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« C’était beaucoup plus strict qu’au quartier hommes »

Daniela était assistante sociale dans un centre pénitentiaire du sud de la France. En couple avec une personne incarcérée dans une autre prison, elle découvre le quotidien des proches de détenus, avant d’être elle-même emprisonnée. Elle témoigne aujourd’hui de ces trois facettes de la prison qu’elle a connues.

« Au départ, la prison c’était mon travail : j’étais assistante sociale en milieu carcéral. D’abord à Fleury-Mérogis, puis dans une prison du sud de la France. J’y ai travaillé plus d’un an, au sein d’une super association. Je n’étais pas rattachée à la pénitentiaire, j’intervenais au service médical. Comme on relevait du secteur hospitalier, on était vu différemment par les détenus, ils nous parlaient plus facilement… Un jour, mon ex-copain, Karim, m’a contactée. On s’était séparés avant mon départ dans le sud. Il m’a appris qu’il avait été incarcéré dans le nord de la France. Il m’a demandé de venir le voir. Moi, je connaissais les conditions de vie des personnes incarcérées, leurs difficultés… Ça m’a touchée de le savoir incarcéré. Quand il m’a contactée, il était en fin de peine, il devait sortir bientôt. Je suis allée le voir au parloir, et on s’est remis ensemble. Je traversais toute la France pour lui rendre visite, deux week-ends par mois. C’était des longs trajets, j’étais obligée de poser des jours de congés et chaque voyage me coûtait entre 200 et 300 euros. Heureusement, ça n’a pas duré longtemps : au bout de quatre mois, il est sorti. On a repris une vie de couple, entre le sud et le nord. C’était idyllique, on avait des projets, on parlait de nos vacances…

Et puis un jour, je n’ai plus eu de nouvelles. Il ne répondait pas à son téléphone. J’ai appris ensuite par l’un de ses proches qu’il était en garde à vue. Ça a été un choc énorme. Il a finalement pris trois ans. Trois ans, c’est long… Il m’a demandé ce que je comptais faire, je lui ai répondu : « Je reste. » Je reste, mais je quitte mon travail : c’était loin de là où il était détenu, et surtout, je ne pouvais plus bosser en prison, c’était devenu inconcevable. Ça a été une décision difficile à prendre, car j’adorais l’association pour laquelle je travaillais. Je suis donc partie vivre dans le nord, chez sa mère d’abord, avant de trouver un appartement près de la prison. C’est là que les ennuis ont commencé. Je voyais régulièrement ses amis, qui me donnaient des sous à lui envoyer en prison, pour qu’il s’achète des vêtements, qu’il paie son avocat… Je ne vais pas faire l’ingénue, je savais que ce n’était pas de l’argent très propre. Un jour, j’étais chez sa mère et la police a débarqué. Ils ont fait une perquisition et m’ont placée en garde à vue : j’étais accusée de blanchiment d’argent et transport d’arme. Apparemment, j’aurais été au contact d’une arme, mais je ne le savais pas. Bref, je me suis retrouvée mêlée à une affaire d’association de malfaiteurs, un truc assez grave. Sur le coup, je ne m’en suis pas rendue compte. J’ai fait quatre-vingt-seize heures de garde à vue : franchement, je préfèrerais retourner un an en prison plutôt que de repasser un seul jour dans cette cellule. Il n’y avait pas de fenêtre ; le sol, les murs, les couvertures, tout était dégueulasse – pardonnez-moi l’expression. Le soir, on m’enfermait de 18h jusqu’au lendemain, parfois jusqu’à midi, sans eau, sans toilettes… Si j’avais envie d’y aller, il n’y avait personne pour m’y amener. Les gendarmes dormaient en haut, chez eux. Je me suis dit que si un incendie se déclarait, j’allais mourir ici. Ces quatre jours de garde à vue, c’est la pire chose qui me soit arrivée dans la vie.

Et puis j’ai été relâchée, en contrôle judiciaire, avec une interdiction du territoire et de rentrer en contact avec Karim. Je m’y étais préparée, les gendarmes m’en avaient parlé, je l’acceptais. Je suis retournée vivre dans le sud, où j’ai tout de suite retrouvé du travail. Mais c’était vraiment dur. Karim avait été placé à l’isolement quatre mois avant ma garde à vue, et il y était toujours. Je savais qu’il n’allait pas bien, qu’il ne voyait plus personne, qu’il n’avait plus d’activités. En plus de ça, il subissait des fouilles à nu régulières, le moindre de ses mouvements était escorté… Quand je travaillais en prison, j’intervenais beaucoup au quartier d’isolement, et les gars me disaient qu’ils devenaient fous là-bas. J’avais très peur que l’isolement le change et que lui aussi ressorte de là complètement fou. Bref, je vivais très mal le fait de ne plus pouvoir le voir ou lui parler. Je savais que son voisin, à l’isolement, avait un téléphone avec lui. Un soir, j’ai craqué, je l’ai appelé pour avoir des nouvelles de Karim. Je me suis dit que je ne le ferais qu’une seule fois. Et puis un jour, quelqu’un m’a appelé, m’a dit que Karim n’allait pas bien du tout, qu’on allait lui faire passer un téléphone pour qu’il m’appelle. On a pu s’appeler pendant peut-être deux semaines, on se disait des banalités, des « je t’aime », « tu me manques ». Et puis un jour, j’ai reçu un coup de fil de mon avocate : mon contrôle judiciaire était révoqué, j’étais convoquée devant le juge douze jours plus tard. À partir de là, je savais que j’allais aller en prison. Le juge me l’avait dit quand j’étais sortie de garde à vue : « Vous reprenez contact avec lui une seule fois, je vous mets en prison directement. » J’ai commencé à préparer mon sac, mes papiers… C’était horrible. Je me suis mise en arrêt maladie, je suis retournée chez ma famille à Paris. Et puis le fameux jour de la convocation est arrivé. C’est allé très vite : j’étais convoquée à 9h, à 11h30 j’étais incarcérée.

« On se faisait incendier comme des enfants »

J’étais sous le choc, je ne réalisais pas. Dans mon malheur, j’ai eu de la chance, car dans la prison où j’ai été incarcérée, on était peu nombreuses au quartier femmes. Et comme mon conjoint était connu, j’ai été “protégée”, on me laissait tranquille. Et puis voilà, la vie en prison… Je connaissais la fouille, le greffe, la carte, le numéro d’écrou, mais je n’ai pas de mots pour dire le reste. C’est l’une des pires choses qui puissent arriver à une personne, la privation de liberté. On était enfermées vingt-trois heures sur vingt-quatre. Il n’y avait rien à faire… Après mes études d’assistante sociale, j’avais fait un master. Donc j’ai un bac +5, mais j’ai préparé un BEP vente en prison tellement je m’ennuyais. Je voyais les aumôniers de toutes les religions, dès que je pouvais faire quelque chose j’y allais, tellement je n’en pouvais plus. On avait deux heures de sport et une heure de bibliothèque par semaine, et puis broderie le vendredi… On était six dans une cellule qui devait être faite pour trois maximum je pense. Je dormais à côté des toilettes. À côté, il y avait un petit espace pour cuisiner, un frigo et c’est tout. Trois lits superposés collés-serrés. Si on se levait toutes en même temps, on ne pouvait plus bouger, il fallait que certaines restent assises pour que d’autres puissent se lever. On était toutes mélangées : prévenue dans une affaire correctionnelle, j’étais avec une fille qui était condamnée dans une affaire criminelle. L’autre particularité du quartier femmes, c’était la discipline. C’était beaucoup plus strict qu’au quartier hommes. On n’avait pas le droit de parler aux fenêtres, sinon on se faisait incendier comme des enfants. Tous nos déplacements étaient encadrés. J’y étais pendant la canicule : on n’avait pas le droit de montrer nos épaules ou de porter des vêtements au-dessus du genou, alors qu’il faisait 42°C…

« J’ai un bac +5, mais j’ai préparé un BEP vente en prison tellement je m’ennuyais. »

Et puis, être une femme en prison, c’est beaucoup de complications. Par exemple, quand on a nos règles, on n’a pas le droit à des douches supplémentaires. C’est trois douches par semaine, point barre. Pour moi, qui ai des règles abondantes, c’était un vrai problème – quand je dis “règles abondantes”, c’est médical, c’est de la ménorragie. Je suis allée voir l’infirmerie, car les serviettes qu’on cantinait, c’était du premier prix, elles ne servaient à rien. Ils m’ont donné des serviettes plus adaptées. Une deuxième fille, qui avait le même problème, leur en a demandé aussi. Et du coup, ils ont dit qu’on abusait, et ils ne nous en ont plus donné. Quand on a expliqué à une infirmière qui était venue nous voir que les serviettes qu’on pouvait cantiner n’étaient pas adaptées, elle nous a répondu « ben oui, mais fallait pas venir en prison ». Enfin voilà, ça a duré quatre mois, et finalement j’ai pu ressortir en contrôle judiciaire.

Au final, qu’est-ce qu’on fait en prison ? J’ai passé quatre mois à regarder le plafond, des émissions de téléréalité nulles, à cuisiner de la bouffe malsaine parce que les fruits et légumes frais coûtent trop chers… Quand je suis sortie, est-ce que j’étais meilleure ? Est-ce que j’avais mieux compris mes erreurs ? Et pour moi, ça peut aller, je suis stable, j’étais insérée, je n’ai pas de problèmes psy ni rien. Mais les personnes qui ont des troubles, qui sont complétement désinsérées, qu’est-ce qu’elles vont devenir quand elles vont sortir ? Après avoir passé des années à tourner en rond, à dormir, à se lever, à grossir parce qu’on mange mal et qu’on ne fait pas de sport, à s’embrouiller avec les autres – parce qu’on n’a que ça à faire, s’embrouiller – est-ce qu’elles seront devenues meilleures ? Avant, même si je me rendais bien compte que la prison ne résolvait rien, que les conditions de détention étaient indignes, je me disais qu’il y avait certaines personnes dont la société devait être protégée. Aujourd’hui, je sais que ça ne sert simplement à rien. Ça ne serait même plus envisageable d’y travailler, ce serait comme cautionner un système indigne et inutile.

Quand je suis ressortie, j’ai tout de suite pu retrouver un travail dans le social, parce que je suis prévenue et que je n’ai pas encore de casier. Mais si demain je suis condamnée, qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? J’ai toujours travaillé, c’est ce qui me permet de tenir. Je n’arrive plus à me projeter dans l’avenir… Et puis ça va faire un an que je n’ai pas pu voir Karim, ni lui parler – à part ces quelques semaines en cachette. C’est dur. Les juges, comme tout le monde, me disent : « Mais vous comptez vraiment faire votre vie avec lui ? Il ne faut pas rester avec lui ! », etc. Je suis fatiguée d’entendre ça. Oui, c’est des sacrifices, oui je mets ma vie entre parenthèses, mais je le fais de manière éclairée. Je n’ai de comptes à rendre à personne et je ne supporte plus d’être jugée en permanence. »

recueilli par Charline Becker

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