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Études supérieures en prison : « Tout est un combat »

Entreprendre des études supérieures en prison est loin d’être une sinécure : de l’inscription aux examens en passant par la récupération des cours, chaque étape est rendue quasi insurmontable par l’absence d’accès à Internet. Jugés non-prioritaires par rapport aux autres publics scolarisés, les étudiants ne peuvent pas toujours compter sur l’aide d’enseignants pénitentiaires souvent débordés. Élise partage son expérience, et souligne l’importance d’avoir des proches sur lesquels compter.

« En 2012, j’ai fait de la détention provisoire à la maison d’arrêt de Corbas. J’ai eu la chance de tomber sur un professeur exceptionnel, qui m’a remise sur le chemin des études. J’ai commencé par un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) vente, que j’ai obtenu haut la main, avec les meilleures notes. Il m’a encouragée à continuer. Puis je suis sortie de prison, en attendant mon jugement. J’avais alors 18 ans. J’ai obtenu un diplôme d’accès aux études universitaires en 2018, et je me suis inscrite en première année de licence de psycho dans la foulée. Mais là, ma condamnation est tombée. J’ai été réincarcérée à Corbas, ça a mis un coup d’arrêt à mes études. La fac m’a dit que ce ne serait pas possible de continuer à suivre des cours par correspondance pendant mon incarcération, qu’ils ne savaient pas comment faire. À ce moment-là, j’ai eu envie d’abandonner. Ma chance, c’est que le professeur qui m’avait aidée lors de ma première incarcération était encore là. Il m’a motivée pour ne pas lâcher. Il a cherché quelle formation je pouvais faire à distance et il a trouvé une licence de lettres modernes, à Rennes II. Mais comme on était en cours d’année, j’ai dû attendre septembre 2019 pour pouvoir m’inscrire : j’ai perdu un an.

En septembre 2019, j’ai été transférée au centre de détention de Roanne pour y effectuer le reste de ma peine. J’avais pu faire ma préinscription avant mon transfert mais je n’avais pas d’informations sur la suite des démarches à entreprendre et c’était impossible d’entrer en communication avec la fac, faute d’accès à Internet. Le professeur de Corbas avait écrit au RLE [responsable local d’enseignement] de Roanne pour lui parler de ma situation mais il n’a jamais eu de réponse. On a finalement désigné une prof qui enseignait chez les femmes pour finaliser mon inscription. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit qu’elle n’avait pas plus d’infos que moi et elle m’a même lancé : “J’espère que vous avez du soutien dehors. ”Heureusement oui, j’ai des soutiens. De personnes qui ne lâchent pas quand c’est la galère. En novembre 2019, j’étais toujours sans nouvelles. J’ai commencé à m’inquiéter et j’ai écrit à la direction de la prison. Deux jours après, la prof m’a reçue : elle était furieuse que j’aie saisi la direction mais j’ai au moins appris à cette occasion qu’elle m’avait bien inscrite à la fac. En revanche, je n’avais aucun moyen de me connecter à la plateforme en ligne qui permet de récupérer les cours et elle, comme le RLE, refusaient de me les imprimer, alors que les partiels tombaient deux mois plus tard…

Le parcours d’obstacles

Commence alors un nouveau combat : l’accès aux cours. Après pas mal de complications, mes proches sont arrivés à récupérer des cours sur l’espace en ligne de la fac, et des milliers de polycopiés ont commencé à rentrer par le parloir, avec l’autorisation de la prison… Mais en mars, annonce du confinement : les parloirs sont suspendus et le courrier n’arrive quasiment plus. Un de mes soutiens à l’extérieur a alors trouvé un arrangement : elle envoyait mes cours par mail à la CPIP [conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation], qui me les imprimait. Puis la CPIP scannait mes retours, les envoyait à cette dame, qui les faisait suivre à la fac. Malgré tout, il me manquait des cours. Et puis tous ne sont pas imprimables, il y en a qui sont sur support vidéo par exemple et je n’étais pas autorisée à me faire remettre des CD-Rom ou des clés USB.

L’autre problème, c’était l’accès aux informations importantes, notamment sur les dates et le déroulement des examens. Deux jours avant les partiels, j’ai su qu’ils étaient reportés mais aucun calendrier n’était donné. Et là, j’apprends que le secrétariat de la fac refuse de communiquer avec mes proches. Selon eux, comme je suis détenue, ils ne doivent échanger qu’avec le RLE. En plus, pendant tout le premier confinement, le scolaire était fermé dans la prison. La dame qui me soutient décide alors d’écrire à chacun de mes profs pour leur expliquer la situation. À notre grande surprise, tous ont répondu pour proposer des solutions. Plusieurs m’écrivent des petits mots très gentils, des encouragements qui me font du bien. J’apprends ainsi que je peux passer les examens du second semestre d’abord, sous forme de dossiers, puis passer le premier semestre au rattrapage. C’est ainsi que j’ai eu mon second semestre en totalité. Dans certaines matières, j’ai eu des 18 et des 19. Je me suis alors dit que je n’avais pas fait tout ça pour rien. Ces résultats m’ont fait du bien.

Quand le confinement a été levé et que le scolaire a repris, j’ai demandé un accès à la plateforme de la fac pour pouvoir récupérer mes cours moi-même. Ça m’a été refusé. Le RLE m’a dit que c’était impossible pour eux, que le réseau n’était pas assez sécurisé, et puis que je pouvais me débrouiller seule, avec l’aide de mes proches. Avec des avocats bénévoles, on a alors décidé de saisir le tribunal administratif en référé. Le RLE a été entendu : il a affirmé qu’il n’avait pas à me transmettre les cours, que ce n’était pas dans ses attributions de faire le suivi des études supérieures. Malgré tout, on a perdu le recours : le juge a considéré qu’il était impossible à l’administration, au vu de ses moyens, d’accéder à ma demande. Et qu’au total, je n’étais pas privée d’instruction, même si je dépendais du soutien de mes proches.

J’ai quand même passé le reste de mes examens en juin 2020. C’était vraiment compliqué. Je n’avais pas pu récupérer tous les cours. Je n’avais pas le planning, je ne savais pas quelle matière allait tomber quel jour. Au mieux, j’avais l’info la veille (et donc même pas une journée pour préparer), mais la plupart du temps c’était le jour-même. Heureusement, comme j’avais déjà validé un semestre, j’ai réussi à sauver les meubles et à passer en deuxième année sans rattrapage. J’étais assez fière. Cette année, le RLE s’est occupé de m’inscrire à la rentrée, mais a une nouvelle fois refusé de me transmettre les cours. Et là encore, la fac a refusé de donner les codes d’accès à la plateforme à mes proches, en disant que ça devait passer par le RLE. À force d’insister, mes proches ont pu débloquer la situation et accéder à la plateforme. Et la directrice a finalement accepté que je fasse entrer les cours sous forme de CD-Rom. J’ai reçu mon CD-Rom du premier semestre le 22 décembre…

« Ne pas se faire broyer par la machine »

À part les problèmes d’accès aux cours, les conditions d’étude sont correctes. Pas comme en maison d’arrêt, où il y a beaucoup trop de bruit pour travailler. Mais on reste tributaire de la vie de la prison, des mouvements, des surveillants qui viennent fouiller ou sonder la cellule… Il y a aussi l’aspect financier. Je dois travailler aux ateliers le matin pour avoir un minimum de revenus. Comme je finis à 14h, il me reste l’après-midi pour les cours. Grâce à une cagnotte de soutien organisée par des amis, j’ai pu m’acheter un ordinateur et une imprimante. Je n’aurais jamais pu l’avoir sans cet argent parce que ça représentait l’équivalent d’un Smic. C’est pareil pour les livres : à la bibliothèque, il y a très peu de choses, alors moi j’ai toujours fait rentrer mes livres. Avec la difficulté que beaucoup étaient considérés comme des colis, même ceux qui étaient très légers et rentraient dans une grosse enveloppe. Donc il fallait presque à chaque fois solliciter des autorisations, et là encore, ça prenait du temps.

La fin de ma peine peut désormais être aménagée, alors j’espère retrouver ma liberté au plus vite et m’inscrire à la fac de Lyon, en présentiel, pour finir ma licence. D’ici là, j’ai vraiment envie d’avoir ma deuxième année, mais tout ça me prend beaucoup d’énergie. J’ai l’impression que tout est un combat, et j’ai eu du mal à me replonger dans les cours après les six mois d’arrêt liés au confinement. Et puis comme les étudiants de l’extérieur, je commence à me lasser des polycopiés. Tout est déshumanisé, il n’y a aucun contact avec les profs ou les autres élèves, même si j’ai la chance d’avoir des proches qui ont fait un peu de littérature, avec lesquels je peux échanger sur certaines œuvres.

À l’intérieur, il y a des détenues qui m’encouragent, qui suivent mon parcours. Elles me disent que c’est bien que des personnes comme nous fassent des études, pour que ça change notre image, que les gens à l’extérieur voient que ce n’est pas parce qu’on est en prison qu’on est stupide. Le conseil que je donnerais aux autres personnes détenues qui veulent reprendre les études, ce serait de s’accrocher. Et de savoir prendre du recul par rapport à certaines situations, sinon on se fait broyer par la machine. »

Recueilli par Sarah Bosquet

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