelles de lui. Le premier Noël après son incarcération, Damien a dessiné une carte et l’a envoyée à ma sœur et ses enfants. Elle l’a jetée à la poubelle. Et moi, j’ai coupé tout contact.

Quels ont été vos premiers contacts avec la prison ?

Le jour du premier parloir, la maison d’arrêt n’avait pas reçu mon permis de visite. Seul mon mari est entré, j’ai dû attendre dehors. Je devais avoir une sale tête car une dame est venue me voir. Elle m’a demandé si c’était la première fois que je venais. Son mari était incarcéré. C’est elle qui m’a tout expliqué, comment amener du linge, etc. Damien étant en détention provisoire, on pouvait le voir trois fois par semaine. J’y allais le vendredi, mon mari le lundi et le mercredi, pendant trois ans, jusqu’au transfert de Damien pour son procès. Les parloirs en maison d’arrêt, c’est difficile pour tout le monde. Je supportais mal qu’on soit toujours suspectés de tout, comme si on allait apporter un flingue ou de la drogue. Jamais un mot de gentillesse. Un jour, à la n du parloir, quand on attendait dans le sas, une dame a demandé si elle pouvait sortir rapidement parce qu’elle avait son train à prendre. Elle était très anxieuse car elle habitait loin. De l’autre côté de la porte, un surveillant a dit : « Si ça ne vous convient pas, vous n’avez qu’à pas venir ici. » Personne ne répond, on a tellement peur que ça retombe sur notre proche qui est dedans.

Comment se déroule la détention de Damien ?

Il ne nous parle pas de ce qui se passe à l’intérieur, je pense qu’il essaie de nous protéger. On sait très peu de choses, hormis ce qu’on voit lors des visites ou quand il y a un incident l’amenant au mitard ou à l’hôpital. Après son jugement, il a eu une affectation en centre de détention. Ça s’est bien passé pendant deux ans environ. Puis il s’est frité avec une directrice, c’est monté crescendo et il a passé un an et demi à l’isolement. Il refusait de retourner en détention ordinaire, donc il a fait du mitard. On lui a confisqué son ordinateur, deux ans d’interdiction. Il avait commencé un DAEU, qu’il a arrêté. Ensuite il a passé un CAP d’électricité, avec 18 de moyenne ! Ça me faisait plaisir de l’entendre nous en parler, il était heureux comme tout. Puis pendant un an, il a été placé en hospitalisation de jour en psychiatrie, au sein du centre de détention. Je n’ai jamais compris. Il ne voulait plus qu’on vienne le voir, mais il nous téléphonait. Il a ensuite été envoyé à l’hôpital pour quelques jours, où j’ai pu aller le voir une fois. Quand j’ai appelé pour prendre un deuxième rendez-vous, il avait été transféré, mais on ne voulait pas me dire où. C’était très angoissant, comme à chaque fois qu’on ne vous dit rien. Il s’est retrouvé en maison centrale. Il m’a téléphoné deux secondes pour me dire où il était. Je me suis précipitée sur internet, j’ai cherché des informations et la première chose que j’ai lue, c’est que les centrales accueillent les détenus difficiles, condamnés à de longues peines, dont on estime qu’ils ont peu de chances de réinsertion. J’ai eu du mal à m’en remettre. Mais finalement, en centrale, ça s’est calmé. Il a une conseillère d’insertion et de probation avec qui ça se passe bien. On a des interlocuteurs qui nous parlent. On existe. C’est la prison, c’est strict, mais il y a de l’écoute. Heureusement, parce que Damien ne nous dit pas grand-chose. Il a été ré-hospitalisé en psychiatrie une dizaine de jours mais maintenant il va mieux, il semble plus équilibré.

En tant que proche d’un détenu, le contact avec la prison est moins difficile aujourd’hui ?

Oui, cette centrale n’a rien à voir avec les autres prisons que j’ai connues. Les surveillants sont gentils, ils font leur boulot mais n’ont pas cette attitude suspicieuse vis-à-vis des familles. Le premier contact que j’ai eu à la centrale, c’est lorsque je suis allée me renseigner pour le colis de Noël. Je n’avais pas encore de parloir et, dans l’établissement précédent, on ne pouvait pas amener de colis dans ce cas. Ici, pas de problème, ils m’ont dit de l’apporter quand je voulais. On avait tout étiqueté, mis dans des boîtes. Le poids de l’une d’elles dépassait la limite autorisée, mais le surveillant l’a laissée passer. Cette indulgence n’existait pas dans les autres prisons. J’ai aussi pu apporter des choses qui étaient interdites ailleurs, c’est complètement différent d’une prison à l’autre, en fonction du règlement intérieur, qu’on ne peut pas consulter. Cela donne une impression d’arbitraire complet.

Récemment, nous avons eu notre première visite en Unité de vie familiale (UVF). Pour moi, c’était comme une journée de vacances. Nous nous sommes retrouvés tous les quatre, Damien, Sophie, mon mari et moi. On est arrivés à 8 heures quinze, on a passé les contrôles. Au portique, ma fille a sonné, elle a dû enlever son soutien-gorge. Les surveillants ont été aimables. L’UVF, ce n’est pas le bord de la mer, mais on est tranquilles. Il n’y a pas de surveillant qui regarde. On est restés 6 heures ensemble, le temps de préparer un repas, de manger, de ranger, faire la vaisselle, prendre le café. On a fumé des cigarettes dans la petite cour. Le temps de prendre le temps. De vivre ensemble. Ce qu’on n’avait pas fait depuis dix ans. L’autre jour, j’ai téléphoné pour confirmer le prochain rendez-vous, le surveillant m’a dit « ah oui Madame D. ! ». Ça change la vie.

Quelles ont été les conséquences de l’incarcération de Damien sur votre famille ?

Notre vie a basculé en cinq minutes. Ce qui est arrivé ce jour-là, je crois qu’on ne le comprendra jamais. Peut-être que son psychiatre y arrivera, mais nous… On y pense tout le temps. Il y a le temps d’avant ce qui est arrivé, et le temps d’après. Quand je cherche une date, je calcule en fonction de l’arrestation de Damien. J’angoisse dès que je reste quelques jours sans nouvelle de lui. Notre vie tourne autour de sa détention. On ne peut décider de rien, ni lui, ni nous. Il y a également les aspects matériels, financiers. Tous les mois, on lui envoie 500 euros pour qu’il puisse cantiner ce dont il a besoin. L’AP en prélève une partie pour son pécule de sortie. L’indemnité aux familles a déjà été payée. Les UVF ont un coût aussi. Un jour en rentrant chez moi, j’avais gardé un sac plastique de l’UVF, et dedans il y avait un papier avec le décompte des cantines que Damien avait dû faire pour nous accueillir. Les détenus doivent tout acheter, ça m’a paru cher. Si tu n’as pas de pécule, tu n’as pas d’UVF. Les trajets coûtent cher également. Et les avocats. Heureusement, mon mari et moi avons une retraite de cadres. Je me demande comment font les autres. Quand on a fini de tout payer, il ne nous reste plus rien. Pour le procès on a fait un emprunt, mais pour tout le reste il faut rester vigilant, c’est un gouffre. Ça enlève toute possibilité de faire autre chose. Pas de projets, pas de vacances, aucun extra.

Comment voyez-vous l’avenir ?

J’ai beaucoup de mal à me projeter dans l’avenir, je n’ose pas. L’avocat nous a dit que dans cinq ans, il pourrait tenter de faire relever la période de sûreté, après 15 ans de prison. J’avoue que je n’y crois pas trop. J’ai tellement peur que je vis à la semaine. Notre prochain parloir, son prochain coup de fil, je ne suis pas capable d’aller plus loin. En ce moment, Damien va mieux. Il a repris un DAEU, qui ne l’intéresse pas trop d’ailleurs parce que c’est littéraire alors qu’il est plutôt scientifique. C’est dommage, mais c’était la seule possibilité. Pour l’année prochaine, il dit qu’il voudrait passer un CAP de cuisinier. Ce n’est pas bête, des cuisiniers on en cherche partout. Mais de notre côté, on attend, sans être jamais sûrs de rien. Si je savais qu’il allait rester dans cette centrale, ce serait rassurant parce que ça se passe bien avec tout le monde. Mais on ne sait jamais, il peut être de nouveau transféré à tout moment.

Recueilli par François Bès